Devrait-on léguer sa maison de son vivant ?

La question du don de maison revient souvent dans les familles, plus encore depuis deux ans avec la hausse des prix pour se loger. Quatre spécialistes expliquent les enjeux auxquels vous n’avez pas pensé.

La mise en situation

Jean-Guy et Murielle habitent avec leur fils Philippe qui gagne le salaire minimum. Ils comptent lui transférer la maison libre d’hypothèque dès maintenant, car ils veulent vivre avec leur fils le plus longtemps possible et Philippe va éventuellement prendre soin d’eux. Le deuxième fils aura une compensation financière à la mort du deuxième parent.

« Même avant la pandémie, cette question revenait régulièrement : “Est-ce que j’ai intérêt à transférer ma maison tout de suite ?” Les gens pensent que s’ils attendent au décès, il va y avoir de l’impôt à payer », observe le notaire François Bernier, directeur de la planification fiscale et successorale pour l’est du Canada à Placements mondiaux Sun Life.

« Du point de vue fiscal pur, quand on parle des lois de l’impôt, il n’y a pas d’incitation à donner ou à vendre son bien immobilier de son vivant à ses enfants », poursuit François Bernier.

« Que les parents donnent la maison, la vendent à un étranger ou la lèguent à leur mort, c’est la même chose pour le gain en capital réalisé sur la plus-value de la maison. Il n’y a aucun impôt à payer, parce que c’est la résidence principale. »

— Patricia Besner, notaire et fiscaliste, vice-présidente stratégies fiscales et succession chez Desjardins Gestion de patrimoine

Si les parents restent propriétaires de la maison, mais la quittent pour aller en résidence et que l’enfant continue de l’habiter, l’exemption pour résidence principale tient toujours.

Perte de crédits d’impôt

Le notaire et fiscaliste François Archambault, directeur du Centre d’expertise Gestion privée 1859 de la Banque Nationale, et son collègue Francis Brault, fiscaliste et planificateur financier, ont vérifié tous les crédits d’impôt pour les gens âgés de 65 à 70 ans.

En transférant le titre de propriété à un enfant, les parents perdent le crédit fédéral pour l’accessibilité domiciliaire, explique Francis Brault. Le maximum est de 1250 $.

Les parents pourraient aussi perdre la Subvention pour aîné relative à une hausse des taxes municipales. Cette subvention d’un maximum de 500 $, attribuée aux propriétaires âgés de 65 ans et plus qui ont un revenu familial de 54 000 $ et moins, est en place depuis 15 ans.

Pour ce qui est du crédit provincial pour maintien à domicile des aînés et celui pour frais engagés par un aîné pour maintenir son autonomie, les parents ne les perdent pas en devenant locataires.

A-t-on les moyens de donner... ou de recevoir ?

Hormis le désir d’aider un enfant qui prendra soin des parents en retour et réduire un possible stress au transfert de la propriété à l’occasion de la mort des parents, il n’y a aucune bonne raison fiscale de donner sa maison de son vivant, affirment les experts consultés par La Presse.

« On tient pour acquis qu’on donne la résidence, parce qu’on n’a plus besoin de l’immeuble, mais est-ce qu’on a besoin de sa valeur pour financer notre coût de vie ? soulève le notaire et fiscaliste François Archambault. Si c’est le cas, ce n’est évidemment pas une bonne idée de donner sa maison. »

François Archambault rappelle que la valeur principale dans le patrimoine des Québécois, ce ne sont pas les REER, mais la maison. Pour certains, il s’agit même de leur régime de retraite.

« C’est beau d’avoir une maison en cadeau, mais encore faut-il que l’enfant ait les moyens de payer les taxes, le chauffage, l’entretien et les rénovations majeures. »

— Patricia Besner, de Desjardins Gestion de patrimoine

Il faut s’entendre pour savoir qui va les payer, prévient-elle. Les parents ou l’enfant commis dans un dépanneur ?

