Au-delà des aménagements urbains temporaires

Oser repenser l'espace public de façon durable

Alors que la vaccination bat son plein, le plan de déconfinement du gouvernement du Québec laisse entrevoir un retour à la normale. La population se réapproprie déjà les espaces publics et il est à prévoir que ces lieux seront pris d’assaut cet été.

La situation est encourageante. Pourtant, le contexte sanitaire actuel appelle à la circonspection : nous devons tirer des leçons de l’expérience de la dernière année dans une perspective à long terme.

En plus de grands bouleversements sociaux et économiques, la pandémie a modifié la relation qu’entretiennent les citoyens avec leur milieu de vie. Les espaces publics sont devenus des lieux privilégiés pour l’exercice, les loisirs et la socialisation, indispensables à la bonne santé mentale et physique des urbains.

Comment faire autrement lorsque 45 % des Québécois vivent en appartement et que les déplacements hors du cadre de vie sont limités ? L’été dernier, les municipalités ont rapidement ouvert leurs rues aux activités économiques et culturelles. Depuis plus d’un an, des interventions s’opèrent dans l’espace public et tracent la voie vers un nouveau paradigme.

Des changements durables

Le premier été de pandémie a démontré la capacité des municipalités québécoises à être réactives et à proposer des aménagements temporaires offrant de l’espace pour appliquer la distanciation physique. Terrebonne, Victoriaville, Sherbrooke et beaucoup d’autres ont procédé à la piétonnisation d’artères commerciales, à l’installation de terrasses sur rue, à la création d’installations éphémères ou d’animations ponctuelles1.

Ces stratégies ont apporté des réponses rapides, innovantes et adaptées aux contextes locaux, mais elles esquissent aussi ce que pourraient être d’autres manières de se déplacer et de profiter de l’espace public. Transformer la ville, oser, expérimenter : la prise de risque est faible face au grand potentiel de ces initiatives !

Cependant, pour tirer des apprentissages des expérimentations transitoires, il faut en évaluer les impacts de manière approfondie. L’an passé, certains projets comme la piétonnisation d’artères commerciales ont suscité une couverture médiatique faisant transparaître un déficit d’acceptabilité sociale.

Pour déconstruire les préjugés les plus tenaces et démontrer les bénéfices de telles démarches, cessons de nous en tenir à l’anecdotique et allons étudier ce qui se passe réellement sur le terrain.

Comme l’a souligné Enrique Penalosa, ancien maire de Bogotá ayant œuvré activement pour redonner de la place aux piétons dans sa ville, on connaît mieux les bons habitats pour les tigres de Sibérie que les bons habitats pour l’Homo sapiens. Il est temps de renverser la tendance.

La pandémie rappelle aussi avec force les inégalités sociales et les enjeux d’équité territoriale. En plus de soutenir la prise de décision éclairée, l’apport de données permet d’envisager des aménagements plus inclusifs. Le cas de Bryant Park à New York, où la présence de femmes a été utilisée comme indicateur de la qualité de l’espace, est révélateur. Suivant la remise à neuf du parc, des comptages quotidiens du nombre de femmes et d’hommes l’utilisant ont été effectués. Lorsque la présence de femmes était sous 50 %, on prenait action afin de favoriser leur présence, que ce soit par l’entretien sécuritaire des toilettes publiques ou une offre d’animation adaptée.

Cette approche sensible aux caractéristiques des personnes présentes dans l’espace public a été reprise dans des études à l’échelle du centre-ville à Vancouver et à Toronto, où elle a permis de mieux comprendre les enjeux et d’établir des cibles claires en matière d’inclusion et d’aménagement.

Apprendre pour faire de meilleures villes

Ces saisons de pandémie sont en quelque sorte le laboratoire d’un espace public en transition pour mieux faire face aux défis de santé et environnementaux. Au-delà du déconfinement, un changement de vision sur la manière d’aménager nos villes reste la voie à privilégier pour concrétiser les apprentissages imposés par la crise sanitaire.

Car en même temps que l’arrivée des beaux jours et le relâchement des mesures sanitaires qui avivent le désir d’occuper les espaces publics, de grandes réflexions sur le mieux vivre en ville sont en cours. La Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement des territoires ou la préparation du Plan d’urbanisme et de mobilité 2050 (PUM) de Montréal en sont des exemples.

Forts des apprentissages de l’an passé et des actions audacieuses menées actuellement, les pouvoirs publics doivent profiter de ce deuxième été pour nourrir des changements durables. Mesurer, compter, documenter : l’acquisition de données est l’un des socles des villes de demain.

1 Les aménagements piétons en contexte de crise sanitaire, Piétons Québec (2020).

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