Travaux d’infrastructures et inflation

Québec devra prioriser ses projets

L’augmentation très rapide des dépenses en infrastructures contribue de façon importante à la surchauffe observée dans l’industrie de la construction au Québec.

Les heures travaillées dans le secteur non résidentiel ont ainsi augmenté encore plus rapidement que dans la construction résidentielle. Ces pressions sur la main-d’œuvre combinées aux importantes augmentations du prix des matériaux se traduisent donc par une forte inflation dans les coûts des travaux. En 1975, le rapport de la commission Cliche1 avait déjà mis en lumière le besoin d’arrimer le volume des travaux d’infrastructure à la capacité de l’industrie. Il est grand temps de s’en souvenir.

Durant la pandémie, on a beaucoup parlé de l’effervescence dans la rénovation résidentielle, ce que les données de la Commission de la construction du Québec (CCQ) confirment avec 15 millions d’heures travaillées en 2021 de plus qu’en 2015 dans le résidentiel. Il est moins connu que les heures travaillées dans le secteur non résidentiel ont augmenté de 40 millions d’heures durant la même période, soit plus du double de l’augmentation dans le secteur résidentiel.

Cela résulte en bonne partie du doublement des investissements annuels au Plan québécois des infrastructures (PQI) entre 2016 et 2022. De plus, le gouvernement s’est engagé à ajouter un autre 7,5 milliards de dollars sur 10 ans au budget du PQI.

Sans surprise, l’augmentation des heures travaillées dans la construction s’est accompagnée de l’aggravation des pénuries de main-d’œuvre. La pandémie et la guerre en Ukraine ont aussi fragilisé les chaînes d’approvisionnement dans l’économie mondiale, engendrant des réductions intermittentes de l’offre de divers produits.

Le résultat : des hausses de prix importantes depuis janvier 2020 pour plusieurs matériaux de construction, notamment 19,1 % de plus pour le béton, 79,3 % de plus pour l’acier, 88,3 % de plus pour le cuivre – selon les données d’octobre 2022 de la Société québécoise des infrastructures.

Il faut que le Québec se souvienne

Ce n’est pas la première fois que le Québec connaît une inflation galopante dans l’industrie de la construction. Au début des années 1970, le gouvernement du Québec lance la construction du grand complexe hydroélectrique de la Baie-James et la Ville de Montréal obtient la tenue des Jeux olympiques de 1976, et ce, alors que d’autres importants travaux, incluant le prolongement du métro, sont déjà en marche.

Par la suite, les coûts explosent et les relations de travail dans l’industrie dégénèrent jusqu’au saccage des installations à la Baie-James. La commission Cliche est alors mise sur pied pour enquêter sur l’exercice de la liberté syndicale sur les chantiers de construction. Des recommandations adressées au gouvernement visent spécifiquement à améliorer la planification des travaux et la coordination entre les donneurs d’ouvrage.

Voici un extrait du rapport de 1975 de la commission Cliche : « Chapitre 16 sur la politique de main-d’œuvre : La Commission recommande 1. Que le Conseil du Trésor et l’Office de la planification et du développement du Québec (OPDQ) coordonnent la planification des travaux de construction du gouvernement en tant que donneur d’ouvrage en prévoyant le temps de leur mise en chantier, compte tenu des disponibilités de la main-d’œuvre ; 2. Que les ministères et organismes gouvernementaux planifient leurs travaux de construction à cinq ans ; 3. Que les municipalités des grandes agglomérations, telles que Montréal, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Chicoutimi et Sept-Îles soient tenues de communiquer au gouvernement la planification quinquennale de leurs travaux de construction ; 4. Que le Gouvernement du Québec se réserve, par loi, le pouvoir de retarder ou de modifier le calendrier des travaux visés aux recommandations 2 et 3 ; 5. … ; 6. … ; »

Le secteur public québécois au sens large est encore aujourd’hui le plus important donneur d’ouvrage dans le secteur de la construction non résidentielle.

Comme à l’époque, l’industrie de la construction peine à répondre à la demande. Elle a le défi de trouver de la main-d’œuvre et n’a pas de contrôle sur l’inflation des prix des matériaux. Les différentes annonces gouvernementales et municipales accentuent la pression sur les ressources limitées de l’industrie. Il n’y a toujours pas aujourd’hui de mécanisme formel mis en place pour éviter que l’État québécois, les municipalités et Hydro-Québec ne se livrent à une concurrence inflationniste.

Il est urgent que le gouvernement se souvienne des messages de la commission Cliche. Il doit rapidement établir un portrait détaillé des travaux importants planifiés par l’ensemble des donneurs d’ordres publics à l’horizon d’au moins cinq ans. L’explosion actuelle des coûts montre que le gouvernement devra probablement retarder le calendrier de certains projets pour que le volume global de travaux d’infrastructures s’arrime à la capacité de l’industrie de la construction. Devant ces choix, le gouvernement devra prioriser encore davantage les projets de remise en état des infrastructures existantes plutôt que les nouvelles constructions.

1. Consultez le rapport de la commission Cliche sur le site de BAnQ

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