Commission Viens

Deux ans plus tard, beaucoup de chemin reste à faire

Il y a deux ans jour pour jour, le 30 septembre 2019, le commissaire Jacques Viens déposait le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès (CERP ou commission Viens). Un total de 142 appels à l’action y sont formulés afin d’améliorer les relations entre les Autochtones et les services de police, de justice, correctionnels, de protection de la jeunesse, ainsi que les services de santé et les services sociaux.

L’année suivante, le décès tragique de Joyce Echaquan au centre hospitalier de Lanaudière le 28 septembre 2020 ramenait à l’avant-scène les enjeux de racisme et de discrimination vécus par les personnes autochtones au sein des services publics québécois. Le gouvernement du Québec annonçait alors que 51 appels à l’action de la CERP avaient été mis en œuvre ou étaient en voie de l’être, sans fournir plus de détails sur l’état des démarches entreprises.

Un comité de suivi, formé de personnes issues de la société civile et du milieu universitaire, s’est alors mis en place afin de documenter de manière indépendante la mise en œuvre de ces appels à l’action. Plus de 150 demandes d’accès à l’information aux ministères et organismes gouvernementaux concernés ont été envoyées et compilées, en plus d’une recension des rapports, annonces, études de crédits et autres documents disponibles publiquement.

Dans un rapport rendu public aujourd’hui, le comité de suivi constate que même si des actions ont bel et bien été entreprises pour mettre en œuvre le rapport de la CERP, plusieurs d’entre elles ne représentent qu’une amorce qui ne semble pas s’inscrire dans une vision globale et systémique.

Pourtant, le commissaire Jacques Viens mettait bien en garde contre l’action gouvernementale morcelée et non pérenne, qui constitue l’une des causes de la discrimination envers les Autochtones.

Selon l’analyse effectuée par le Comité de suivi, on ne dénombre à l’heure actuelle que cinq appels à l’action qui peuvent être considérés comme réalisés de manière satisfaisante. Des démarches ont été entreprises pour 62 autres d’entre eux, et il semble qu’aucune action n’ait été entreprise, du moins publiquement, pour mettre en œuvre les 75 autres appels à l’action du rapport.

Bien sûr, une évaluation purement comptable de la mise en œuvre de ces appels à l’action n’est ni souhaitable ni pratique. Certains appels, comme ceux visant à améliorer la situation en matière de logement des Premières Nations et des Inuits, nécessitent des actions complexes dont les résultats ne peuvent s’évaluer que sur le long terme.

Dans d’autres cas, les mesures proposées par les ministères et agences publiques ne répondent malheureusement que partiellement aux appels à l’action.

Par exemple, l’affichage en inuktitut dans les palais de justice de Kuujjuaq et Puvirnituq ne représente qu’une fraction de la réponse à apporter à l’appel à l’action 15, qui vise l’affichage bilingue ou trilingue dans tous les établissements des services publics qui desservent une population autochtone.

Les actions faites au sein du centre hospitalier de Lanaudière à la suite du décès de Joyce Echaquan (formation obligatoire pour les employés, présence d’agents de liaison en sécurisation culturelle, création d’un poste d’adjoint au PDG pour les relations avec les communautés autochtones) sont également des pas nécessaires pour lutter contre la discrimination dans le système de santé, mais ne semblent pas témoigner d’un mouvement généralisé à l’ensemble des services hospitaliers qui reçoivent une clientèle autochtone.

Cette incapacité apparente à déployer un ensemble cohérent et structuré d’actions, en particulier ceux qui sont les plus porteurs d’autonomie, se reflète également dans le refus du gouvernement d’adopter une loi pour prendre en compte les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (appel à l’action 3). Une telle action aurait pourtant le potentiel de soutenir efficacement la reconnaissance et la protection des droits des Autochtones, en encourageant une transformation durable des relations avec l’État.

Au final, le Comité de suivi constate qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire, bien que de nécessaires et pertinentes démarches aient été entreprises depuis deux ans au sein de plusieurs organisations gouvernementales. En cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le Comité de suivi espère que ses travaux pourront être utiles à tous ceux intéressés par ces enjeux primordiaux pour notre société, et en particulier aux personnes et organisations autochtones, à qui revient ultimement le rôle d’évaluer et d’apprécier les engagements et actions gouvernementaux en la matière.

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