Comment qu’y va, mon ti-chat ?

Parlez-vous à votre chat ? Sûrement. L’humain parle à tout ce qui bouge. Ou pas. Son pitou, son poisson, son hamster, ses plantes, ses toutous, son char, son miroir. Patrick Roy parlait même à ses poteaux.

Votre chat vous comprend-il ? Plus ou moins que le poteau ? Mystère. Contrairement au chien, le félin ne réagit pas aux propos d’autrui. Dites-lui couché, debout, assis, va chercher, il ne vous regardera même pas, et continuera à faire son petit bonhomme de chemin. Les experts ont toujours cru que le chat n’avait pas la capacité cognitive de réagir à notre voix. Ce n’est pas ça. C’est parce qu’on ne s’y prend pas de la bonne manière.

Selon une étude du Laboratoire éthologie, cognition, développement de l’Université de Nanterre, en France, qui vient tout juste de paraître, les chats comprennent le langage enfantin de leurs maîtres. C’est scientifiquement prouvé. Les expériences ont démontré que lorsqu’on s’adresse à eux, avec un ton niais, sur une fréquence aiguë, ils dressent l’oreille, se tournent vers leur interlocuteur, les pupilles dilatées. Bref, ils manifestent leur intérêt.

Eh ben ! Y était temps que je le sache ! Ça fait 16 ans que je parle à mon chat Bécaud. Seize ans que je me fais croire qu’il me comprend, même si la plupart du temps, il dort, se lave, mange ou m’ignore. Il faut dire que je lui ai toujours parlé de façon normale. Comme on parle à un ami. Jamais en bébé. Ça me tape sur les nerfs, les gens qui parlent en bébé. Même aux bébés. Mais faut ce qu'y faut. Je ne vais pas me priver d’entrer en contact avec mon coloc :

« Bécaaauuud ! Bécaaauuud ! T’es où, mon ti-chat ? »

Il n’arrive pas. Le contraire m’aurait étonné. Le langage enfantin a ses limites. La seule façon de faire apparaître Bécaud, c’est d’agiter son sac de bouchées tendres au poulet. Je le fais :

« Tchiketchiketchik ! Bécaud ! »

Le voilà.

« Ah ben, si c’est pas mon beau ti-chat ! Comment qu’y va, mon ti-chat ? Yé-tu content, mon ti-chat, mon beau ti-chat ? », dis-je d’un ton enfantin.

Bécaud me regarde droit dans les yeux, oreilles dressées, pupilles dilatées. La science a toujours raison. Quoique, est-ce vraiment moi qu’il fixe ou le sac de gâteries pour chat que j’ai dans les mains ? Je lui en mets quelques-unes sur le plancher et poursuis notre conversation : « C’est bon, cha, ah, mon chat ? C’est bon, cha ! Qu’est-ce qu’y va faire, mon beau Bécaud, aujourd’hui ? Y va-ti aller faire un ti-tour dehors ? Prendre l’air un ti-peu ? Han ? Mon beau ti-chat ? »

Il ne me regarde plus. Il inspecte le plancher, au cas où une autre croquette traînerait quelque part.

« Y en a pus. Pus de tites bouchées. Tout fini fini ! Tu vas en avoir d’autres plus tard. C’est ti-correct ? C’est ti-correct, mon beau ti-Bécaud ? » Je suis pus capable de m’entendre ! Je veux bien créer un lien avec mon chat, mais pas au prix de ma santé mentale. Je m’énerve tellement quand je parle comme ça. Et puis, est-ce que ça fonctionne tant que ça ?

Je refais un test, une heure plus tard.

« Bécaaauuud ! Bécaaauuud ! T’es où, mon ti-Bécaaauuud ! »

Il n’arrive pas. Je ne referais pas le coup des goodies. Je le cherche. Pas dans le salon. Ni dans ma chambre. Ni dans mon bureau. Il est sur le lit de la chambre d’ami.

« Salut, mon ti-chat ! Comment qu’y va, mon ti-chat ? Y fait un ti-dodo, mon ti-chat ? »

Il ouvre un œil. Le ton aigu attire son attention. Je continue : « Ah ben, y est réveillé, mon ti-chat ! Ben oui, y est réveillé, mon ti-chat ! Ah, ti-chat, ti-chat, ti-chat… »

Il se dresse. Me regarde. L’air de se dire : « Non, mais c’est quoi son problème, à lui ? Est-ce qu’il va me parler de même toute la journée ? » Il bondit et s’en va. Loin de ce maître qui se prend pour Passe-Partout.

Conclusion de mon étude scientifique toute personnelle : si le chat réagit à notre voix aiguë, c’est parce qu’il la trouve bizarre. Comme on réagit au son d’une alarme, parce que c’est stressant. Et si le chat ne réagit pas à notre ton normal, ce n’est pas par manque de facultés cognitives. Au contraire. Il comprend très bien ce qu’on lui dit. C’est juste qu’un chat, c’est comme un psy. Il écoute, en ayant l’air de rien. Impassible. Des fois, ça l’ennuie, des fois, ça l’intéresse, mais il ne laisse rien transparaître. Il sait que ça nous fait du bien de nous exprimer, alors il nous laisse faire.

Si, quand on lui demande d’aller chercher nos pantoufles, le chat ne va pas chercher nos pantoufles, comme Fido le ferait, ce n’est pas parce qu’il ne comprend pas ce qu’on lui dit, c’est parce que si on veut nos pantoufles, on a juste à aller les chercher nous-mêmes, ce n’est pas son maudit problème. En ce sens, un chat est plus comme un ado. Il nous écoute quand ça fait son affaire et nous ignore le reste du temps.

Après le ton enfantin, le Laboratoire éthologie, cognition, développement de l’Université de Nanterre devrait essayer le ton ado pour entrer en contact avec les félins, il obtiendrait, peut-être, encore de meilleurs résultats.

« Bécaud, my Gee, sup ? Askip les bouchées. Yolo. Ya yeet ! »

Et mon chat se met à ronronner.

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