Troque ta toque, soldat !

Fourrure d’ours ou poils synthétiques ? Les couvre-chefs de la Garde royale britannique font l’objet d’un litige au Royaume-Uni…

Vous parlez bien des gros bonnets de poil portés par les soldats au moment du changement de la garde ? Ceux qui ressemblent à des moumoutes de micro ? Quel est le problème ?

Le problème, c’est que ces « moumoutes », comme vous dites, sont fabriquées en peau d’ours noir du Canada, d’où leur nom anglais : bearskins. À l’heure où les manteaux de fourrure n’ont plus trop la cote, l’organisation Peta pour la défense des animaux somme le ministère de la Défense britannique d’envisager le remplacement de ces chapeaux par des toques en fausse fourrure. Or, celui-ci fait la sourde oreille. Un processus judiciaire a été entamé par Peta et un juge décidera si l’affaire doit être portée devant les tribunaux.

La sourde oreille ? Que voulez-vous dire ?

Le ministère de la Défense promet depuis 2002 qu’il remplacera les bonnets de ses gardes si on lui propose des solutions de rechange viables. Or, Peta vient de concevoir des chapeaux en poils synthétiques (ECOPEL), qui « respectent et parfois dépassent » les exigences gouvernementales, « notamment en matière de hauteur et d’imperméabilité », selon Kate Werner, cheffe de campagne chez Peta. Le problème, dit-elle, est que le Ministère « refuse de même accréditer » les tests en laboratoire effectués par l’organisation animaliste. « Nous estimons que le Ministère se conduit illégalement en ne respectant pas sa promesse », résume Mme Werner.

Pourquoi le gouvernement britannique est-il aussi fermé ?

Fermé, on ne sait pas. Mais il a ses arguments. Il avance que des chapeaux en poils synthétiques n’empêcheraient pas la chasse à l’ours d’exister. Il assure que les bêtes ont été tuées de façon légale au Canada, avec permis de chasse dûment délivrés. En ce qui le concerne, il n’y a donc « aucun plan » pour troquer ces toques contre du toc. Mme Werner précise que l’actuel ministre de la Défense, Ben Wallace – lui-même un ancien militaire –, a toujours été contre la fourrure synthétique, parce que cela irait à l’encontre d’une « glorieuse tradition militaire ».

Et que répond Peta ?

Pas d’accord, vous pensez bien. Pour l’organisation de défense des animaux, il est aberrant que les gardes britanniques continuent de porter de la fourrure véritable, étant donné les nouvelles sensibilités. « Ce sont essentiellement des trophées de chasse. Qu’on le veuille ou non, ils encouragent la création d’un marché pour la fourrure de l’ours noir, souligne Mme Werner. De plus, 95 % de la population britannique rejette l’utilisation de la fourrure. Cette tradition va donc à l’encontre des sentiments de la population. » Mme Wallace relève avec ironie que le gouvernement britannique est en train de légiférer contre l’importation des trophées de chasse, ce qui n’a « aucun sens » selon elle.

Oui, mais enfin, ce sont des paroles de militants, ça…

Pas faux. Pour avoir un point de vue plus objectif, on a contacté Valéry Giroux, directrice adjointe du Centre de recherche en éthique (CRE) spécialisée en droits des animaux. Mme Giroux juge aussi que les arguments du gouvernement britannique ne sont pas convaincants. « Ce n’est pas parce que les permis [de chasse] sont légaux que la pratique est morale. Or, l’utilisation de fourrure dans ce contexte-là me paraît non justifiée », explique cette professeure de l’Université de Montréal. Parmi les critères à considérer, dit-elle, il y a entre autres celui de la nécessité. « On peut accepter de causer un tort à un animal pour des objectifs considérés comme légitimes par l’être humain. Mais prétendre que ces chapeaux doivent être en vraie fourrure, ça ne peut pas raisonnablement être compris comme nécessaire… surtout si ça peut être comblé par des imitations. »

Peta devrait chercher le soutien du roi Charles. Il est ouvertement écolo, non ?

C’est déjà fait ! L’organisation a écrit une lettre au monarque pour lui demander d’intervenir dans le dossier. Selon Mme Werner, il pourrait user de son « influence » pour « suggérer » au premier ministre Rishi Sunak de convaincre son ministre de la Défense. Le fera-t-il ? That is the question ! Charles était un prince « vert », mais ses nouvelles fonctions l’obligent à la neutralité… Soit dit en passant : Peta lui a également demandé de porter de la fausse hermine pour son couronnement, en mai prochain.

Au fait, ces drôles de chapeaux existent depuis quand ? Et enfin, pourquoi ?

Depuis la bataille de Waterloo, en 1815. Avec le temps, ils sont devenus de véritables symboles du Royaume-Uni et une attraction touristique en soi. À titre d’information, ces bonnets de poils mesurent 45 cm de haut. Peta estime que chaque toque coûte pas moins de 1700 livres (2850 $ CAN), et que le gouvernement britannique y a consacré 1 million de livres (1 675 000 $) depuis 2017. En 2020, 11 toques ont été achetées par le ministère de la Défense. Mme Werner souligne qu’il faut « un ours ou plus pour chaque chapeau ». Ça fait réfléchir…

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