Cannabis à des fins médicales

LA DEMANDE EXPLOSE CHEZ LES ANCIENS COMBATTANTS

Le ministère des Anciens Combattants du Canada (ACC) voit ses coûts de remboursement du cannabis à des fins médicales (CFM) exploser depuis le lancement du programme en 2016. Ceux-ci passeront de 154 millions en 2021-2022 à plus de 300 millions d’ici 2026, selon un document du Ministère qui évoque une « croissance continue et exponentielle ».

Autre constat étonnant : une importante partie des autorisations accordées pour remboursement de cannabis à des fins médicales l’a été par seulement 11 professionnels de la santé.

« Un très petit nombre de professionnels de la santé (11) ont remis des autorisations à un pourcentage disproportionnellement élevé de vétérans ayant accès au cannabis à des fins médicales (plus de 6000, ou environ 40 % du total) », indique-t-on dans une note destinée au ministre Lawrence MacAulay* et obtenue en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

« Devant la croissance continue et exponentielle de la demande envers le programme de CFM, Anciens Combattants Canada devra gérer adéquatement les ressources et examiner l’efficacité de ses politiques et programmes », poursuivent les auteurs.

Quantité « extrêmement élevée »

Une des causes de la hausse fulgurante des dépenses est le nombre d’anciens combattants qui reçoivent un remboursement pour des quantités supérieures aux normes établies.

Le programme prévoit en effet rembourser un maximum de trois grammes par jour, à un taux maximum de 8,50 $ par gramme. Mais dans 20 % des cas, dits « exceptionnels », il est supérieur. Au 31 décembre 2022, on dénombrait 4530 anciens combattants recevant des remboursements pour plus de trois grammes par jour, contre 3742 neuf mois plus tôt.

Ces dépassements préoccupent les vérificateurs d’ACC. « Les vétérans concernés par l’approbation exceptionnelle se voyaient rembourser en moyenne 7,1 grammes par jour, ce qui est extrêmement élevé par rapport à la moyenne de 2 grammes par jour signalée par Santé Canada pour les Canadiens ayant accès au CFM », dit-on.

De 2016-2017 à 2022-2023, le nombre de clients ayant des compensations du Ministère pour du cannabis à des fins médicales (toutes quantités confondues) est passé de 4474 à 21 108. Durant la même période, les sommes connexes sont passées de 63,7 millions à 195 millions (prévu) à la fin de 2022-2023.

Un dossier très récent

Médecin-chef du Ministère, la Dre Cyd Courchesne rejette l’idée d’une perte de contrôle. Elle estime plutôt que le dossier est très récent et que l’organisme est en mode observation et adaptation.

« Nous tenons compte de ce que nos vérificateurs internes observent et travaillons étroitement avec Santé Canada et la communauté scientifique pour améliorer nos niveaux de connaissance et nous ajuster », dit-elle.

L’usage du cannabis à des fins médicales a été légalisé au Canada par décision de la Cour suprême en 2000. En 2015, le même tribunal en a élargi l’usage, jusqu’alors limité au cannabis séché. Or, dans ce dossier, la Cour suprême semble être allée plus vite que la science.

« Le cannabis a été rendu disponible à des fins thérapeutiques en escamotant le processus (normal) fait de plusieurs études cliniques et au bout desquelles Santé Canada approuve un médicament et reconnaît [son innocuité] », rappelle le DDidier Jutras-Aswad, professeur au département de psychiatrie et d’addictologie à l’Université de Montréal.

Depuis, des études ont été menées, mais il faudra attendre des années avant d’arriver à une conclusion scientifique quant à l’impact du cannabis à des fins médicales sur la santé des usagers.

« Les données scientifiques actuelles montrent que le cannabis peut avoir des effets thérapeutiques pour certaines affections très précises et pour lesquelles il y a eu des études cliniques en bonne et due forme », dit le DJutras-Aswad en donnant en exemple les douleurs chroniques, les spasmes, etc.

Par contre, ajoute-t-il, il y a eu très peu d’études dites randomisées ou contrôlées où l’on compare le cannabis à d’autres interventions, dont un placebo.

Un débat qui doit se tenir

La Dre Courchesne fait le même constat et ajoute que le rôle de son ministère n’est pas de signer des autorisations à des clients pour s’approvisionner en cannabis, mais de rembourser les frais demandés. À son avis, le manque de connaissances dans le domaine explique le petit nombre de médecins signant ces autorisations.

Un passage du document obtenu par La Presse suggère que plusieurs anciens combattants utilisent le cannabis à des fins médicales pour soulager des troubles de santé mentale, dont le stress post-traumatique. Encore là, ACC n’a pas toutes les réponses.

