Covid-19

Malgré les aléas liés à l’approvisionnement, Québec se prépare à la vaccination de masse, ce qui présente son lot de défis.

Entrevue avec Daniel Paré

Branle-bas pour la vaccination de masse

Malgré les aléas liés à l’approvisionnement, c’est le branle-bas dans les coulisses pour préparer la vaccination de masse. Québec s’attend à administrer 1,4 million de doses par mois, au printemps. Pour y arriver, il faut recruter de 6000 à 8000 personnes pour participer à l’effort de guerre qui s’étirera sur neuf mois.

Faut-il être inquiets ?

Alors que les retards de livraison du vaccin Pfizer s’alourdissent et que l’Union européenne a signalé mardi qu’elle pourrait imposer des restrictions aux exportations de vaccins produits sur son territoire – ceux destinés au Canada proviennent de l’Europe –, faut-il être inquiets ? Pas outre mesure, selon le directeur de la campagne de vaccination contre la COVID-19 au Québec, Daniel Paré. « Quand je place ça dans un contexte de 12 millions de doses à donner [jusqu’en septembre], on parle de 100 000 doses [de retard], c’est quand même un petit chiffre. La même chose [se produirait] au mois de juin et on n’en entendrait même pas parler. Ce qu’on comprend, c’est que les fournisseurs de vaccins sont en train de s’organiser pour doubler, tripler leur capacité mondiale, et c’est ce qui nous rend confiants pour la suite des choses », a-t-il indiqué en entrevue avec La Presse.

Gouvernements préoccupés

François Legault n’a cependant pas caché son inquiétude, mardi. « C’est très inquiétant parce qu’on a encore une bonne partie de la population vulnérable qui n’est pas vaccinée », a-t-il affirmé, demandant au gouvernement Trudeau de tout faire pour régler le dossier. M. Trudeau a assuré que s’il existe « certaines préoccupations politiques par rapport à certains vaccins », pour l’heure, « le Canada n’est pas compris dans ces préoccupations ». Il estime cependant que si tel blocage survenait, « ce serait extrêmement préoccupant ». Le ralentissement a forcé Québec à reporter la vaccination dans les résidences privées pour aînés (RPA) au 8 février. Elle devait s’amorcer lundi. En revanche, Pfizer doit livrer la semaine prochaine 18 000 nouvelles doses, et 40 000 doses du vaccin de Moderna sont attendues. Québec a aussi atteint mardi son objectif d’injecter 225 000 doses à travers la province initialement prévu pour le 8 février.

Vers la « vaccination de masse »

Si le Québec n’a reçu aucune nouvelle dose de vaccins cette semaine, les autorités québécoises s’activent sur le terrain en prévision de la vaccination de masse. Premier objectif : trouver et « sécuriser » des centaines de lieux de vaccination. À Montréal, les efforts seront entre autres concentrés au Palais des congrès, au centre-ville. Dans la capitale, le site d’Expo-Cité a été désigné. Ces sites subiront un « premier test » dès la fin de février avec le début de la vaccination des personnes de 80 ans et plus, a indiqué M. Paré. « Il faut des sites avec une grande capacité physique à cause de la COVID et de la notion de distanciation », a-t-il illustré. Il revient aux établissements de santé d’établir le nombre de lieux nécessaire par secteur pour favoriser l’accès aux populations, ce qui est toujours en cours. Il pourrait y avoir plus de sites en Gaspésie que dans la Capitale-Nationale en raison de la densité de la population, par exemple. Des options de transport pourront être offertes selon les besoins, dans le respect des règles sanitaires.

Trouver la main-d’œuvre

L’enjeu de dénicher de la main-d’œuvre dans le contexte de pandémie que l’on connaît est bien réel. M. Paré estime qu’il faudra entre 6000 et 8000 personnes – ce qui inclut le personnel infirmier – pour mener « cette grande campagne » de vaccination. Les établissements garnissent déjà leurs listes par l’entremise de la plateforme « Je contribue » et la formation des vaccinateurs est en cours. « Dans un monde parfait, on n’aurait pas d’infirmières qui poseraient l’acte de piquer parce qu’elles seraient mieux utilisées pour évaluer les patients et surveiller l’après-vaccination », dit-il. Le personnel soignant est déjà très sollicité dans le réseau. Le gouvernement a signé des décrets autorisant une vingtaine d’ordres professionnels à vacciner. Les discussions se poursuivent avec les pharmaciens. Lorsque l’approvisionnement sera plus régulier, des pharmacies pourraient devenir des lieux complémentaires de vaccination.

