Grande entrevue Louise Richer, directrice générale de l’École nationale de l’humour

L’humour, outil de gestion indispensable

À 61 ans, Louise Richer a décidé de s’inscrire au programme très exigeant de l’EMBA McGill HEC. Au terme des deux années de formation immersive réservée aux cadres et gestionnaires, la directrice générale et fondatrice de l’École nationale de l’humour a produit un mémoire de maîtrise qui démontre comment l’humour est un vecteur d’humanisation du milieu de travail et à quel point le rire est devenu plus que jamais un outil de gestion indispensable.

Qu’est-ce qui vous a amenée à vouloir obtenir votre diplôme de MBA ? Quelle était votre principale motivation à entreprendre une telle démarche à cette étape de votre cheminement ?

À 61 ans, on se remet en question et j’avais d’abord et avant tout une forte envie de me mettre en situation d’apprentissage. La beauté du MBA exécutif, c’est que tous les travaux que l’on fait dans les différents modules – stratégie, excellence opérationnelle, travail collaboratif, finance et comptabilité… –, on les fait sur notre organisation.

C’était donc un moyen de m’améliorer comme gestionnaire et de le faire en compagnie de gens issus de tous les territoires professionnels : des banquiers, des avocats, des ingénieurs, des gens du commerce de détail. Ça m’a permis de briser les préjugés sur les profils professionnels et de vivre avec eux une belle solidarité. L’entraide et la communication étaient exceptionnelles entre tous les participants.

Votre avez décidé de consacrer votre mémoire de maîtrise à la fonction rassembleuse de l’humour dans les milieux de travail. Quelles vertus attribuez-vous à l’humour et au rire dans la gestion quotidienne des entreprises ?

L’humour est un mécanisme fondamental de l’équilibre humain, de la socialisation, de l’adaptation et de la résilience. Longtemps, les gestionnaires ont perçu le plaisir comme une source d’improductivité et de chaos.

Dans le contexte actuel de pénurie et de rétention de main-d’œuvre, les entreprises doivent obligatoirement revoir leur culture d’entreprise. Les jeunes réclament des milieux de travail qui sont sains et plaisants.

Ils ne veulent pas seulement une table de baby-foot ou un abonnement au gym, ils veulent que l’on reconnaisse qu’ils contribuent à la progression de leur entreprise.

Comment avez-vous articulé votre démarche pour arriver à la conclusion que l’humour devait être considéré comme un outil de gestion ?

J’ai rencontré huit grands gestionnaires québécois à qui j’ai demandé si l’humour et la notion de plaisir au travail étaient importants pour eux et comment ils en mesuraient les bénéfices dans leur gestion.

Il y avait Robert Dutton, ex-PDG de Rona, Pierre Marcouiller, PDG de Camso, Claude McMaster, PDG de D-Box Technologies, François Gratton, PDG de Telus Québec, Isabelle Hudon, PDG de Sun Life Québec à l’époque, Françoise Bertrand, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Isabelle Marcoux, présidente du conseil de Transcontinental, et Diane Giard, ex-première vice-présidente de la Banque Nationale.

La première réaction de tous et toutes a été de m’affirmer qu’ils n’avaient jamais pensé à ça. Ça a obligé tout le monde à réfléchir sur la question. Ils n’avaient pas de cassettes à me réciter, mais ils ont tous admis que la qualité de la communication émotionnelle était capitale dans leurs échanges.

On ne s’en rend pas compte, mais l’humour est généré dans nos vies dans 72 % des cas par l’entremise de nos échanges conversationnels. On est autogénérateurs de rires, alors que les spectacles d’humour, les sitcoms, les films comiques ne représentent que 17 % de nos épisodes d’humour.

L’humour et le rire peuvent donc rendre un PDG ou un gestionnaire plus performant, plus mobilisateur auprès de ses troupes ?

Absolument. L’heure de la rigidité et du gestionnaire infaillible est révolue. On ne peut plus surligner son niveau hiérarchique, il faut au contraire l’aplanir le plus possible.

Un leader qui pratique l’autodérision va être beaucoup plus rassembleur qu’un leader qui cherche à imposer son point de vue à tout prix. Et l’humour permet de développer des émotions positives, plus créatives.

Qu’est-ce que votre MBA vous a apporté concrètement ? Quels bénéfices en avez-vous tirés pour vous et votre organisation ?

J’ai fondé l’École nationale de l’humour en 1988 et je me suis inscrite à l’EMBA en août 2014, programme que j’ai terminé en juin 2016.

L’École a commencé à réaliser des interventions en entreprises en 2011 et la première demande est venue du groupe Femmes, Politique et Démocratie, qui voulait que l’on développe une formation pour apprendre aux femmes à mieux utiliser l’humour pour accéder à des postes de direction.

J’étais sidérée. Je comprenais très bien que les femmes étaient sous-représentées dans les postes de direction, aux conseils d’administration d’entreprises et en politique, mais je leur ai fait remarquer que c’était encore bien pire dans le milieu de l’humour.

Mais après avoir obtenu ce premier mandat, on a commencé à être soudainement très sollicité. On découvrait que l’humour avait des vertus certaines et une fonction rassembleuse dans les entreprises.

Est-ce que le conseil en humour représente une activité importante aujourd’hui pour l’École nationale de l’humour ?

On réalise chaque année plus de 50 mandats auprès d’entreprises et d’organisations qui cherchent à améliorer leur climat de travail, à réduire les tensions et à augmenter leur productivité. Le rire et un climat de travail agréable facilitent beaucoup la conversation et la résolution de problèmes.

Je rencontre chaque semaine des PDG d’entreprises et je dois admettre que j’utilise systématiquement l’humour pour amorcer nos rencontres, pour bien établir que je ne suis pas là pour leur arracher la tête, mais pour avoir une discussion franche sur leurs activités, pour qu’ils se livrent ouvertement. Et ça marche. Est-ce que l’humour désamorce les tensions et favorise le dialogue ?

Absolument. L’humour favorise les conversations fluides et développe les capacités d’attention et de rétention des messages. Ça rend les gens plus réceptifs.

Physiologiquement, on sait que le rire améliore la circulation sanguine, la production d’endorphines et qu’il génère une sensation de bien-être. C’est un accélérateur de productivité.

Contrairement aux pratiques de management du passé où on était convaincu que le plaisir était source de chaos, on se rend compte aujourd’hui que c’est un outil de cohésion et d’efficacité.

Est-ce que vous prévoyez une suite à votre mémoire de maîtrise sur l’importance de l’humour comme outil de gestion ?

Curieusement, le thème de l’humour en entreprise est devenu un champ de recherche extrêmement à la mode partout dans le monde.

Le Québec est une référence mondiale en humour. Il n’y a aucune place dans le monde où il existe une effervescence comparable à chez nous, et pourtant, le milieu académique québécois a affiché beaucoup de résistance à considérer humour et management.

Je suis contente d’avoir percé cette résistance, d’autant que ma thèse de maîtrise va être bientôt publiée sous la forme d’un livre qui va rejoindre, j’espère, un grand nombre de gestionnaires.

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