« Nous n’avons pas accès aux dossiers des patients. Mais il arrive, exceptionnellement, que nous refusions des demandes. Nous en avons eu pour des doses allant jusqu’à 40 grammes par jour. »

— La Dre Cyd Courchesne, médecin-chef du ministère des Anciens Combattants

À la question de savoir si les autorisations signées par des professionnels de la santé pour l’achat de cannabis à des fins médicales s’accompagnent d’une baisse de remboursements pour d’autres médicaments, comme des antidépresseurs, ou pour des consultations en santé mentale, la Dre Courchesne répond : « Nous ne pouvons faire de lien de cause à effet, mais en général, nous n’avons pas constaté de baisse. »

De son côté, la toxicologue judiciaire Tamaro Diallo ne trouve pas préoccupantes les données contenues dans le document. « Il est intéressant que le débat existe, dit-elle. Cela permet de créer une éducation et de solliciter la curiosité. »

Le cannabis cause moins de dépendances que d’autres substances comme les opioïdes, poursuit-elle. « Des individus avec des troubles psychologiques ou physiques vont essayer de régler leurs problèmes et regarder les options existantes. Si une option non légalisée fait que leurs douleurs sont apaisées, la tentation est là. Et le gros problème avec les opioïdes, ce sont la dépendance et les surdoses. Si le cannabis peut être une alternative, tant mieux. Mais toujours dans l’optique de réévaluer de façon continuelle ce qui est le moins dommageable, socialement et financièrement. »

* Depuis le remaniement ministériel du 26 juillet dernier, Lawrence MacAulay occupe désormais les fonctions de ministre de l’Agriculture.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

De 291 à 2260

Le nombre de clients des anciens combattants, au Québec, qui se font rembourser du cannabis à des fins médicales est passé de 291 en 2016-2017 à 2260 au 31 mars 2023. Le Québec est au quatrième rang des provinces canadiennes quant au nombre de membres concernés.

source : anciens combattants canada

461 240

Nombre d’anciens combattants au Canada d’après le recensement de 2021, dont 104 695 au Québec. Parmi eux, 192 335 étaient clients d’Anciens Combattants Canada, tous services confondus, en 2021-2022.

source : anciens combattants canada

Cannabis à des fins médicales

Du bon et du moins bon, selon un ancien militaire

Sergent retraité de l’armée canadienne où il a servi durant 25 ans, Michel Albert consomme du cannabis en pulvérisateur afin de soigner des problèmes de dos. Son impression, basée sur son expérience personnelle et ses échanges avec d’autres anciens militaires : il y a du bon et du moins bon dans l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques.

« Cela apporte plusieurs bienfaits tels que l’atténuation des douleurs chroniques et aide plusieurs vétérans à réduire les crises de panique et la détresse psychologique », dit en entrevue l’homme de 71 ans qui gère un site internet et une chaîne YouTube (Le Vet-Errant) consacrés aux anciens combattants.

Souffrant de deux hernies discales dans le bas du dos, M. Albert dit avoir reçu des ordonnances de morphine dans le passé. « Mais cela crée une dépendance assez importante », dit-il. Il a tenté de cesser abruptement d’en prendre. Une très mauvaise idée ! « Il ne faut pas faire ça d’un coup », avertit M. Albert, qui prend encore cette substance lors d’épisodes où son dos se « barre ».

Pour revenir au cannabis, il y voit aussi des désavantages. « La consommation régulière peut avoir une incidence sur la concentration, la mémoire à court terme et les réflexes », dit-il, tout en prenant soin d’indiquer que les effets ne sont pas les mêmes d’une personne à l’autre. « Tu peux aussi perdre le goût de sortir, de te retrouver avec d’autres personnes », ajoute-t-il.

Sur le site de Santé Canada, on indique que le cannabis peut avoir des effets néfastes à court comme à long terme. Confusion, somnolence, capacité réduite de concentration, voire épisodes psychotiques sont inscrits dans cette liste.

En 2017, l’Académie des sciences des États-Unis a aussi conclu, dans une étude très fouillée, que des effets indésirables, sur les plans tant physique que psychologique, peuvent être détectés chez une minorité appréciable de cas.

« Moins gênant »

Michel Albert estime que le fait d’avoir rendu le cannabis à des fins médicales accessible légalement aux anciens combattants a eu un effet positif moins visible, mais quand même important : chasser la gêne chez plusieurs d’entre eux.

« Bien sûr, il y a du cannabis qui  s’achetait et se consommait auparavant. Mais c’est moins gênant aujourd’hui de dire que tu en consommes. Aujourd’hui, tu passes pour quelqu’un qui prend soin de sa santé. »

— Michel Albert, sergent retraité des Forces armées canadiennes

Avec des organismes spécialisés, l’accès est assez « facile », dit M. Albert, dont les dépenses mensuelles en cannabis (828 $) sont entièrement remboursées.

À noter que si le ministère des Anciens Combattants a permis l’accès au cannabis à des fins médicales, ce n’est pas le cas des Forces armées canadiennes, qui ont leur propre service de santé. Un porte-parole, le lieutenant Gabriel Pitre, rappelle que le cannabis à des fins médicales ne peut être prescrit, car « il ne s’agit pas d’un médicament enregistré par Santé Canada avec un numéro d’identification ».

Le service de santé des Forces armées canadiennes (FAC), qui se moule sur les standards du régime public, ne possède pas ce « médicament » dans sa liste.

Les fournisseurs qui fournissent des soins aux membres des FAC « ne peuvent donc pas autoriser les documents médicaux permettant aux membres des FAC d’accéder à la marijuana médicale », conclut Gabriel Pitre.

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Aucun établissement du département américain des Anciens Combattants ne fournit de cannabis à des fins médicales. La substance demeure illégale au niveau fédéral. Toutefois, 37 États l’autorisent et les anciens combattants qui s’en procurent ne sont pas pénalisés.

source : VETERANS CANNABIS PROJECT ET U.S. DEPARTMENT OF VETERANS AFFAIRS

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