Crise en Haïti

Une intervention militaire étrangère redoutée

Le Conseil de sécurité des Nations unies évaluait lundi la possibilité d’un déploiement militaire rapide en Haïti parmi les mesures pour venir en aide au pays, une option redoutée par des membres de la diaspora montréalaise toutefois résignés.

« La population d’Haïti n’est pas en faveur, mais parallèlement, c’est une situation qui ne peut plus durer », résume le directeur de CPAM, une radio haïtienne de Montréal, Jean-Ernest Pierre.

En effet, Haïti est paralysé par des bandes criminelles et un soulèvement populaire qui ont mené à des pénuries de carburant, d’eau et d’autres produits essentiels. Qui plus est, le choléra y a récemment fait une résurgence qui fait craindre le pire.

Une intervention militaire onusienne aurait pour objectif de mater la menace que représentent les groupes criminels armés et de fournir une protection aux infrastructures et aux services.

Elle permettrait également d’assurer « la libre circulation de l’eau, du carburant, de la nourriture et des fournitures médicales depuis les principaux ports et aéroports jusqu’aux communautés et aux établissements de soins », selon une lettre soumise dimanche par le secrétaire général António Guterres au Conseil de sécurité.

D’après la lettre consultée par l’Associated Press, mais qui n’a pas été rendue publique, un ou plusieurs États membres pourraient fournir les effectifs nécessaires pour appuyer la police nationale haïtienne. On peut aussi y lire que le secrétaire général pourrait déployer d’autres ressources des Nations unies dans le but de soutenir un cessez-le-feu ou un accord humanitaire.

Un dernier recours

Cependant, la lettre stipule qu’un retour à une forme d’engagement plus imposante sous forme de maintien de la paix demeure un dernier recours si rien d’autre n’est fait de manière urgente par la communauté internationale.

Cette lettre a été soumise après que le premier ministre d’Haïti, Ariel Henry, et 18 autres hauts dirigeants du pays eurent demandé l’intervention d’une force spéciale suffisante pour mettre fin aux actes criminels des groupes armés à travers le pays.

Or, « la légitimité d’une intervention étrangère est questionnable dans le contexte où Haïti est un pays souverain et donc ne devrait pas y avoir recours en temps normal », estime le sociologue d’origine haïtienne Frédéric Boisrond.

« Haïti ne peut pas demander une intervention militaire d’un autre pays, dit-il. Et si ça devait se faire, ç’aurait dû être approuvé par la Chambre des députés et le Sénat, mais il n’y en a pas. »

Tous les acteurs consultés s’entendent pour dire qu’une solution « haïtienne » devrait être d’abord envisagée. Or, « toutes ces solutions, malgré le nombre d’acteurs qu’il y a autour, il y a un blocage de la part de ceux qui détiennent le pouvoir », estime le sociologue.

« Ce qu’on doit retenir de ça, c’est l’incapacité de la classe politique haïtienne à faire consensus autour d’une solution haïtienne », conclut-il.

« L’Haïtien moyen, ce qu’il veut, c’est pouvoir avoir une perspective d’avenir, mais tout ce qui est proposé actuellement, ce sont des sorties de crise, pas de plan à long terme. »

– Frédéric Boisrond, sociologue d’origine haïtienne

Dans ce contexte, une intervention militaire étrangère est vue comme une solution de dernier recours. Surtout que les résultats d’anciennes interventions du genre ont laissé de mauvais souvenirs à la population locale, rappelle Jean-Ernest Pierre.

« La seule chose que l’ONU a amenée à Haïti et qui est restée, c’est le choléra », lâche-t-il.

Après l’introduction de la bactérie par des Casques bleus en 2010, une épidémie de choléra a sévi jusqu’en 2019, faisant plus de 10 000 morts.

Trois ans plus tard, l’annonce dimanche de nouveaux cas et de sept morts a réveillé les craintes d’un nouveau désastre au moment où, avec la dernière poussée de violence, le pays manque de carburant pour alimenter la population en eau potable et pour faire tourner les hôpitaux.

Activités perturbées

Depuis près d’un mois, l’un des plus puissants groupes criminels a pris le contrôle d’un terminal pétrolier stratégique de Port-au-Prince, où sont stockés près de 10 millions de gallons de diesel et d’essence ainsi que plus de 800 000 gallons de kérosène.

Des dizaines de milliers de manifestants en colère ont aussi barricadé des rues de la capitale et d’autres grandes villes, empêchant la circulation des biens. Les manifestants en ont contre la hausse vertigineuse des prix du carburant.

Les stations-service et les écoles sont fermées alors que les banques et les épiceries limitent leurs heures d’ouverture.

Rappelons qu’Haïti est englué depuis des années dans une profonde crise économique, sécuritaire et politique, et l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 a profondément aggravé la situation avec une emprise de plus en plus forte des gangs.

– Avec l’Associated Press et l’Agence France-Presse

Des milliers de manifestants dans les rues contre l’appel à l’aide étrangère

Des milliers d'Haïtiens ont manifesté lundi à Port-au-Prince pour protester contre le gouvernement et son appel à l’aide étrangère. La manifestation dans la capitale a été émaillée de violences, de scènes de pillages, et la police a fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser la foule, a constaté un correspondant de l’AFP. Plusieurs personnes ont été blessées par balle et une personne a été tuée, a également constaté le correspondant de l’AFP. Les organisateurs ont accusé la police d’être à l’origine de ce décès. « Cette jeune fille ne représentait aucune menace. Elle a été tuée en exprimant son désir de vivre dans la dignité », a dénoncé un manifestant quadragénaire qui a souhaité conserver l’anonymat. « Les États-Unis et le Canada font de l’ingérence dans les affaires internes d'Haïti », a dénoncé un autre manifestant.

– Agence France-Presse

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