Éditorial

De l’argent en santé, pas une guerre de clochers

Le courant avait l’air de bien passer entre François Legault et Justin Trudeau, la semaine dernière, lors de l’annonce d’un projet d’usine de batteries électriques au Québec.

Tout sourire, dans un décor aux allures préélectorales, les deux premiers ministres, réunis pour la première fois depuis un an, sont passés par-dessus leurs querelles virtuelles des derniers mois, notamment sur la gestion du transport aérien et la vaccination.

Comme quoi les relations sont plus faciles en personne.

Pas de flammèche, donc. Mais un désaccord persiste. Et il est majeur. Ottawa ne s’entend pas avec les provinces sur le financement des soins de santé, malgré les urgents besoins révélés par la COVID-19.

On ne peut pas fermer les yeux sur le terrible bilan des CHSLD où un résidant sur six est mort durant la pandémie. Encore plus troublant : le taux de mortalité a été environ 30 % plus élevé dans les CHSLD privés non conventionnés qui coûtent justement 20 % moins cher à l’État.

Crûment dit, moins d’argent, ça tue.

Il faut que ça change. Et vite, car l’ouragan démographique va faire exploser les besoins au cours de la prochaine décennie.

Ce n’est pas avec la promesse électorale de la CAQ d’ajouter 2600 places d’ici 2022 en construisant des Maisons des aînés – dont les coûts sont beaucoup plus élevés que prévu – qu’on pourra combler les besoins grandissants. Très loin de là.

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Les provinces ont raison d’exiger qu’Ottawa paie sa juste part, en augmentant les transferts en santé.

Il y a du rattrapage à faire. Lors de la création de l’assurance maladie dans les années 60, l’objectif était de partager la facture à parts égales. Mais aujourd’hui, Ottawa ne verse plus que 22 % de la note. Les provinces veulent ramener sa contribution à 35 %, ce qui représenterait une facture annuelle de 28 milliards pour le fédéral, dont six milliards iraient à Québec qui en a drôlement besoin pour boucler son budget. Par la suite, les provinces souhaitent que les transferts fédéraux soient indexés de 5 % par an, afin de couvrir la hausse prévue des dépenses en santé.

Mathématiquement et financièrement, cette demande tient la route.

Même si Ottawa accuse un déficit monstre à cause de la COVID-19, le Directeur parlementaire du budget maintient que ses finances restent viables à long terme, alors que celles des provinces sont appelées à se détériorer.

C’est que l’argent est à Ottawa, mais que les dépenses sont dans les provinces.

Sauf qu’Ottawa n’est pas pressé de régler ce déséquilibre fiscal. En gros, Justin Trudeau répond : on gère la pandémie, on verra ensuite. Pourtant, son gouvernement trouve le temps de réfléchir à de nouveaux projets majeurs, comme un programme national de garderies qui pourrait bien faire l’objet d’une annonce dans son prochain budget.

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Il faut quand même souligner qu’Ottawa n’est pas resté les bras croisés. En juillet dernier, il a offert 19 milliards aux provinces pour leur permettre de lutter contre la COVID-19. Ce n’est pas rien.

Or, les provinces ont besoin d’un financement stable, pas d’offres à la carte pour une durée limitée. Bien sûr, il est politiquement plus payant pour Ottawa de multiplier les annonces que laisser son chéquier aux provinces. Mais cela force les provinces à quémander sans cesse, une approche malsaine qui les empêche de voir à long terme.

Pour le contribuable, que ce soit Québec ou Ottawa qui paie la note, l’argent vient de la même poche. La population veut des soins de qualité, pas des guerres de clocher.

Mais Ottawa cherche la bagarre en essayant d’imposer des normes nationales aux provinces, ce qui va à l’encontre du fédéralisme d’ouverture que Justin Trudeau prônait lors de son accession au pouvoir.

Disons-le clairement : la santé est de compétence provinciale. Il est donc pour le moins dérangeant de voir Justin Trudeau dire quoi faire aux provinces, alors que ce n’est pas lui qui est sur le terrain. Les provinces n’ont peut-être pas eu tout bon dans la gestion de la crise. Mais Ottawa est loin d’avoir été parfait : pensez seulement aux nombreux ratés dans la gestion des aéroports et des voyages à l’étranger.

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Pour l’instant, le front commun des provinces, mené par François Legault à titre de président du Conseil de la fédération, reste cimenté. Mais il pourrait se fissurer si Ottawa conclut des ententes avec les plus petites provinces, comme lors de la dernière ronde de négociation en 2017.

Pour éviter de jouer dans le même film, pourquoi ne pas s’entendre sur la mise en place d’un comité d’experts réputés qui aurait le mandat d’étudier la question de manière objective ? C’est ce que Stephen Harper avait fait, en 2007, en confiant au comité O’Brien le soin de régler l’épineuse question de la péréquation.

Voilà qui mettrait fin à la guerre de clocher et permettrait de résoudre le conflit une bonne fois pour toutes.

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