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Acheter un camping, la bonne affaire ?

Vous rêvez de travailler six mois par année… Ou d’accumuler un fonds de retraite en profitant d’un lieu de vacances ? Mais acheter un camping, est-ce vraiment une bonne affaire ? Voici l’histoire de deux propriétaires et l’avis de deux spécialistes.

UN DOSSIER D’ISABELLE DUBÉ

Un projet familial

Élise Lachance venait de perdre son poste chez Bell et cherchait un projet familial qui lui permettrait de travailler avec sa fille. Avec son conjoint comptable, elle a regardé les offres de restaurants et de gîtes touristiques… sans coup de foudre. Puis, l’idée d’un camping a fini par s’imposer naturellement.

Grande campeuse, Élise Lachance parcourait depuis 10 ans la province avec son motorisé. Elle en avait assez vu pour trouver sa propre définition d’un camping rentable.

« J’avais 47 ans, raconte-t-elle en nous faisant visiter son camping. On voyageait toutes les fins de semaine et on était tannés. On voulait se poser et trouver un projet. »

Le couple a scruté les annonces de camping à vendre sur le site de Camping Québec. Les Maskoutains en ont trouvé un de 130 places à Saint-Hyacinthe, près de leur maison, et dont ils ignoraient l’existence. « Un endroit calme où on n’entend pas les bruits de l’autoroute, mais plutôt le chant des oiseaux », fait-elle remarquer.

Élise Lachance explique à quel point le camping ne ressemblait pas du tout au terrain actuel.

« On savait qu’on pouvait l’agrandir et surtout l’améliorer, précise-t-elle. Il avait un grand besoin d’amour. Ma fille s’est rendu compte que ce n’était pas fait pour elle après trois ans. »

La clé : agrandir

La possibilité d’ajouter des places de camping est justement la clé de la rentabilité, estiment les spécialistes à qui nous avons parlé. Au cours de la visite, Élise Lachance nous montre un grand terrain qui, au départ, servait à jouer au baseball.

« Plus personne ne jouait au baseball. On entretenait du gazon. On a investi 150 000 $ pour créer 36 nouveaux terrains avec des égouts et l’électricité. »

— Élise Lachance

Douze ans après avoir fait l’acquisition du Camping de l’été, l’endroit compte maintenant 175 terrains. Comme le lieu de vacances est situé en pleine campagne loin des attraits touristiques, Élise Lachance doit compter sur les 115 campeurs saisonniers pour payer ses frais fixes : hypothèque, taxes, électricité, salaires des deux employés.

Si le conjoint d’Élise Lachance n’avait pas ses revenus de comptable, le camping pourrait-il faire vivre la famille ? « Oui, mais pas avec mes goûts de luxe, lance-t-elle en riant. Sauf qu’il faut s’occuper soi-même du camping. Quand il y a des égouts bouchés, je prends l’équipement et j’y vais. Même chose s’il y a une fuite d’eau. On n’a pas le choix. Sinon, ça coûterait un bras de main-d’œuvre. »

L’enjeu : la mise de fonds

Les institutions financières demandent une mise de fonds de 50 % de la valeur pour le financement de l’acquisition d’un camping. Il s’agit d’une importante somme d’argent étant donné que le prix des campings à vendre actuellement varie de 500 000 $ à 3,5 millions de dollars. Élise Lachance et son conjoint ont pu trouver la somme nécessaire grâce à leurs immeubles résidentiels.

« On a pu réemprunter, explique-t-elle. Récemment, on aurait voulu en racheter un autre, mais les prix avaient augmenté. On parle de plus de 1 million. »

Partir de zéro

À Hemmingford, le camping Domaine Le Dauphinais a été bâti de toutes pièces sur une terre qui accueillait un verger.

« Mon père disait : “La pomme ne te fera pas vivre plus tard”, raconte Michel Dauphinais, qui a réalisé le projet avec son frère Paul. “Si tu veux laisser quelque chose aux jeunes, au lieu de planter des pommiers, il faut planter des roulottes.” »

Les Dauphinais ont dû patienter deux ans pour obtenir les autorisations des différents ministères. Avec un appui de Desjardins et de la Banque de développement du Canada à hauteur de 500 000 $, ils ont pu investir plus de 1 million de dollars en 2010. Par la suite, ils ont injecté graduellement plusieurs autres millions de dollars. L’an dernier, le fils de Michel Dauphinais, qui est radiologiste, a décidé de contribuer au projet familial pour permettre la construction de nouveaux emplacements. Le total investi depuis le départ : plus de 3 millions de dollars.

