OPINION

L’intervention essentielle du fédéral en santé

La ministre fédérale de la santé, Ginette Petitpas Taylor, a rappelé à l’ordre le gouvernement du Québec il y a quelques semaines pour lui signifier que l’utilisation du privé pour des examens diagnostiques d’imagerie était contraire à la Loi canadienne sur la santé.

Encore une fois, c’est le fédéral qui doit intervenir pour préserver notre système de santé public et universel des dérives provinciales. L’histoire de notre système de santé démontre le rôle essentiel du gouvernement fédéral dans le champ de la santé, même si la Constitution ne lui réserve qu’une place marginale.

Plutôt que de s’en offusquer, il faut s’en réjouir et applaudir à l’intervention fédérale.

Un régime de santé universel

Un rappel historique s’impose. Notre système de santé tire ses origines au tournant de la Seconde Guerre mondiale. C’est Tommy Douglas, en Saskatchewan, qui implante en 1947 une assurance hospitalisation provinciale sur le modèle développé au Royaume-Uni dans la foulée du rapport de Lord Beveridge. 

Celui-ci propose un régime de santé universel et financé par les impôts. Cette approche tranche avec celle des pays d’Europe continentale qui ont plutôt opté, à l’instigation de Bismarck en Allemagne à la fin du XIXe siècle, pour des régimes d’assurances sociales. Ces derniers s’appuient plutôt sur des cotisations employeur-employés à des mutuelles.

Dix ans plus tard, les libéraux de Louis St-Laurent imitent la Saskatchewan et votent la Loi sur l’assurance hospitalisation et les services diagnostiques. Cette province récidive en complétant l’assurance hospitalisation par une couverture des services médicaux en 1962. Tommy Douglas, entre-temps devenu député fédéral, enjoint alors au gouvernement fédéral d’imiter la Saskatchewan ; Diefenbaker crée la commission Hall pour examiner cette question.

Le gouvernement Pearson suit la recommandation principale de la commission et vote en 1966 la Loi canadienne sur les soins médicaux. La santé n’étant pas un domaine de compétence fédérale, le gouvernement central utilise plutôt son pouvoir de dépenser pour inciter les provinces à mettre en place un régime qui répond aux quatre principes de la Loi : universalité (pour tous les Canadiens), gestion publique (avec reddition de comptes au gouvernement), transférabilité (d’une province à l’autre) et intégralité (tous les services « médicalement nécessaires »). Le fédéral promet aux provinces d’assumer la moitié de la facture si elles se conforment à cette Loi. 

Toutes les provinces adoptent successivement des régimes de couverture des services hospitaliers et médicaux.

Le Québec le fait avec un certain décalage en 1960 pour l’hospitalisation et en 1971 pour les services médicaux avec la Loi sur la santé et les services sociaux (LSSS) qui est toujours en vigueur.

En 1984, devant les intentions de l’Alberta de mettre en place un ticket modérateur, le gouvernement Trudeau père et la ministre Monique Bégin procèdent à une réforme qui intègre les lois précédentes. La Loi canadienne sur la santé ajoute aussi un cinquième principe : l’accessibilité. Ce principe empêche notamment la mise en place de barrières financières et coupe ainsi court aux intentions des provinces en ce sens.

Au fil des décennies, la contribution financière du gouvernement fédéral s’est modifiée et ne représente aujourd’hui qu’environ 25 % des coûts. Des accords fédéraux-provinciaux sont intervenus pour baliser la contribution fédérale, notamment en 2004 pour l’établissement d’objectifs en soins primaires, en informatisation et en soins à domicile. Encore une fois ici, le fédéral pousse les provinces à prioriser ces trois enjeux importants pour l’avenir du système de santé.

Il y a quelques années, la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott rappelait à l’ordre le ministre Barrette qui voulait encadrer les frais accessoires. Pour une des rares fois, le ministre Barrette a dû reculer devant la menace de couper les transferts fédéraux pour non-respect du principe d’accessibilité de la Loi canadienne. C’est ce même argument qui est invoqué par la ministre fédérale actuelle pour rappeler à l’ordre le gouvernement du Québec.

C’est donc le gouvernement fédéral qui, inspiré par l’avant-gardisme de la Saskatchewan, a façonné le système de santé canadien.

C’est aussi ce gouvernement qui a assuré le maintien des principes de ce système et s’est fait le gardien de son orthodoxie devant des provinces tentées de créer des brèches au profit d’un financement privé et d’un système à deux vitesses. C’est le fédéral qui a aussi assumé un leadership en incitant les provinces à prioriser des enjeux importants pour l’avenir du système de santé.

Ingérence ?

Bien sûr, les provinces ont toujours hurlé leur indignation devant des interventions qualifiées d’ingérence du fédéral. Mais les gouvernements provinciaux, empêtrés dans l’organisation des services et le contrôle des coûts, ont souvent été incapables de défendre rigoureusement le caractère public du régime et de procéder aux adaptations nécessaires. C’est ici que le gouvernement fédéral, délesté du poids de l’administration quotidienne, peut et doit jouer un rôle stratégique.

Le vieillissement de la population et le défi des soins de longue durée montrent l’insuffisance du système actuel fondé sur les hôpitaux et les services médicaux.

Nous privilégions l’utilisation de l’institution au maintien à domicile, avec toutes les conséquences économiques et humaines que cela entraîne.

À l’instar des pays industrialisés aux prises avec les mêmes enjeux, le Canada doit mettre en place un financement spécifique pour les soins de longue durée. Lors de mon bref passage à l’Assemblée nationale, c’est ce que nous nous étions engagés à faire avec le projet d’assurance autonomie, malheureusement mort au feuilleton. Et force est de constater que rien n’a avancé depuis à ce chapitre. Difficile pour les provinces d’avoir une telle vision. Peut-être le fédéral doit-il encore une fois venir à la rescousse pour ouvrir la voie vers cette adaptation nécessaire de notre système de soins et services.

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