Tyson Philpot, le héros oublié

Winnipeg — Le soir du 19 novembre 2023, beaucoup de choses se sont passées. Les Alouettes de Montréal ont gagné une première Coupe Grey en 13 ans. Marc-Antoine Dequoy a livré un discours suffisamment puissant pour réveiller toute une nation. Cody Fajardo a été sacré joueur par excellence du championnat. Et voilà qu’en raison de cette ivresse et du temps qui passe, on a presque oublié l’auteur du jeu le plus déterminant de la saison.

Tyson Philpot se souvient parfaitement de la séquence ayant mené à son attrapé victorieux, avec 11 secondes à faire à la finale, alors que Montréal tirait de l’arrière par trois points face aux Blue Bombers de Winnipeg.

« Je me souviens de tout par cœur à partir du caucus », assure Philpot, sept mois plus tard, dans une loge du domicile des Bombers. Là où le maïs soufflé et les boissons gazeuses attendaient déjà les convives aux poches généreuses pour le match d’ouverture, jeudi soir.

« Je me rappelle la formation employée, je me rappelle que les maraudeurs ont changé de côté, je sais pourquoi Cody m’a lancé le ballon, parce qu’en fait, c’était un jeu où il y avait deux options. On avait étudié ce jeu tellement de fois. »

« C’était soit moi au poteau ou dans le coin à [Tyler] Snead. Le maraudeur m’a laissé la voie libre et Cody m’a fait une très bonne passe. »

— Tyson Philpot

Ça s’est terminé dans la zone des buts, les bras en forme de croix, comme un sauveur venu libérer une organisation prise jusque-là dans un éternel recommencement.

Mercredi, un peu plus de 24 heures avant de renouer avec l’action, Philpot avait cette fois les mains dans les poches. Il paraissait détendu dans son t-shirt blanc Nike et ses nouvelles espadrilles bleu poudre de la même marque.

Impossible, à la veille de reprendre le collier, de ne pas revenir sur le dernier jeu de la saison précédente. Une séquence que le receveur de 23 ans a revue « beaucoup de fois ».

« Trop de fois, en fait », se ravise-t-il immédiatement.

Natif de la Colombie-Britannique puisque son père, Cory, a évolué pour les Lions pendant quelques saisons comme porteur de ballon, Philpot rêvait d’un moment comme celui vécu en finale depuis le jour où il a été capable d’attraper le ballon ovale pour la première fois.

En fait, il n’est pas différent de tous les enfants s’étant déjà imaginés marquer le but victorieux en prolongation ou réussir un tir de trois points au son de la sirène. Le joueur des Alouettes a toutefois le luxe d’avoir réalisé son rêve. D’avoir concrétisé sa vision. « D’être le joueur qui tranche le débat, c’est difficile à battre comme souvenir. »

Chez lui, il a conservé le ballon de la victoire, le chandail, les gants et les espadrilles qu’il portait cette soirée-là. Tout est conservé dans une sorte de boîte en vitre. Et même le plus rusé des négociateurs ne pourrait le convaincre de s’en départir. « Personne ne touche à ça. Ça n’a pas de prix. Je vais garder ces souvenirs pour le reste de ma vie. »

La vie à Montréal

Philpot est resté à Montréal pendant presque l’entièreté de la saison morte. Il a maintenant son chez-soi au centre-ville, près du Centre Bell. « Vancouver est ma première maison et Montréal est devenu ma deuxième. »

Évidemment, son visage n’est pas aussi reconnu que celui de certains de ses coéquipiers, mais la victoire a quand même eu un effet sur son quotidien. « J’ai pu témoigner de l’amour des fans même pendant qu’il n’y avait pas de football. Ça a tout changé pour moi. »

D’ailleurs, il peine encore à croire comment et pourquoi des dizaines de milliers de personnes se sont massées un mercredi matin pluvieux de novembre dans les rues de la métropole pour les voir défiler.

Au mois de décembre, un peu avant Noël, Philpot a paraphé une prolongation de contrat avec l’équipe, le liant aux Alouettes jusqu’en 2025.

Accosté dans les couloirs du stade Princess Auto, Fajardo ne s’est pas fait prier pour expliquer pourquoi, à son avis, Philpot était encore un joueur sous-estimé.

« Quand on parle des receveurs canadiens, on en parle comme s’ils étaient là juste en raison de leur nationalité. Mais je peux le comparer à n’importe quel des meilleurs receveurs de la ligue. Il est rapide, il a de bonnes mains, ses tracés sont précis et il est solide s’il a besoin de bloquer. »

— Cody Fajardo à propos de Tyson Philpot

Dans sa chemise à manches courtes, malgré les vents vigoureux de l’ouest, le quart des Alouettes rappelle que Philpot a les atouts nécessaires pour rejoindre le groupe des receveurs capables d’atteindre le plateau des 1000 verges par saison. Il en a compilé 532 en 13 matchs en 2023. Il avait dû s’absenter en début de campagne à cause d’une blessure à une jambe.