« On a actuellement 144 emplacements, explique Manon Lavoie en nous faisant visiter le camping. Dans deux semaines, on en comptera 22 de plus. Puis 32 autres à l’automne. Quand tout sera terminé, il y aura 400 emplacements. Tout est déjà approuvé par le Ministère. »

Partir de zéro et façonner son terrain de camping à son goût permet d’avoir une longueur d’avance sur la concurrence.

« Mon camping, je le bâtis pour les quatre saisons et ce n’est pas plus coûteux, estime Michel Dauphinais. Six mois de plus d’utilisation et ça coûte de 25 000 à 30 000 $. Ce n’est rien. »

Michel Dauphinais peut aussi construire des emplacements plus grands qui sont prisés par la clientèle.

« L’avantage, ici, c’est que c’est une terre familiale qui ne nous a pas coûté cher et on a toujours investi graduellement. Demain matin, si tu veux te partir un camping flambant neuf, tu ne pourras pas. Tu tombes commercial. Tu ne pourras pas le rentabiliser », croit-il.

Pour s’assurer d’avoir une marge de profit intéressante, le camping Domaine Le Dauphinais fonctionne avec cinq employés ainsi qu’un ratio de 80 % de saisonniers et de 20 % de voyageurs. Les propriétaires ont su également cibler une clientèle de 55 ans et plus alors que les campings à proximité se concentrent sur les familles.

Attention au camping non conforme

En construisant un nouveau camping, on peut s’assurer que toutes les infrastructures seront conformes. Ce qui n’était pas le cas au Camping de l’été à Saint-Hyacinthe. Huit ans après l’achat, les propriétaires ont fait des découvertes qui leur ont coûté 700 000 $.

« Quand on a acheté, c’était tout croche, relate Élise Lachance. L’ancien propriétaire avait fait beaucoup par lui-même. On a dû refaire des égouts et changer les puits de surface pour des puits de 500 pi de profond. »

L’investissement sera rentabilisé en sept ans, selon les estimations du conjoint comptable d’Élise Lachance.

« Si je mets le camping en vente demain matin, tout est maintenant conforme, affirme Élise Lachance. On fait même des plans pour que ce soit clair pour les prochains propriétaires. »

Bénéfice net moyen d’un camping

Camping de 120 emplacements ou moins : 25 633 $

Camping de 121 à 300 emplacements : 75 288 $

Camping de plus de 300 emplacements : 114 637 $

Huit choses à savoir avant d’acheter

Acheter un camping est encore un bon investissement, selon deux experts que La Presse a consultés. Mais que faut-il savoir avant de se lancer dans un tel projet ? Et comment s’assurer qu’un camping sera rentable ?

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Oui, le camping est en vogue

Selon l’étude Portrait de la pratique du camping – 2017 réalisée par la firme Raymond Chabot Grant Thornton, 1,6 million de Québécois ont fait du camping en 2016, et en incluant tous les Québécois intéressés par le camping, on arrive à un bassin de près de 2,7 millions de campeurs potentiels. « Ça demeure le loisir familial le moins dispendieux, indique André Blain, courtier immobilier spécialisé dans la vente de campings chez Century 21. Louer un terrain saisonnier coûte de 1600 $ à 2000 $ pour cinq mois. »

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La situation géographique augmente la rentabilité

Les campings recherchés ne sont pas en région éloignée. Selon nos deux experts, la densité de la population et les attraits touristiques à proximité feront augmenter vos profits. « Les campings situés dans les Cantons-de-l’Est se vendent assez bien, observe André Blain, qui a vendu 300 campings au Québec en 26 ans. C’est en Montérégie qu’il y a le plus de campings et aussi le plus de population. » Le courtier immobilier constate qu’un superbe camping au bord d’un grand lac navigable en Abitibi sera difficile à vendre. « Ce n’est pas tout le monde qui veut s’en aller là-bas. Prends le même camping et mets-le dans le coin de Bromont ou de Magog, on ne parle plus de la même chose. »

