Succession de Jean Paul Riopelle 

Encore des ombres aux tableaux 

La mort de Jean Paul Riopelle, le 12 mars 2002, a ravivé les tensions entre ses enfants et sa dernière compagne. En jeu : une succession de dizaines de millions de dollars et une empreinte picturale inestimable. Vingt ans après le début du premier litige, la chicane se poursuit au sein même de la fratrie, de part et d’autre de l’Atlantique.

À la veille du 100anniversaire de naissance de Jean Paul Riopelle, le 7 octobre, de nouveaux développements judiciaires liés à sa succession jouent les trouble-fête. Le fils du célèbre peintre, sculpteur et graveur demande aux tribunaux québécois de reconnaître et d’exécuter une décision française qui lui concède un héritage équivalent à celui de chacune de ses deux demi-sœurs. De nombreuses œuvres de l’artiste montréalais pourraient ainsi prendre le chemin de l’Europe, où réside Yann Fravalo-Riopelle.

La demande « en reconnaissance et exécution de jugement étranger » a été déposée le 6 septembre dernier au palais de justice de Montréal. Son issue divise les juristes consultés par La Presse.

Le testament de Jean Paul Riopelle ne mentionne pas son fils, né hors mariage. Ses deux filles, Yseult et Sylvie, ainsi que sa dernière compagne, Huguette Vachon, sont les trois seules héritières.

Or, c’est une entente signée par les trois enfants du peintre, le 5 octobre 2002 à Paris, qui est au cœur du litige.

« Je soussignée, atteste que ma volonté est que les actifs successoraux recueillis par moi dans la succession de mon père Jean Paul [Riopelle] soient répartis par tiers en parts égales entre mon frère Yann, ma sœur et moi. »

— Yseult Riopelle et Sylvie Riopelle-Gamet, dans un document de cour français consulté par La Presse

En décembre 2015, Yann Fravalo-Riopelle a sollicité le tribunal d’Auxerre, au sud de Paris, pour faire respecter ces engagements. Le juge a alors retenu les arguments de ses deux demi-sœurs, qui ont fait valoir qu’il s’agissait d’une donation « nulle pour vice de forme, faute d’avoir été faite par acte authentique ».

La Cour d’appel de Paris, le 19 juin 2016, a révoqué cette décision, mentionnant que les « obligations naturelles » (ou morales) de l’époque sont devenues des « obligations civiles ». Enfin, le 11 octobre 2017, la Cour de cassation a rejeté une demande de révision des sœurs Riopelle. Cette décision de justice est devenue « exécutoire », donc applicable sur-le-champ… sur le territoire français.

Les arrêts ordonnent aux deux femmes de céder à leur demi-frère « un tiers des actifs [qu’elles ont] recueillis dans la succession de feu Jean Paul Riopelle ». Sylvie Riopelle-Gamet, qui réside dans l’Hexagone, a remis « certains biens » à son demi-frère en octobre 2018, mais ce dernier « nie toutefois qu’ils constituent un tiers de sa part des actifs ».

En se tournant vers la Cour supérieure, M. Fravalo-Riopelle souhaite maintenant mettre la main sur des œuvres de grande valeur détenues par ses demi-sœurs au Québec, où se trouve la plus grande part du legs du « trappeur supérieur ».

« J’ai fait le nécessaire il y a bientôt trois ans pour répondre aux décisions françaises », indique pour sa part Yseult Riopelle, fille aînée de Jean Paul Riopelle, dans un courriel transmis à La Presse.

« Pour le reste, je répondrai à cette nouvelle action et aux allégations y étant contenues devant les tribunaux canadiens. »

— Yseult Riopelle

Yseult Riopelle indique qu’elle n’accordera aucune entrevue « considérant les procédures en cours ». « Des jugements français ayant été rendus en 2016 et 2017 en France, je suis surprise de la décision de M. Fravalo d’entreprendre aujourd’hui ces nouvelles procédures au Canada », nous a toutefois indiqué la cofondatrice de la Fondation Riopelle et la directrice du Catalogue raisonné consacré à son père.

Espace Riopelle 

Ces développements surviennent alors que le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) vient d’annoncer la firme d’architecture retenue pour son fort attendu Espace Riopelle, à Québec. Des œuvres données par Yseult Riopelle y seront notamment exposées, souligne la demande déposée à la cour.

« Les défenderesses se sont départies de certains actifs au profit de tiers, sinon depuis l’arrêt de la Cour d’appel, au moins depuis celui de la Cour de cassation, vraisemblablement contre paiement en argent, avantage fiscal ou autrement », lit-on dans la demande en justice.

Selon un communiqué du MNBAQ daté du 2 décembre 2021, Yseult Riopelle a fait don de deux toiles de son père au musée, Les girouettes en folie – la nuit – le jour (1984) et Bestiaire (1989).

