Chronique

Le mythe du Québec raciste

« Pourquoi dites-vous que les Québécois sont racistes ? Pourquoi dites-vous que le racisme est érigé en système au Québec ? »

Même si je n’ai jamais dit une chose aussi grotesque, cette question m’a été posée plusieurs fois ces derniers temps. Elle fait écho aux propos simplistes sur la discrimination systémique martelés par certains politiciens et commentateurs. Le genre de discours qui vous fait dire des choses absurdes que vous n’avez jamais dites.

À entendre ces discours, vouloir réfléchir aux enjeux de discrimination systémique et de racisme au Québec, c’est accuser l’ensemble de la société d’être raciste ou la comparer à l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Voilà qui est aussi ridicule que si on prétendait que la consultation de 1995 sur la discrimination salariale au Québec ayant mené à la Loi sur l’équité salariale équivalait à accuser l’ensemble des Québécois d’être misogynes et d’entretenir un système digne de l’Afghanistan…

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« Si on vous demandait un mot pour décrire les immigrants qui se trouvent au Québec, qu’est-ce que ce serait ? », a-t-on demandé à des Québécois dits « de souche », dans le cadre d’un vox pop géant publié aujourd’hui visant à prendre le pouls des citoyens sur les enjeux de racisme. « Courageux », ont-ils souvent répondu. Ou encore « travaillants ».

« Si on vous demandait un mot pour décrire les Québécois, qu’est-ce que ce serait ? », a-t-on aussi demandé à des immigrés. « Accueillants » fut l’un des mots choisis le plus souvent.

Les réponses au questionnaire de La Presse ont généralement quelque chose de réconfortant. Même si l’exercice n’a aucune prétention scientifique, il nous tend le miroir d’une société globalement ouverte à l’immigration.

Ai-je été surprise par ces réponses ? Non, pas surprise du tout. En tant que fille d’immigrés arrivés ici en 1967, je connais bien ce Québec accueillant. Je sais qu’il n’est pas une exception. Et malgré les crispations propres à notre époque, je sais que ce Québec ouvert existe encore.

L’un des reportages les plus enthousiasmants que j’ai faits l’année dernière était campé à Saint-Ubalde, village de 1400 habitants situé entre Québec et Trois-Rivières. Un petit village au grand cœur qui s’était mobilisé pour accueillir une famille de réfugiés syriens.

Ce Québec généreux fait moins de bruit que les groupuscules d’extrême droite. Il fait rarement les manchettes. Mais il est bien vivant.

Pourquoi alors suis-je tout de même d’accord avec l’idée d’une consultation sur la discrimination systémique et le racisme ? Parce que, à mon sens, on peut à la fois reconnaître que le Québec est une société ouverte et accueillante et vouloir qu’il soit encore plus égalitaire. De la même façon qu’on peut reconnaître que, même si le Québec est une société parmi les plus avancées sur le plan de l’égalité hommes-femmes, il reste encore du travail à faire en matière de prévention des violences faites aux femmes.

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Je disais que je suis d’accord avec l’idée d’une consultation. Mais je reste sceptique quant à l’utilité d’une consultation dans sa forme actuelle. Pour que le processus soit crédible, il aurait fallu une consultation dirigée par des experts indépendants, et non par la Commission des droits de la personne, qui est à la fois juge et partie dans ce dossier.

Les plaintes de harcèlement psychologique visant sa présidente, qui aurait dû se mettre en retrait le temps que l’enquête du Protecteur du citoyen soit menée, n’ont fait que miner davantage son autorité morale et son indépendance.

Par ailleurs, les délais très courts prévus pour une consultation qui ratisse aussi large donnent l’impression que le gouvernement libéral cherche davantage à instrumentaliser ces enjeux en contexte préélectoral qu’à lutter contre la discrimination systémique.

Voilà qui est malheureusement de très mauvais augure.

Qu'est-ce que le racisme systémique ?

« Le racisme systémique se manifeste lorsqu’une institution, ou un ensemble d’institutions agissant conjointement, crée ou maintient une iniquité raciale. Cette attitude n’est pas toujours intentionnelle et ne signifie pas nécessairement que le personnel au sein d’un organisme concerné est raciste. »

Exemples d’inégalités engendrées par le racisme systémique : 

À compétences égales, un candidat qui se nomme Tremblay ou Gagnon a 60 % plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’une personne qui se nomme Traoré ou Ben Saïd.

Parmi les universitaires nés au Canada, le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les personnes appartenant à une « minorité visible » qu’il ne l’est chez les autres (3,1 % contre 6 %).

Sources : Direction générale de l’action contre le racisme de l’Ontario, Ligue des droits et libertés, CDPDJ, Statistique Canada, 2016

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