Pédopsychiatrie

Des enfants hospitalisés avec des adultes en crise

Des enfants ayant des problèmes de santé mentale sont parfois hospitalisés dans des unités de psychiatrie adultes dans des hôpitaux du Québec. Une situation rare, causée entre autres par la pénurie de personnel, mais qui « n’a pas d’allure », estime l’Association des médecins psychiatres du Québec. Dans Lanaudière, huit des dix postes de pédopsychiatre sont vacants, a appris La Presse.

Un dossier d’Ariane Lacoursière

« Je suis morte avec lui »

Même s’il présentait des idées suicidaires et qu’il était en grande détresse, le jeune Samuel Santos n’a pas été hospitalisé en pédopsychiatrie quand il est entré d’urgence à l’hôpital Pierre Le Gardeur, en novembre 2021. Il n’a jamais vu de pédopsychiatre, déplore sa mère. Il est mort le 1er janvier 2022. À 16 ans.

« Un enfant qui a le cancer et qui n’a pas de services chez lui dans sa région, on l’envoie à Montréal. Mais pas un enfant avec des troubles mentaux. Pourquoi ? », demande Chantal Daigneault.

« Je ne pense pas qu’on a offert tous les services et qu’on peut dire : “C’est arrivé et on a tout fait” [pour le sauver]. Je ne pense pas qu’on est en mesure de dire ça », affirme Mme Daigneault.

Décrit par sa mère comme un enfant « enjoué », qui a toujours aimé le sport – il jouait au soccer, au hockey, au basketball et excellait au cross-country –, Samuel Santos n’a pas eu un parcours facile. Il présentait certains troubles du langage, avait des difficultés en lecture et un trouble du déficit de l’attention, et a été suivi par différents intervenants. Samuel était aussi atteint de vitiligo (dépigmentation de la peau). Il se sentait « différent ».

Le parcours scolaire de Samuel se déroule en dents de scie. En deuxième secondaire, il commence à consommer de la marijuana, puis arrête l’année suivante quand il fréquente une classe-ressource (classe pour les élèves en difficulté d’apprentissage ou à risque de l’être), où il obtient des notes record. En septembre 2020, la rentrée en quatrième secondaire se fait sous le signe de la COVID-19 et de l’enseignement à distance. Samuel trouve ça difficile. Ses notes chutent. Le jeune homme recommence à consommer et fait deux psychoses toxiques en décembre 2020.

Samuel rencontre ensuite un travailleur social du CLSC à quatre reprises.

Les proches de Samuel tentent de le convaincre d’accepter plus d’aide. Mais la plupart du temps, il refuse. Après une rupture amoureuse en novembre, il perd son emploi et se met à consommer des drogues chimiques : de la MDMA (ecstasy).

Le changement de comportement de Samuel est alors notable. Il passe d’un extrême à l’autre, de la joie et l’excitation à la déprime. Le 26 novembre 2021, Samuel écrit sur les réseaux sociaux qu’il veut mettre fin à ses jours. Parents et amis se lancent à sa recherche. La police est contactée. Quand on le retrouve, Samuel est en détresse et fortement sous l’effet de la drogue. On l’amène aux urgences de l’hôpital Pierre-Le Gardeur, où il est pris en charge en psychiatrie pour la nuit.

Le lendemain matin, Mme Daigneault apprend qu’on s’apprête à donner congé à son fils. Elle bondit et s’y oppose, estimant qu’il a besoin d’une intervention plus soutenue.

Avec des adultes en crise

Après discussion, l’hôpital décide de demander une ordonnance de la cour pour faire évaluer Samuel contre son gré. En attendant, Samuel est hospitalisé avec cinq adultes dans une unité de psychiatrie à Pierre-Le Gardeur. Dès le début, Mme Daigneault demande qu’il soit transféré ailleurs, par exemple à l’unité de pédopsychiatrie du Centre hospitalier régional de Lanaudière (CHRDL). « Mais on nous disait qu’il n’y avait pas de place », dit-elle. Elle demande alors qu’on le transfère au CHU Sainte-Justine ou à l’Hôpital de Montréal pour enfants. « Mais on me disait que ce n’était pas sur le territoire », dit la mère.