Le défi de « mobiliser les gens »

En plus de la logistique, l’un des défis importants des autorités québécoises sera de « mobiliser les gens » pour qu’ils viennent se faire vacciner. La campagne sera soutenue pendant neuf mois, ce qui n’est pas court, et se tiendra en bonne partie en plein été, pendant les vacances. « Il va falloir s’assurer que les gens soient au rendez-vous », soutient M. Paré. Québec misera sur des campagnes de communication pour encourager les Québécois à se faire vacciner. On ajustera le message selon les clientèles visées. Le Registre de vaccination du Québec, créé dans la foulée de la grippe H1N1, permettra de suivre l’évolution de l’adhésion par tranches d’âges.

Prise de rendez-vous en un clic

Au Québec, on fera confiance à la plateforme « Clic Santé » pour la prise de rendez-vous. En quelques clics, la personne dont le groupe est actuellement vacciné pourra réserver une plage horaire pour recevoir la première dose du vaccin. Le rendez-vous pour l’administration de la deuxième dose sera donné au même moment. « C’est un outil qu’on a pu tester lors de la campagne de la vaccination contre l’influenza. En termes de capacité, ç’a été vérifié », a assuré M. Paré. Une ligne téléphonique sera aussi mise en service pour les clientèles moins à l’aise avec l’informatique. On prévoit vacciner sept jours sur sept à raison de 12 heures par jour.

Les leçons du H1N1

Oui, le Québec a pu tirer des leçons de la vaccination de masse en 2009 lors de la grippe pandémique H1N1, mais il ne faudrait pas commettre l’erreur de faire « un copier-coller », souligne M. Paré. « On connaît la recette. On sait qu’on peut vacciner 500 000 personnes par semaine, mais il y a beaucoup de différences », soutient-il. Il cite les défis de rendre les sites sécuritaires, sans risque de contamination, de l’administration de deux doses et la gestion d’au moins deux vaccins avec leurs propriétés. Il n’y avait pas non plus à l’époque d’enjeux d’approvisionnement.

— Avec la collaboration de Mélanie Marquis et d’Ariane Lacoursière, La Presse

Québec cherche 6,4 millions de seringues

La campagne de vaccination planétaire qui s’amorce vient avec son lot de défis d’approvisionnement pour le Québec. Parmi ceux-ci : trouver 6,4 millions de seringues d’ici le 1er avril prochain.

Le Centre d’acquisitions gouvernementales du Québec a lancé lundi un « avis d’intérêt » pour sonder la capacité de ses fournisseurs à lui livrer une quantité aussi importante de dispositifs d’injection de 1 ml « dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire actuel ». « Les biens doivent être disponibles pour le 1er avril 2021 », précise le document de deux pages, qui dicte une multitude de spécificités techniques exigées.

« Je ne dis pas que ce n’est pas faisable, mais ça s’annonce complexe », admet d’emblée le directeur général du fournisseur de matériel médical lavallois A.B.C. Médical, Pierre Archambault.

Parallèlement, différents CIUSSS de la province ont déjà accordé des contrats de gré à gré totalisant près de 100 000 $ pour acquérir de façon urgente des génératrices et des réfrigérateurs pour assurer que la température des vaccins reste conforme. Le décret d’urgence sanitaire a aussi été invoqué pour l’acquisition sans appel d’offres de services de transport de personnel pour les centres de vaccination, l’embauche d’agents de sécurité et d’ambulanciers, ainsi que l’achat de cloisons temporaires pour des cliniques de vaccination depuis le début de l’année.

Seringues homologuées

Contrairement aux masques et à l’équipement de protection, qui ont fait l’objet d’une course folle au début de la pandémie, l’achat de seringues devrait se faire de façon plus ordonnée.

La multinationale BD, principal fabricant mondial de seringues, a annoncé en novembre avoir réservé 75 millions de dispositifs d’injection pour le marché canadien, à la demande du gouvernement fédéral. Santé Canada a également homologué, la semaine dernière, les produits de deux fabricants chinois dans le cadre d’un décret d’urgence. « Dans le domaine médical, les Chinois produisent de la qualité », assure M. Archambault.

Les fournisseurs doivent impérativement être certifiés auprès de Santé Canada pour vendre des seringues, considérées comme des instruments médicaux de « Classe 2 », ce qui les oblige à avoir des mécanismes de traçabilité et des procédures de rappel.