« Le plus spécial chez lui, c’est à quel point il est méticuleux sur les détails. En plus, il ne commet jamais la même erreur deux fois. »

Casser la glace

L’an dernier, l’attaque montréalaise comptait énormément sur les prouesses du receveur Austin Mack. En choisissant la NFL, Mack a laissé vacant le poste de receveur numéro un de l’équipe.

« Austin était la pièce maîtresse, mais on croit que tout le monde peut contribuer. Tout le monde peut être un receveur élite. Ce sera difficile de nous arrêter. Tout le monde peut faire un gros jeu », souligne Philpot.

Le numéro 6, le même utilisé par son paternel lorsqu’il était actif, est d’un naturel assez jovial et plutôt plaisantin.

Jusqu’à ce que ça devienne une évidence, il n’ira donc jamais crier sur tous les toits que le poste lui revient ou que la cape de receveur principal lui irait à ravir. Ce qui est sans doute vrai, dans les faits, mais il ne voudrait pas créer de bisbille.

Il préfère parler du collectif, parce que c’est ce qui importe. À son avis, les Alouettes auraient mérité d’accueillir à domicile le deuxième acte entre Montréal et Winnipeg pour amorcer la saison, « mais au bout du compte, on est venus pour jouer au football ».

Et jouer, c’est possiblement ce que Philpot aime le plus au monde. Surtout lorsqu’à la fin, il marque le touché que tout le monde voudrait réaliser.

Le match des Alouettes contre les Blue Bombers sera présenté sur les ondes de RDS, ce jeudi à 20h30.

Cinq clés pour suivre la nouvelle saison

Voici cinq clés à retenir pour vous permettre de suivre adéquatement ce début de saison.

1. Le noyau demeure

Cody Fajardo, Tyson Philpot, Pier-Olivier Lestage, Darnell Sankey, Marc-Antoine Dequoy, David Côté… Tous les joueurs clés ayant permis à l’équipe de remporter une première Coupe Grey en 13 ans sont de retour avec les Alouettes. Enfin, un peu de stabilité. Le directeur général Danny Maciocia est parvenu à garder son noyau de joueurs intact. Idem du côté des entraîneurs. Jason Maas, Byron Archambault, Luc Brodeur-Jourdain, Anthony Calvillo et Noel Thorpe seront eux aussi de retour sur les lignes de côté avec les Alouettes. Compte tenu de leur succès en 2023, il est permis de croire que les Montréalais seront en mesure de défendre leur titre avec fermeté.

2. Les départs

Les Alouettes ont toutefois perdu deux morceaux importants au cours de la saison morte au profit d’équipes de la NFL. En attaque, le receveur Austin Mack est parti tenter sa chance à Atlanta avec les Falcons. Mack s’était démarqué à sa première saison à Montréal, l’an dernier, comme receveur numéro un de l’équipe. La cible de prédilection de Cody Fajardo avait accumulé 1154 verges et inscrit 4 touchés. En défense, Lwal Uguak a pris la direction de Tampa Bay en paraphant une entente avec les Buccaneers. Le gaillard de 6 pi 5 po et 271 lb avait réussi 3 sacs et 16 plaqués.

3. Les nouveaux visages

Danny Maciocia a tout de même été occupé depuis le mois de novembre. Éternel insatisfait, le directeur général a amené du renfort. Des joueurs comme le porteur de ballon Sean Thomas Erlington, le joueur de ligne défensive Derek Wiggan, le demi de coin Cre’Von LeBlanc et le secondeur Bryce Cosby, qui ont tous signé un contrat avec l’équipe, seront en uniforme lors du premier match. Au repêchage, les Als ont rapatrié le secondeur québécois Geoffrey Cantin-Arku lors du premier tour de l’encan. Issu de la NCAA, Cantin-Arku a bien paru pendant le camp d’entraînement.

4. La surprise du camp

Lorsque les Alouettes se sont entendus avec le vétéran receveur Tevin Jones à la mi-février, tout le monde dans le nid était extatique. Les attentes étaient immenses et on pensait avoir trouvé en lui le remplaçant d’Austin Mack. Or, Jones a fait partie des derniers joueurs retranchés au camp. C’est l’inattendu Charleston Rambo qui a été en mesure de pourvoir le poste laissé vacant par Mack. Rambo, un Américain de 24 ans fraîchement sorti de l’Université de Miami, sous contrat depuis moins d’un mois, a brillé au camp des Alouettes. Il a été, de loin, le plus remarqué.

5. Deux en deux ?

La Coupe Grey aura lieu à Vancouver cette année et en regardant la manière dont ça se dessine dans l’Association de l’Est, disons que les chances des Alouettes d’aller défendre leur titre sont assez bonnes. Ottawa ? L’alignement partant a mal paru la semaine dernière contre l’équipe C des Alouettes. Toronto ? Avec Chad Kelly suspendu pour au moins neuf rencontres et A. J. Ouellette parti en Saskatchewan, l’équipe aura du mal à rivaliser. Hamilton ? Possiblement les principaux rivaux des Alouettes, mais Bo Levi Mitchell vieillit, à 34 ans, et il a peu joué l’an passé. Le manque d’explosivité à l’attaque des Tiger-Cats pourrait les rattraper.

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