À ce moment, seulement quatre des dix postes de pédopsychiatre étaient occupés dans Lanaudière. Et depuis août, ce chiffre est tombé à deux, a appris La Presse.

Mme Daigneault raconte que côtoyer des patients adultes en crise est carrément « traumatisant » pour son fils. Une patiente s’automutile et frappe sur les murs. Plusieurs fois par jour, Samuel demande qu’on le sorte de là. Après quatre jours, deux patients en crise sont admis dans l’unité. L’un est violent et doit être maîtrisé par plusieurs intervenants. L’autre hurle sans arrêt.

« On s’est dit : “C’est assez. On le sort de là.” »

— Chantal Daigneault

Samuel accepte de recevoir un suivi du CLSC à sa sortie de l’hôpital. Mais pour Mme Daigneault, il est évident que ce suivi « ne serait pas assez ». « Il avait fait quatre rencontres un an plus tôt et ça n’avait rien donné […]. On avait des inquiétudes », dit la mère.

Deux rencontres

Après sa sortie de l’hôpital, Samuel rencontre à deux reprises une intervenante du CLSC, en décembre. Puis ces rencontres seront mises sur pause pour la période des Fêtes. Selon Mme Daigneault, loin de s’améliorer, l’état de son fils ne fait que décliner en décembre. Samuel est totalement déprimé et détaché. « Il ne parlait plus. Il était renfermé complètement. Je ne reconnaissais plus mon garçon. »

Sa mère est constamment aux aguets et ne dort presque plus.

On tente, comme plusieurs fois par le passé, de convaincre Samuel de recevoir de l’aide. Sans succès.

Le 24 décembre, le mal de vivre de Samuel est immense. « Je lui ai joué dans les cheveux. On s’est parlé et il ne faisait que pleurer. Je lui ai offert d’aller voir un psychologue, d’aller dans une thérapie. On était prêts à aller au privé », dit Mme Daigneault.

Elle lui propose d’aller à l’hôpital, mais son fils refuse net.

« Je pense que c’est un traumatisme qu’il a eu […]. On avait beau essayer de lui parler et de lui dire que ce serait différent, il ne voulait rien savoir. »

— Chantal Daigneault

Le 25 décembre, Samuel semble aller un peu mieux. Il fête Noël en famille. Le soir, il va chez une amie et consomme une grande quantité de drogue, avant ou après l’avoir rejointe. En convulsions, il est envoyé aux urgences.

Quand il arrive à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, Samuel fait 44 ºC de fièvre. Son rythme cardiaque et sa fréquence respiratoire sont très élevés. On le plonge dans un coma artificiel. On le recouvre de glace. Parce que son état est critique, on le transfère rapidement à l’Hôpital de Montréal pour enfant. Il y sera soigné aux soins intensifs puis mourra le 1er janvier. Le rapport du coroner Donald Nicole conclura à une « hypoxie cérébrale sévère consécutive à une encéphalopathie hépatique et à des défaillances multiorganiques, résultant d’une surconsommation intentionnelle de MDMA ».

« Je veux que ça change »

Quelques mois plus tard, la douleur est encore vive pour Mme Daigneault. « Je suis morte avec lui », dit-elle, sans pouvoir retenir ses larmes. Elle ne comprend pas que les soins en pédopsychiatrie n’aient pas été plus facilement accessibles pour son fils. Que les lois ne permettent pas plus facilement aux parents d’aider un adolescent de 16 ans en détresse et réfractaire aux soins comme Samuel. Et qu’on ait obligé son fils à côtoyer des adultes aux urgences psychiatriques. « Je veux que ça change », dit-elle.

