Encore des ombres aux tableaux
À la veille du 100e anniversaire de naissance de Jean Paul Riopelle, le 7 octobre, de nouveaux développements judiciaires liés à sa succession jouent les trouble-fête. Le fils du célèbre peintre, sculpteur et graveur demande aux tribunaux québécois de reconnaître et d’exécuter une décision française qui lui concède un héritage équivalent à celui de chacune de ses deux demi-sœurs. De nombreuses œuvres de l’artiste montréalais pourraient ainsi prendre le chemin de l’Europe, où réside Yann Fravalo-Riopelle.
La demande « en reconnaissance et exécution de jugement étranger » a été déposée le 6 septembre dernier au palais de justice de Montréal. Son issue divise les juristes consultés par La Presse.
Le testament de Jean Paul Riopelle ne mentionne pas son fils, né hors mariage. Ses deux filles, Yseult et Sylvie, ainsi que sa dernière compagne, Huguette Vachon, sont les trois seules héritières.
Or, c’est une entente signée par les trois enfants du peintre, le 5 octobre 2002 à Paris, qui est au cœur du litige.
« Je soussignée, atteste que ma volonté est que les actifs successoraux recueillis par moi dans la succession de mon père Jean Paul [Riopelle] soient répartis par tiers en parts égales entre mon frère Yann, ma sœur et moi. »
— Yseult Riopelle et Sylvie Riopelle-Gamet, dans un document de cour français consulté par La Presse
En décembre 2015, Yann Fravalo-Riopelle a sollicité le tribunal d’Auxerre, au sud de Paris, pour faire respecter ces engagements. Le juge a alors retenu les arguments de ses deux demi-sœurs, qui ont fait valoir qu’il s’agissait d’une donation « nulle pour vice de forme, faute d’avoir été faite par acte authentique ».
La Cour d’appel de Paris, le 19 juin 2016, a révoqué cette décision, mentionnant que les « obligations naturelles » (ou morales) de l’époque sont devenues des « obligations civiles ». Enfin, le 11 octobre 2017, la Cour de cassation a rejeté une demande de révision des sœurs Riopelle. Cette décision de justice est devenue « exécutoire », donc applicable sur-le-champ… sur le territoire français.
Les arrêts ordonnent aux deux femmes de céder à leur demi-frère « un tiers des actifs [qu’elles ont] recueillis dans la succession de feu Jean Paul Riopelle ». Sylvie Riopelle-Gamet, qui réside dans l’Hexagone, a remis « certains biens » à son demi-frère en octobre 2018, mais ce dernier « nie toutefois qu’ils constituent un tiers de sa part des actifs ».
En se tournant vers la Cour supérieure, M. Fravalo-Riopelle souhaite maintenant mettre la main sur des œuvres de grande valeur détenues par ses demi-sœurs au Québec, où se trouve la plus grande part du legs du « trappeur supérieur ».
« J’ai fait le nécessaire il y a bientôt trois ans pour répondre aux décisions françaises », indique pour sa part Yseult Riopelle, fille aînée de Jean Paul Riopelle, dans un courriel transmis à La Presse.
« Pour le reste, je répondrai à cette nouvelle action et aux allégations y étant contenues devant les tribunaux canadiens. »
— Yseult Riopelle
Yseult Riopelle indique qu’elle n’accordera aucune entrevue « considérant les procédures en cours ». « Des jugements français ayant été rendus en 2016 et 2017 en France, je suis surprise de la décision de M. Fravalo d’entreprendre aujourd’hui ces nouvelles procédures au Canada », nous a toutefois indiqué la cofondatrice de la Fondation Riopelle et la directrice du Catalogue raisonné consacré à son père.
Ces développements surviennent alors que le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) vient d’annoncer la firme d’architecture retenue pour son fort attendu Espace Riopelle, à Québec. Des œuvres données par Yseult Riopelle y seront notamment exposées, souligne la demande déposée à la cour.
« Les défenderesses se sont départies de certains actifs au profit de tiers, sinon depuis l’arrêt de la Cour d’appel, au moins depuis celui de la Cour de cassation, vraisemblablement contre paiement en argent, avantage fiscal ou autrement », lit-on dans la demande en justice.
Selon un communiqué du MNBAQ daté du 2 décembre 2021, Yseult Riopelle a fait don de deux toiles de son père au musée, Les girouettes en folie – la nuit – le jour (1984) et Bestiaire (1989).
« Pour tous les dons d’œuvres, le MNBAQ applique rigoureusement le processus d’acquisition qui prévoit, entre autres, une convention de donation », a déclaré à La Presse Jean-Luc Murray, directeur général du musée. « Nous allons laisser la justice suivre son cours. Le MNBAQ suivra les recommandations au terme du processus judiciaire en respectant la décision finale, notamment si elle a un impact sur les œuvres de sa collection. »
Les avocats québécois de M. Fravalo-Riopelle, du cabinet Lavery, ne souhaitent pas commenter le dossier pour l’instant.