Science

DE VIRUS REDOUTÉ À SIMPLE RHUME ?

L'avenir de la COVID-19 selon une chercheuse

À quoi ressemblera la COVID-19 dans les années à venir ? Elle pourrait être aussi bénigne qu’un simple rhume, selon une modélisation récemment publiée. Mais attention : les coronavirus responsables de rhumes, qui ont beaucoup moins circulé depuis un an, pourraient justement se déclarer plus graves en 2022.

Réexposition régulière

La COVID-19 pourrait devenir une maladie moins grave, pourvu qu’elle circule abondamment. Comme le rhume. Telle est la conclusion de la modélisation de Jennie Lavine, chercheuse postdoctorale à l’Université Emory, à Atlanta, publiée au début de janvier dans la revue Science. « Tout indique que le SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la COVID-19, est semblable aux autres coronavirus, responsables des rhumes, dit Mme Lavine. Les enfants ne sont presque pas affectés, même s’ils n’ont pas d’immunité préalable. Et les adultes ont une maladie bénigne pourvu qu’ils soient réinfectés régulièrement. » Il y a déjà des preuves que les gens qui sont réinfectés par le SARS-CoV-2 ont une forme moins grave de la maladie, selon Mme Lavine.

Le rhume de 2003…

L’une des preuves les plus convaincantes que les coronavirus peuvent tous être graves chez des gens n’ayant pas d’immunité est survenue en 2003 en Colombie-Britannique. « Il y a eu une éclosion d’un virus respiratoire dans une résidence pour personnes âgées, où une centaine de résidants ont eu des symptômes importants et huit sont morts, explique Mme Lavine. Finalement, il s’est avéré que c’était un coronavirus de rhume, qui, normalement, ne cause pas autant de morbidité. Il est possible que ces personnes âgées aient été isolées, donc n’avaient pas été récemment infectées par ce coronavirus et n’étaient plus protégées contre une maladie grave. » L’analyse de cette éclosion a été publiée en 2006 dans le Canadian Journal of Infectious Disease, Medicine and Microbiology.

… et celui de 2022

Les coronavirus du rhume pourraient donc être plus virulents l’an prochain, quand la population sera vaccinée et que les contacts sociaux reprendront. « On pense qu’avec une foule de virus respiratoires, qui circulent moins, il y aura moins d’immunité, donc des cas plus graves de la maladie », dit Mme Lavine.

Les leçons du SRAS

Les chercheurs ont tiré des leçons de l’épidémie de SRAS, causée en 2003 à Hong Kong et en Ontario par un autre coronavirus, le SARS-CoV-1. « Le SRAS a été une expérimentation naturelle très douloureuse, remarque Mme Lavine. Le SARS-CoV-1 a disparu parce qu’il n’était pas contagieux avant l’apparition de symptômes graves, mais il semble que l’immunité qu’il a générée a duré relativement longtemps. » Il y a trois composantes principales de l’immunité : les anticorps et les lymphocytes B et T. Les anticorps contre le SARS-CoV-1 étaient indétectables sept ans après l’infection, mais les dernières études sur les survivants du SRAS montrent que les lymphocytes T répondaient toujours au SARS-CoV-1 récemment. « Ces données sont compatibles avec l’idée que l’immunité générée par les coronavirus protège contre les versions graves de la maladie, mais n’empêche pas la transmission du virus. »

La durée de l’immunité

Les premières études sur la durée de l’immunité confirment la modélisation, selon Mme Lavine. « On voit que certaines des composantes de l’immunité ne durent pas longtemps, à peine deux mois, ce qui permet la réinfection. Mais d’autres composantes de l’immunité durent plus longtemps, ce qui explique la protection contre les formes graves de la COVID-19. »

L’énigme des vaccins

II n’est pas encore clair que les vaccins contre la COVID-19 limitent la transmission de la maladie en plus de réduire le risque de symptômes et de complications. « Si on n’arrive pas à éradiquer le SARS-CoV-2, ce qui serait très difficile de toute façon, le mieux est que le vaccin permette la transmission [tout en protégeant contre les formes graves de la maladie], comme le vaccin antigrippal, dit Mme Lavine. Ça permettrait au virus de circuler et à la population de garder son immunité contre les formes graves de la maladie quand la protection du vaccin sera moindre. » Cela signifie-t-il qu’il faudrait encourager la transmission du SARS-CoV-2 une fois que tout le monde aura été vacciné ? Et donc de décourager le port du masque à ce moment ? « Une fois que tout le monde aura été vacciné, oui, selon notre modélisation, il faudra avoir le plus de circulation du SARS-CoV-2 possible, dit Mme Lavine. Je pense que les gens qui sont âgés ou susceptibles d’avoir des complications, comme les cardiaques et les immunosupprimés, devraient porter un masque pour se protéger, ainsi que les gens qui les fréquentent. Mais sinon, en effet, on pourra se poser des questions sur les recommandations de porter un masque quand on a des symptômes. »

La grippe russe de 1890

Une autre pièce du casse-tête est apportée par une étude belge publiée en 2005 dans le Journal of Virology. « L’étude montre que l’un des quatre coronavirus du rhume, OC-43, est apparu à la fin du XIXe siècle, même s’il n’a été identifié que dans les années 1960, dit Mme Lavine. Il est donc possible que la « grippe russe » de 1890, dont on n’a jamais pu identifier le virus, ait été causée par ce nouveau coronavirus, un genre de pandémie de COVID-19 il y a 130 ans. » Un démographe de l’Université de Montréal qui travaille beaucoup sur les pandémies historiques, Alain Gagnon, juge cette hypothèse « très intéressante », et affirme qu’elle « mérite certainement d’être creusée ». Mais il souligne que la grippe russe a eu une forte mortalité infantile, contrairement à la COVID-19, et que des données montrent que les gens nés peu après 1890 ont été moins touchés par la pandémie de grippe de 1968, vraisemblablement parce qu’il s’agissait de la même souche grippale, H3, que la « grippe russe ». Plusieurs études montrent que l’exposition durant l’enfance et l’adolescence à une nouvelle souche grippale protège par la suite contre cette même souche grippale, jusqu’au troisième âge.

Les coronavirus en chiffres

De 20 % à 30 % des rhumes sont causés par quatre coronavirus.

Source : Université Emory

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.