Quand l’harmonie va, tout va. Le notaire François Bernier conseille de «  prévoir pour le pire ». « Si je donne la maison, est-ce que j’aurai toujours le droit d’y rester ? Il faut prévoir au contrat de donation ou de vente un droit d’habitation pour la personne qui fait le don. »

« Si mon enfant décide de me mettre dehors et que je n’ai pas protégé mon droit d’habiter dans la propriété, il aurait le droit de le faire. »

Est-ce que le parent devra payer un loyer à son enfant ? Qui va payer le câble et l’internet ? « Je dois réfléchir à ce que je veux vivre comme donateur d’une propriété à mon enfant », avertit François Bernier.

Pour épargner le loyer en CHSLD

La mise en situation

Nathalie et André préparent un plan pour que Juliette, leur mère de 88 ans, n’ait pas à payer le loyer complet en CHSLD. Juliette va donner de son vivant sa maison à Nathalie et ses placements à André.

Cette stratégie est souvent évoquée par les clients des spécialistes consultés par La Presse. Une stratégie mal avisée, clament-ils. Appauvrir une personne vulnérable n’est pas une idée lumineuse.

Tout d’abord, qui connaît la date de son entrée en CHSLD ? Il faut dépouiller la personne âgée deux ans avant son entrée pour que le plan fonctionne.

Ensuite, si l’aînée donne sa maison et qu’elle a des placements de plus de 2500 $, le plan échoue. Si elle donne toutes ses économies, mais qu’elle reçoit des revenus de retraite de son ancien employeur, le projet avorte aussi.

« En planification financière, on fait accumuler du capital aux gens pour assurer leurs coûts de vie leur vie durant, et là, en fin de vie on viendrait les dépouiller de leurs actifs pour avoir une réduction sur les frais de CHSLD ? En tant que notaire, j’ai de la difficulté avec ce concept-là. »

— François Bernier, de Placements mondiaux Sun Life

« Des gens font le calcul, si on ne fait rien avec le coût du loyer, il ne nous restera plus rien comme héritage, observe François Archambault. Mais la personne n’est pas morte, elle a ses besoins. Ce n’est pas parce qu’une personne ne peut plus habiter dans sa maison qu’elle n’aura plus de vie sociale et il y a des coûts attachés à ça. »

« Si j’appauvris la personne et qu’elle veut aller chez le coiffeur, s’habiller, aller au restaurant, voir des spectacles, elle va devoir demander à ses enfants de l’argent, poursuit-il. Tout ça pour avoir le plus petit loyer ? »

L’équité entre les enfants

La mise en situation

Veuf, Daniel veut donner sa maison à son fils Luc, qui a choisi une vie de nomade sans métier fixe alors que sa sœur Ève est médecin et son frère Stéphane, dentiste. Daniel n’a pas prévu d’héritage pour Ève et Stéphane, parce qu’ils n’en ont pas besoin.

« C’est sûr que le parent peut décider de donner la maison à l’enfant qui va prendre soin de lui ou à celui qui en a besoin. C’est cependant un cas qu’on est mieux de régler de son vivant, parce que ça va faire de la chicane après la mort », met en garde Patricia Besner.

Le sentiment d’injustice est un enjeu crucial dans la planification successorale, à ne pas prendre à la légère.

« Si je donne à un seul des enfants, est-ce que les autres vont être très heureux de ça ? Comment vais-je les compenser ? Il faut y penser. Ça peut être un sujet de conflit familial important », souligne François Bernier.