« Pour tous les dons d’œuvres, le MNBAQ applique rigoureusement le processus d’acquisition qui prévoit, entre autres, une convention de donation », a déclaré à La Presse Jean-Luc Murray, directeur général du musée. « Nous allons laisser la justice suivre son cours. Le MNBAQ suivra les recommandations au terme du processus judiciaire en respectant la décision finale, notamment si elle a un impact sur les œuvres de sa collection. »

Les avocats québécois de M. Fravalo-Riopelle, du cabinet Lavery, ne souhaitent pas commenter le dossier pour l’instant.

Succession de Jean Paul Riopelle 

Encore des ombres aux tableaux 

La mort de Jean Paul Riopelle, le 12 mars 2002, a ravivé les tensions entre ses enfants et sa dernière compagne. En jeu : une succession de dizaines de millions de dollars et une empreinte picturale inestimable. Vingt ans après le début du premier litige, la chicane se poursuit au sein même de la fratrie, de part et d’autre de l’Atlantique.

À la veille du 100anniversaire de naissance de Jean Paul Riopelle, le 7 octobre, de nouveaux développements judiciaires liés à sa succession jouent les trouble-fête. Le fils du célèbre peintre, sculpteur et graveur demande aux tribunaux québécois de reconnaître et d’exécuter une décision française qui lui concède un héritage équivalent à celui de chacune de ses deux demi-sœurs. De nombreuses œuvres de l’artiste montréalais pourraient ainsi prendre le chemin de l’Europe, où réside Yann Fravalo-Riopelle.

La demande « en reconnaissance et exécution de jugement étranger » a été déposée le 6 septembre dernier au palais de justice de Montréal. Son issue divise les juristes consultés par La Presse.

Le testament de Jean Paul Riopelle ne mentionne pas son fils, né hors mariage. Ses deux filles, Yseult et Sylvie, ainsi que sa dernière compagne, Huguette Vachon, sont les trois seules héritières.

Or, c’est une entente signée par les trois enfants du peintre, le 5 octobre 2002 à Paris, qui est au cœur du litige.

« Je soussignée, atteste que ma volonté est que les actifs successoraux recueillis par moi dans la succession de mon père Jean Paul [Riopelle] soient répartis par tiers en parts égales entre mon frère Yann, ma sœur et moi. »

— Yseult Riopelle et Sylvie Riopelle-Gamet, dans un document de cour français consulté par La Presse

En décembre 2015, Yann Fravalo-Riopelle a sollicité le tribunal d’Auxerre, au sud de Paris, pour faire respecter ces engagements. Le juge a alors retenu les arguments de ses deux demi-sœurs, qui ont fait valoir qu’il s’agissait d’une donation « nulle pour vice de forme, faute d’avoir été faite par acte authentique ».

La Cour d’appel de Paris, le 19 juin 2016, a révoqué cette décision, mentionnant que les « obligations naturelles » (ou morales) de l’époque sont devenues des « obligations civiles ». Enfin, le 11 octobre 2017, la Cour de cassation a rejeté une demande de révision des sœurs Riopelle. Cette décision de justice est devenue « exécutoire », donc applicable sur-le-champ… sur le territoire français.

Les arrêts ordonnent aux deux femmes de céder à leur demi-frère « un tiers des actifs [qu’elles ont] recueillis dans la succession de feu Jean Paul Riopelle ». Sylvie Riopelle-Gamet, qui réside dans l’Hexagone, a remis « certains biens » à son demi-frère en octobre 2018, mais ce dernier « nie toutefois qu’ils constituent un tiers de sa part des actifs ».

En se tournant vers la Cour supérieure, M. Fravalo-Riopelle souhaite maintenant mettre la main sur des œuvres de grande valeur détenues par ses demi-sœurs au Québec, où se trouve la plus grande part du legs du « trappeur supérieur ».

« J’ai fait le nécessaire il y a bientôt trois ans pour répondre aux décisions françaises », indique pour sa part Yseult Riopelle, fille aînée de Jean Paul Riopelle, dans un courriel transmis à La Presse.

« Pour le reste, je répondrai à cette nouvelle action et aux allégations y étant contenues devant les tribunaux canadiens. »

— Yseult Riopelle

Yseult Riopelle indique qu’elle n’accordera aucune entrevue « considérant les procédures en cours ». « Des jugements français ayant été rendus en 2016 et 2017 en France, je suis surprise de la décision de M. Fravalo d’entreprendre aujourd’hui ces nouvelles procédures au Canada », nous a toutefois indiqué la cofondatrice de la Fondation Riopelle et la directrice du Catalogue raisonné consacré à son père.

Espace Riopelle 

Ces développements surviennent alors que le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) vient d’annoncer la firme d’architecture retenue pour son fort attendu Espace Riopelle, à Québec. Des œuvres données par Yseult Riopelle y seront notamment exposées, souligne la demande déposée à la cour.

« Les défenderesses se sont départies de certains actifs au profit de tiers, sinon depuis l’arrêt de la Cour d’appel, au moins depuis celui de la Cour de cassation, vraisemblablement contre paiement en argent, avantage fiscal ou autrement », lit-on dans la demande en justice.

