Une « taxe » de 30 $ pour voir les Îles ?

L’instauration d’une telle redevance pour les non-résidants à l’entrée du territoire serait une première au Québec. Mais des questions demeurent quant à son applicabilité.

Les Îles-de-la-Madeleine souhaitent mettre en place une redevance de 30 $ pour tout non-résidant qui s’y rendra à compter de l’an prochain. Cette nouvelle « taxe », qui doit permettre à la municipalité de financer ses infrastructures touristiques et la gestion des déchets, pourrait faire des petits, estime l’Union des municipalités.

Les élus de la Communauté maritime des Îles-de-la-Madeleine ont déposé un projet de règlement lors de leur dernière rencontre, mardi dernier.

S’il est adopté comme prévu dans les prochains mois, une somme de 30 $ devra être déboursée par toute personne de 13 ans et plus qui se rendra dans l’archipel dès 2023 et dont le lieu de résidence ne s’y trouve pas.

Le calcul est simple, explique le maire par intérim, Gaétan Richard. « La durée moyenne d’un séjour aux Îles est de 10,3 jours. Donc on s’est dit : 30 $, c’est comme 3 $ par jour pour avoir accès au territoire au complet, parce qu’il n’y a pas de stationnement payant, pas de parc payant. »

Mais si tout est gratuit pour les visiteurs, ce dont plusieurs se disent d’ailleurs surpris, souligne le maire, le passage de quelque 70 000 touristes chaque année, lui, a pourtant un coût. « Ça occasionne beaucoup de pression sur le territoire, notamment pour la gestion des matières résiduelles. Ça apporte beaucoup de déchets », précise-t-il.

Redevance puisée à la source

La Communauté maritime des Îles-de-la-Madeleine espère ainsi dégager environ 1,5 million par année qui sera versé dans un « Fonds de gestion durable du territoire ». La moitié de ce fonds servirait à la gestion des matières résiduelles et à la création d’un parc régional, alors que l’autre moitié serait utilisée par la municipalité des Îles-de-la-Madeleine pour entretenir les sentiers pédestres, les plages et les stationnements.

Gaétan Richard se défend de vouloir faire fuir les touristes. « Un voyage aux Îles, ça se prépare des mois, si ce n’est pas un an, à l’avance. Ce n’est pas comme prendre sa voiture à Québec et se rendre au Saguenay ou en Gaspésie, dit-il. On pense que 30 $ qui vont améliorer l’expérience du visiteur […], c’est justifié. »

L’élu espère convaincre les transporteurs qui desservent l’archipel par bateau (CTMA) et par voie aérienne (Pascan Aviation, Air Canada, PAL Airlines) de s’engager dans le projet afin que la redevance puisse être perçue à la source, sur le prix du billet.

« Notre but, ce n’est pas qu’à l’entrée ou en débarquant de l’avion vous payiez 30 $. Ce serait à même le billet d’avion, au moment de la réservation. C’est à ce niveau-là qu’on va avoir des discussions dans les prochaines semaines », indique-t-il en ajoutant avoir senti « une ouverture de ce côté-là ».

Le début d’un phénomène ?

Le président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), Daniel Côté, salue l’initiative des Îles-de-la-Madeleine, les villes réclamant en effet à Québec plus de pouvoir pour s’affranchir de la seule perception des taxes foncières.

La municipalité est la première à proposer d’obliger les visiteurs à verser une redevance pour entrer sur son territoire, mais la Ville de Percé, en Gaspésie, a déjà fait adopter un règlement similaire l’été dernier, rappelle Daniel Côté. La municipalité, connue pour son rocher Percé, a toutefois choisi de faire participer les commerçants, qui doivent maintenant exiger 1 $ sur tous les achats de 20 $ et plus effectués par les non-résidants.

Cette nouvelle taxe a été contestée par certains commerçants locaux et l’affaire doit être entendue en Cour supérieure en janvier prochain.

« On s’est battus pendant des décennies pour avoir accès à de nouvelles sources de financement, pour ne plus dépendre que du foncier. Là, on a des municipalités qui innovent, qui testent ces nouveaux pouvoirs et il y a des citoyens qui les contestent. »

— Daniel Côté, président de l’Union des municipalités du Québec

M. Côté dit comprendre que certaines municipalités soient réticentes à instaurer de telles taxes puisqu’elles visent toujours « le même citoyen ». « Monsieur X ou madame Y, qui paie déjà sa taxe foncière, qui va repayer une redevance quelconque, qui paie ses taxes et impôts à Québec, c’est toujours le même citoyen qui voit encore de nouvelles formes de taxation lui être imposées », explique-t-il.

Selon lui, ce débat serait inutile si Québec acceptait de réviser en profondeur la fiscalité municipale. « Si on permettait aux municipalités de percevoir des revenus rattachés à la croissance économique, peut-être qu’on ne serait pas obligés d’aller de l’avant avec ces nouvelles formes de taxation », dit-il.

Légalité remise en cause

Deux experts en affaires municipales consultés par La Presse ne s’entendent pas sur l’applicabilité d’une telle redevance.

Le directeur de la faculté de l’aménagement de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche, rappelle que le territoire des municipalités ne leur appartient pas, mais qu’il est plutôt sous la gouverne du gouvernement du Québec.

« Donc de prélever une taxe ou un impôt sur une forme de non-appartenance au territoire, ça m’apparaît impossible », explique-t-il en ajoutant douter de l’envie des transporteurs de gérer l’application d’une telle redevance.

« Je ne vois pas pourquoi Air Canada se casserait la tête avec une mesure administrative qui va lui coûter de l’argent et ne rien lui rapporter. Ils n’ont pas intérêt, eux, à être coopératifs. »

— Jean-Philippe Meloche, directeur de la faculté de l’aménagement de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal

A contrario, Danielle Pilette, professeure associée au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, juge qu’il serait tout à fait possible pour les Îles-de-la-Madeleine de mettre en place une telle redevance en vertu de la Loi sur les compétences municipales.

« Ça s’inscrirait tout à fait dans le contexte de la préservation environnementale et des changements climatiques. Moi, je pense qu’à l’avenir, c’est le genre de mesures auxquelles on va de plus en plus réfléchir », dit-elle.

Selon les deux experts, si des enjeux d’applicabilité apparaissent en cours de route, les Îles-de-la-Madeleine pourraient aussi simplement se tourner vers l’impôt foncier ou la somme payée par les hôtels et les autres établissements d’hébergement, qui répercuteraient ensuite l’augmentation sur le prix payé par les touristes.

Le maire Gaétan Richard assure que des avocats ont été consultés par la Communauté maritime des Îles-de-la-Madeleine avant le dépôt du projet de règlement.

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