« Certains parents évoquent l’argument que l’enfant médecin n’en a pas besoin. Mais cet enfant a fait le choix de faire de hautes études et le parent décide alors d’avantager celui qui s’est traîné les pieds. »

— François Archambault, du Centre d’expertise Gestion privée 1859 de la Banque Nationale

François Archambault observe qu’avec l’inflation, de plus ne plus les parents veulent aider de leur vivant. « Mais celui qui s’est traîné les pieds, a-t-il les moyens de payer les taxes et l’entretien de la maison ? Peut-être que ce n’est pas aider cet enfant que de lui donner la maison. »

Un enfant qui a des problèmes financiers pourrait aussi décider de mettre une hypothèque sur la maison qu’il a reçue. « Est-ce que le parent veut ça ? », questionne le notaire et fiscaliste.

Il y a trois options possibles, selon Patricia Besner, et chaque famille doit décider de la meilleure option pour garder l’harmonie. On demande à l’enfant qui reçoit la maison de trouver les sommes d’argent pour dédommager les autres maintenant ou au moment de la mort. Si ce n’est pas réaliste, on accepte le fait d’avoir donné plus à l’un qu’à l’autre. Dans les cas où ce n’est pas une option, on vend la maison et on sépare les sommes entre les enfants.

« On aide les gens avec la fiscalité, mais pour cet aspect, on est plus dans l’émotion. »

Donner à sa fille déjà propriétaire

La mise en situation

À sa mort, Roger a légué la maison familiale à sa femme des 50 dernières années, Pauline, 76 ans, qui avait aussi payé ce bungalow acheté en 1970, mais à qui il n’appartenait pas légalement… Vestiges d’une autre époque. Pauline veut donner la maison à sa fille unique Sophie, qui a déjà un condo. Est-ce que Pauline devra assumer le gain en capital pour les 50 années où seul son mari était propriétaire ? Quelle sera la résidence principale de Sophie ?

Même si le système patriarcal a privé Pauline de son titre de propriétaire de sa maison, elle peut quand même la désigner comme résidence principale pour toutes les années où elle y a vécu.

« La loi dit que quand la maison est transférée à la conjointe au décès du mari, la conjointe est réputée avoir été propriétaire de la maison depuis le jour un, où le mari l’a acquise », indique Francis Brault, de la Banque Nationale gestion privée 1859.

Par contre, si le parent transfère la propriété à son enfant, mais que l’enfant n’y habite pas, ce n’est pas une bonne planification, précise Patricia Besner, chez Desjardins gestion de patrimoine, parce qu’on ne pourra plus désigner cette maison comme résidence principale même si le parent continue d’y habiter.

« D’un point de vue fiscal, je n’ai pas avantage à donner ma maison de mon vivant à mon enfant qui a déjà une résidence principale, car l’enfant va devoir choisir laquelle est la résidence principale. Il vaut mieux attendre au décès ou au moment d’aller en résidence. »

— François Bernier, de Placements mondiaux Sun Life

Si on va de l’avant avec le projet, il faut déterminer quelle propriété devrait être qualifiée de résidence principale.

« On doit trouver laquelle des résidences a le plus gros gain en capital par année et la désigner comme résidence principale », explique François Archambault, de la Banque Nationale gestion privée 1859.

Parfois le calcul devient complexe quand le parent déménage dans une résidence pour aînés et que la maison est vendue deux ans plus tard. « Le gain en capital a commencé à être imposable en 1972, rappelle Patricia Besner. Si la résidence a été acquise avant, les gens doivent remplir un formulaire pour déterminer sa valeur en 1972. »

Ensuite, on prend le prix de vente, par exemple 540 000 $, moins la valeur établie en 1972, disons 40 000 $. Un gain de 500 000 $.

Si Pauline a été propriétaire de la maison pendant 54 ans, mais qu’elle n’y a habité que pendant 52 ans, elle aura droit à l’exemption pour résidence principale pour 52 ans plus une année supplémentaire. La 54e année ne sera pas exemptée. Elle devra donc payer 1/54 de 500 000 $, soit 9259 $ imposés à 50 %, 4630 $.

« J’ai une année non admissible, mais je ne perds pas toutes mes années », souligne Patricia Besner.

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