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Un bon ratio de saisonniers paie les frais fixes

Si les terrains destinés aux voyageurs de passage sont doublement payants, parce qu’ils sont loués plus cher et plus souvent, la majorité des propriétaires doivent miser sur les campeurs saisonniers qui ont des baux de cinq ou six mois. « Tous les frais fixes comme l’électricité, les taxes, l’assurance et l’hypothèque doivent être payés par les saisonniers, estime André Blain. Si tu n’as pas de voyageurs parce que l’été est pourri, tu as au moins tes saisonniers. Il y a des campings avec des listes d’attente pour les saisonniers. » Le courtier immobilier estime qu’il faut au moins 40 % de saisonniers.

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Pour en vivre, il faut 100 emplacements et plus

Les campings de 150 emplacements sont les plus populaires actuellement, selon Patsy Gagné, adjointe d’André Blain, qui fait visiter les campings à vendre cette année. En 26 ans de carrière, André Blain a fait des calculs : « L’idéal, c’est de 125 à 150 sites, affirme-t-il. Tu n’es pas millionnaire, mais tu vis très bien. » Il a constaté qu’un couple peut assurer la gestion de ce type de camping avec deux ou trois employés. « Quand tu dépasses 150 sites, ça prend plus d’employés et c’est plus difficile à gérer. Avec 200 places, tu dois t’attendre à faire 16 heures par jour pendant 2 mois. »

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Les infrastructures non conformes font baisser la valeur

L’acheteur doit s’assurer que toutes les infrastructures pour l’eau, l’électricité et les égouts soient bien installées. Parfois, l’ancien propriétaire a eu la mauvaise idée de faire les travaux lui-même et le nouveau peut découvrir les problèmes seulement des années plus tard. « Un terrain de camping dont les fosses septiques sont mûres pour être changées, ça ne vaut pas la même chose qu’un terrain de camping qui est neuf ou raccordé aux égouts de la ville, explique Simon Tessier, PDG de Camping Québec. La mise aux normes de toutes les infrastructures est primordiale. » Simon Tessier compare les campings à de petites municipalités. « Il faut gérer de l’eau usée, de l’eau potable. Les lois à respecter sont énormes, souligne-t-il. Imaginez si vous ajoutez un casse-croûte et des bains publics. »

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Qui peut acheter un camping ?

Le prix des campings varie actuellement de 500 000 $ à 3,5 millions de dollars. Les acheteurs doivent prévoir une mise de fonds de 50 % de la valeur du camping. « Pour un camping de 2 millions, ça vous prend 1 million en argent comptant, illustre Simon Tessier, de Camping Québec. C’est beaucoup. Il y en a qui mettent tout leur régime de retraite là-dedans, toutes leurs économies, l’argent de la vente de leur maison. Ils prennent un risque. Il y a aussi des entrepreneurs qui ont vendu leur entreprise et s’en vont dans le camping. Puis, les entreprises comme Parkbridge et Camping Union achètent de gros terrains. »

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Pas de Régie du logement pour gérer les hausses

Les propriétaires de camping jouissent d’une grande autonomie pour les prix des baux des saisonniers. « C’est l’offre et la demande, explique Simon Tessier, de Camping Québec. Ce sont des baux de villégiature qu’on met au prix du marché. Si vous achetez un immeuble de logements, vous êtes pris avec des baux réglementés par la Régie du logement et leurs augmentations au compte-gouttes. » Le courtier immobilier André Blain renchérit : « Si tu achètes un plex, tu ne pourras pas mettre dehors facilement un locataire qui cause des problèmes. Dans un camping, c’est simple, tu ne renouvelles pas son bail. »

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Combien d’heures de travail, au juste ?

Certains propriétaires de camping estiment qu’ils doivent travailler sans arrêt pendant les deux mois les plus achalandés de l’été, tandis que les mois du printemps et de l’automne permettent un horaire plus régulier. « Il y a des gens qui acquièrent des terrains de camping en se disant : je vais travailler très fort six, sept, huit mois et je vais pouvoir avoir des vacances plus longues, relate Simon Tessier. Certains propriétaires vont vous dire que ce n’est pas ça. Qu’ils doivent travailler toute l’année. Ça dépend d’un terrain à l’autre. »

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