Selon un communiqué du MNBAQ daté du 2 décembre 2021, Yseult Riopelle a fait don de deux toiles de son père au musée, Les girouettes en folie – la nuit – le jour (1984) et Bestiaire (1989).

« Pour tous les dons d’œuvres, le MNBAQ applique rigoureusement le processus d’acquisition qui prévoit, entre autres, une convention de donation », a déclaré à La Presse Jean-Luc Murray, directeur général du musée. « Nous allons laisser la justice suivre son cours. Le MNBAQ suivra les recommandations au terme du processus judiciaire en respectant la décision finale, notamment si elle a un impact sur les œuvres de sa collection. »

Les avocats québécois de M. Fravalo-Riopelle, du cabinet Lavery, ne souhaitent pas commenter le dossier pour l’instant.

Une question de « compétence »

Quelles sont les chances que des œuvres de Riopelle changent de main au terme de la demande judiciaire de son fils ? Les experts consultés par La Presse expriment des avis divergents.

L’article 3155 du Code civil du Québec stipule que « toute décision rendue hors du Québec est reconnue et, le cas échéant, déclarée exécutoire par l’autorité du Québec », sauf dans six cas, dont le suivant : « L’autorité de l’État dans lequel la décision a été rendue n’était pas compétente. »

C’est ce point qui devrait occuper une large part du débat. « La première objection que l’avocat des filles de Riopelle va faire, j’en suis convaincu, c’est de dire que le tribunal français n’avait pas juridiction », souligne Michel Beauchamp, notaire émérite et chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

« En droit international privé, la loi successorale applicable, c’est celle du dernier domicile du défunt. Donc, dans le cas de M. Riopelle [qui est mort à L’Isle-aux-Grues], c’est la loi québécoise. »

— Michel Beauchamp, notaire

Une exception : les biens immeubles, qui sont soumis à la juridiction du pays où ils se trouvent. En conséquence de cette règle, M. Fravalo-Riopelle, en tant qu’« héritier réservataire », a obtenu un logement en France après la mort de son père.

Quid du document signé à Paris par les trois enfants, qui concernait aussi les biens situés entre nos frontières ? « En droit québécois, l’entente ne vaut pas plus cher que le papier sur lequel elle a été écrite, selon MBeauchamp. Les règles québécoises doivent s’appliquer à cette succession-là. Il s’agit d’une donation et, selon le Code civil, celle-ci doit obligatoirement être faite par acte notarié en minute, sauf s’il s’agit d’un don manuel [remis en main propre]. »

En entrevue avec La Presse, Sylvette Guillemard, professeure à la faculté de droit de l’Université Laval, expose un avis tout autre. La décision de la justice française coche toutes les cases prévues au Code civil pour être reconnue et exécutée au Québec, selon la spécialiste du droit international privé.

« Si j’étais juge, je m’accrocherais à mon article 3155, qui est mon seul guide. Pour moi, l’autorité française était tout à fait compétente. Ce n’est pas une demande farfelue ou complexe. A priori, je ne vois rien qui s’opposerait à cette reconnaissance. »

— Sylvette Guillemard, professeure à la faculté de droit de l’Université Laval

La compétence ne concerne pas « la loi que le tribunal va appliquer » mais bien « le tribunal qui va se prononcer ». « Ce sont deux choses complètement différentes », précise-t-elle.

Alors oui, insiste Mme Guillemard, des toiles de feu Riopelle pourraient bientôt prendre la direction de la France ou être vendues au Québec à la faveur de son fils.

Refaire l’inventaire ?

Après une première bataille judiciaire avec la compagne de Jean Paul Riopelle, Huguette Vachon, les filles du regretté peintre ont reçu leurs premières œuvres en 2004, et se les sont partagées pour de bon en 2009.

M. Fravalo-Riopelle regrette, dans sa requête judiciaire, de n’avoir « reçu ni inventaire ni reddition de compte complète de quiconque au moment de la liquidation de la succession », à la fois en ce qui concerne les œuvres et les transactions dont elles ont fait l’objet.

Lui-même a écoulé des œuvres qu’il s’était fait donner par ses demi-sœurs.

Selon la demande déposée au palais de justice, l’inventaire de la succession de Riopelle faisait état d’une valeur nette de 37 millions en mars 2002. Le fils du peintre soutient que le recensement fait à l’époque était inexact et incomplet. Il demande à la Cour supérieure du Québec de pouvoir « connaître les biens qu’il aurait dû recevoir et ce qu’il est advenu de ceux-ci depuis ».

À partir de ce recensement, M. Fravalo-Riopelle suggère qu’un expert compose trois lots d’actifs « égaux et équilibrés » en valeur et en qualité. Chacun serait ensuite dévolu à un enfant par tirage au sort.

Les procédures judiciaires doivent se poursuivre dans les prochains mois.

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