Le Québec est aux prises avec une importante pénurie de pédopsychiatres (voir autre texte). Et la région de Lanaudière est particulièrement touchée.

Au CISSS de Lanaudière, on n’a pas voulu commenter le dossier précis de Samuel. Mais on assure que malgré le manque de pédopsychiatres, « l’ensemble des usagers nécessitant des soins et des services de pédopsychiatrie sont orientés vers les trajectoires de services appropriées, et ce, dès leur visite initiale à l’urgence ». « Nous tenons à préciser qu’à ce jour, il n’y a aucune situation répertoriée d’enfant n’ayant pas eu accès aux soins ou aux services requis. Les usagers reçoivent, malgré la conjoncture actuelle, des soins de qualité et sécuritaires », indique la porte-parole du CISSS de Lanaudière, Pascale Lamy.

Mme Daigneault croit qu’une importante réflexion doit se faire pour éviter que d’autres jeunes vivent la même situation que son fils. Elle souligne que quand elle a demandé qu’on transfère Samuel dans un hôpital pour enfants en novembre 2021 pour que son fils reçoive des soins en pédopsychiatrie, la demande a été refusée. « Mais quand il a fait une intoxication, il y a été amené tout de suite », dit-elle. Malheureusement, il était trop tard.

Une situation « qui n’a pas d’allure »

En décembre 2021, des psychiatres de Lanaudière ont dénoncé le fait que des enfants étaient hospitalisés dans des unités de psychiatrie pour adultes auprès de patients « activement en psychose, en crise suicidaire, parfois très agités et avec un potentiel d’agressivité élevé », selon une lettre obtenue par La Presse.

Le 22 décembre 2021, six médecins psychiatres du CISSS de Lanaudière ont interpellé leurs collègues et écrit dans une lettre que la « situation actuelle des soins à l’urgence et en intra-hospitalier pour la clientèle de moins de 18 ans [leur] paraît inacceptable ».

« Nous évaluons et traitons au meilleur de notre expertise ces jeunes, mais nous ne pouvons nous substituer à l’équipe de pédopsychiatrie. Les lieux physiques du Centre hospitalier Pierre-Le Gardeur et les équipes en place ne sont pas adaptés pour cette clientèle », peut-on lire dans le document.

La Dre Claire Gamache, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, estime qu’hospitaliser des enfants dans des unités de psychiatrie pour adultes les met dans une situation « qui n’a pas d’allure ». « On travaille avec les PDG et le Ministère pour éviter à tout prix que ce genre de situations perdure », dit-elle.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on indique que « l’hospitalisation de patients mineurs dans les unités d’adultes doit être une mesure de dernier recours ». « Lorsque c’est le cas, tout est mis en place pour s’assurer que le jeune reçoive les soins et les services requis par sa situation, et ce de façon sécuritaire », indique le MSSS.

Deux pédopsychiatres pour 106 000 enfants

Dans Lanaudière, seulement deux des dix postes de pédopsychiatrie de la région sont actuellement occupés pour une population de 106 000 enfants. Jusqu’en mai, quatre des dix postes étaient occupés, mais de récentes démissions ont accentué la pénurie. Par manque de spécialistes, l’unité d’hospitalisation du Centre hospitalier régional de Lanaudière, la seule du territoire, a dû être fermée en août. Une entente a été conclue avec l’hôpital Rivière-des-Prairies pour y transférer les patients ayant besoin d’être hospitalisés. Les autres « sont orientés, si un suivi est nécessaire, vers des services externes et pris en charge par nos équipes multidisciplinaires et au besoin, par un pédopsychiatre », indique la porte-parole du CISSS, Pascale Lamy.

Lanaudière n’est pas la seule région à manquer de ressources en pédopsychiatrie. Le Québec est touché par une pénurie de pédopsychiatres, reconnaît le MSSS. Depuis 2015, la pédopsychiatrie est une surspécialité en bonne et due forme et oblige les psychiatres à terminer une année de formation de plus. Le nombre de postes disponibles dans cette spécialité a été augmenté depuis 2015. « Mais on a de la misère à pourvoir les postes en résidence », note la Dre Gamache.