« Il n’y a pas une seule compagnie qui détient une telle certification qui va prendre le risque de vendre des produits non conformes. »

— Pierre Archambault, directeur général d'A.B.C. Médical

« C’est sérieux, il y a des audits chaque année. Sans cette certification, on pourrait se retrouver avec des Joe Peddler qui vendent n’importe quoi, comme on l’a vu avec les masques », croit M. Archambault.

D’autres produits qui seront nécessaires à la campagne massive de vaccination, comme les collecteurs d’aiguilles, ces boîtes jaunes servant à récupérer les dispositifs de façon sécuritaire, « commencent déjà à être plus difficiles à trouver », souligne M. Archambault.

Malgré la forte demande mondiale, le fournisseur lavallois n’entrevoit pas de flambée des prix pour les seringues. « Ça devrait se maintenir autour de 16 $ la boîte de 100, soit 16 cents l’unité. Dans l’ensemble, ce n’est pas ce qui est le plus cher », relativise-t-il.

exemples d’acquisition sans appel de soumissions

Location de génératrice pour la clinique de vaccination de Salaberry-de-Valleyfield : 40 642 $

Transport par autobus pour le personnel hospitalier du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal pour la vaccination : 98 325 $

Achat de cloisons temporaires pour les cliniques du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal et pour le CIUSSS de l’Outaouais : 142 225 $

Embauche d’agents de sécurité pour le centre de vaccination du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke : 70 000 $

Source : système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec

Le système immunitaire a la mémoire longue

« Résumer la réponse immunitaire à des anticorps, c’est manquer de respect au système immunitaire », dit le virologue Andrés Finzi, de l’Université de Montréal. Les résultats des travaux de recherche qu’il a présentés mardi à la communauté scientifique montrent à quel point, en effet, la mesure du niveau d’anticorps ne permet pas à elle seule d’évaluer la protection par rapport au coronavirus SARS-CoV-2.

Les chercheurs montréalais, rattachés pour la plupart au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), ont étudié sur une longue période différents échantillons de plasma sanguin prélevés chez 32 personnes qui ont souffert et se sont remises d’une forme légère de la COVID-19. Leurs résultats – diffusés en prépublication mardi – montrent qu’au fil des mois suivant la guérison, le niveau des anticorps a diminué plus ou moins rapidement selon le type d’anticorps mesuré. Dans le cas de deux anticorps en particulier (IgM et IgA), la majorité des donneurs n’en présentaient plus aucune trace dans leur plasma sanguin après 31 semaines.

Mais il ne suffit pas de mesurer ce taux d’activité neutralisante pour évaluer la force du système immunitaire, dit Andrés Finzi. Le chercheur pointe vers une sorte de globules blancs, les cellules B mémoires (lymphocytes B), et leur capacité à reconnaître l’agresseur et à produire des anticorps au besoin : chez 92 % des donneurs étudiés, leur niveau a crû depuis l’attaque initiale puis est resté quasi intact, huit mois après l’infection.

« Ce qu’on voit est quand même extraordinaire. »

— Andrés Finzi, virologue au CHUM

Ces observations concordent avec celles d’autres chercheurs à l’étranger, dont ceux de l’Université Rockefeller aux États-Unis, dont les résultats publiés la semaine dernière dans la revue scientifique Nature confirmaient que la protection offerte par les cellules B mémoires durait au moins six mois.

Est-ce que la réponse immunitaire sera semblable chez les personnes qui ont reçu le vaccin ? C’est ce que s’attend à retrouver le virologue, au fil des recherches qu’il mène également sur cette question.

Plus grave, mieux immunisé ?

Aux côtés des lymphocytes B, qui produisent les anticorps, se trouve un autre type de cellules mémoires : les lymphocytes T, qui s’attaquent directement à l’antigène. Étonnamment, les personnes qui ont souffert d’une forme légère de la COVID-19 garderaient dans leur plasma des cellules T mémoires « dysfonctionnelles » qui seraient moins aptes à travailler efficacement. Mais chez les personnes qui ont souffert d’une forme grave de la maladie, les cellules T mémoires tendent à être plus nombreuses, et à rester plus longtemps dans l’organisme. « Les résultats de cette étude suggèrent que les personnes qui ont souffert de forme sévère de la COVID-19 pourraient avoir une immunité à long terme plus forte », a commenté le professeur Pandurangan Vijayanand, de l’Institut d’immunologie La Jolla, en Californie. Ses travaux ont été publiés le 21 janvier dans la revue Science Immunology.

— Judith Lachapelle, La Presse

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