En pénurie

Nombre de postes de pédopsychiatre au Québec en 2022 :

236

Nombre de postes pourvus :

179

Source : MSSS

Le MSSS prévoit « être en mesure de pourvoir un grand nombre de postes autorisés d’ici la fin de 2025 », notamment parce qu’un « nombre élevé de nouveaux psychiatres sont attendus […] dont une partie se spécialisera en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ».

D’ici là, les autorités de la santé disent travailler activement à trouver des solutions pour offrir des soins dans les régions en situation de pénurie. Des « corridors de services » sont notamment établis à différents endroits, comme Laval et Lanaudière, explique la Dre Pascale Grégoire, chef du département de pédopsychiatrie à l’hôpital de Rivière-des-Prairies. On prévoit aussi une « voie de passage » afin de permettre à des psychiatres généraux qui auront fait une formation plus importante en pédopsychiatrie durant leurs dernières années d’occuper des postes de pédopsychiatrie dans des régions en situation de pénurie, indique le MSSS.

Postes en pédopsychiatrie vacants, par régions

Bas-Saint-Laurent : 0/5

Saguenay–Lac-Saint-Jean : 3/6

Capitale-Nationale : 0/21

Mauricie–Centre-du-Québec : 8/12

Estrie : 0/13

Montréal : 12/86

Outaouais : 4/9

Abitibi-Témiscamingue : 2/3

Côte-Nord : 2/4

Nord-du-Québec : 1/5

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine : 0/2

Chaudière-Appalaches : 4/10

Laval : 3/3

Lanaudière : 8/10

Laurentides : 7/15

Montérégie : 3/32

Source : MSSS 

Le temps presse. Car « dans les dix prochaines années, on se prépare à une période qui va être plus difficile », affirme la Dre Gamache. Notamment parce que le nombre de demandes de consultations en pédopsychiatrie ne cesse d’augmenter.

« L’exemple de Lanaudière, on va le voir ailleurs. Dans les régions, ce sera de plus en plus difficile. Il va falloir faire des ententes avec Montréal pour avoir des pédopsychiatres répondants pour nous soutenir quand on va avoir des enfants à l’urgence pour répondre à nos questions. »

— La Dre Claire Gamache, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec

À la recherche de solutions

Au CISSS de Lanaudière, Pascale Lamy dit que son établissement est « en démarche active de recrutement », et l’unité d’hospitalisation de pédopsychiatrie sera bientôt déménagée, vraisemblablement plus au sud, ce qui devrait faciliter le recrutement.

Dans Lanaudière, la quarantaine de psychiatres adultes du territoire sont déjà appelés à prêter main-forte. Une situation qui ne fait pas le bonheur de tous. La Presse a eu accès à une abondante correspondance entre le CISSS de Lanaudière, des psychiatres du territoire, le ministère de la Santé et des Services sociaux et le Collège des médecins, dans laquelle certains psychiatres ayant traité essentiellement des adultes ne s’estiment pas assez formés pour soigner des enfants.

La Dre Gamache indique que la majorité des enfants en détresse qui consultent aux urgences en psychiatrie ont surtout besoin de régler « des enjeux psychosociaux » qui peuvent être réglés par des travailleurs sociaux ou des psychoéducateurs, mais n’ont pas nécessairement besoin de voir un pédopsychiatre.

Des discussions sont d’ailleurs en cours avec le MSSS pour créer des « équipes psychosociales de crise » prêtes à prendre en charge les enfants dans les urgences. Et pour permettre aux pédopsychiatres de se concentrer sur les enfants avec des problèmes de santé mentale. « On est au début de ce grand chantier-là pour s’assurer qu’il y ait le moins de découverture possible », dit la Dre Gamache.

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