La troisième vague est là

On espérait lui résister. Elle est arrivée. « On voit le début d’une troisième vague », a convenu le premier ministre Legault. Et cette fois, ce sont les jeunes qui se retrouveront à l’hôpital. De l’avis d’au moins une scientifique, « le Québec n’a plus d’excuses ».

« Le Québec n'a plus d'excuses »

« Le Québec n’a plus d’excuses », tranche la Dre Roxane Borgès Da Silva. « Nous avons la chance de pouvoir apprendre de l’Europe, qui est en avance sur nous. Ça fait un an qu’on le sait, nous n’en profitons toujours pas », déplore l’experte en santé publique et professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Vendredi, le premier ministre François Legault a reconnu qu’on assistait « au début d’une troisième vague », alors que le Québec recensait 950 nouvelles infections. En dépit des avertissements des experts et des craintes suscitées par la progression des variants dans la province, François Legault n’entend pas revenir sur ses mesures d’allègement pour le moment. En début de semaine, le premier ministre affirmait pourtant que le Québec résistait à la troisième vague.

Explosion du nombre des cas, hausse des hospitalisations, engorgement des soins intensifs : la Dre Borgès Da Silva craint que le scénario européen ne se reproduise au Québec, au cours des prochaines semaines.

« Le fait d’alléger les mesures de confinement et de favoriser les contacts, ça ouvre la porte aux variants. Je suis très inquiète. »

— La Dre Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Selon l’experte, nos connaissances des variants étant limitées, le principe de précaution doit prévaloir.

Infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, la Dre Nathalie Grandvaux est tout aussi prudente. « J’aurais aimé que l’on soit un petit peu plus patients, ne serait-ce que deux ou trois semaines, avant de modifier les mesures sanitaires en place. »

Le premier ministre refuse de faire marche arrière.

« On va faire le point mardi. Il y aura une augmentation des cas et des hospitalisations dans les prochains jours, mais pour l’instant, la situation reste sous contrôle. On ne change pas les mesures annoncées, que ce soit l’ouverture des écoles en secondaire III, IV, V en zone rouge ou d’autres mesures comme les théâtres qui vont ouvrir », a déclaré le chef de la CAQ, lors d’une courte mêlée de presse au Stade olympique vendredi.

Âgé de 63 ans, le premier ministre a reçu sa première dose de vaccin, celui de Pfizer-BioNTech. « Je n’ai presque rien senti », a-t-il insisté, en appelant les citoyens autorités à prendre rendez-vous pour se faire vacciner. « C’est un passeport pour notre liberté. »

Il dit avoir autorisé certains assouplissements parce qu’il savait que « les gens étaient tannés ». « Donner de l’air à la population était souhaitable, mais on est devant quelques semaines critiques », a ajouté le premier ministre, en parlant d’un équilibre à opérer.

« On voit le début d’une troisième vague. […] Mais il faut que les mesures soient appuyées, respectées, en tenant compte du fait que ça fait un an que la population se fait demander de faire attention. »

— François Legault, premier ministre du Québec

M. Legault affirme qu’il n’exclura rien si la situation s’empire. « On va suivre ce qui se passe au cours des prochains jours. Comme tous les mardis, on va prendre les décisions nécessaires. J’en profite pour demander à tous les Québécois d’être prudents. Le variant est extrêmement contagieux », a-t-il avancé.

Les variants en progression

Plus tôt vendredi, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) avait prévenu dans un exposé technique que les principaux variants représenteraient plus de 50 % des nouveaux cas d’ici le début d’avril au Québec.

« Les mesures actuellement sont insuffisantes pour ralentir les variants. […] J’imagine que le gouvernement va devoir changer certaines décisions, pour ce qui est permis et ce qui n’est pas permis », a expliqué le médecin épidémiologiste de l’INSPQ, le DGaston De Serres.

Sa position contraste fortement avec celle du gouvernement, qui a autorisé jeudi un nouvel assouplissement pour les rassemblements dans les lieux de culte, qui peuvent depuis vendredi accueillir 250 personnes par bâtiment, y compris en zone rouge. Il y a trois jours, le gouvernement a aussi annoncé le retour en classe à temps plein des élèves de 3e, 4e et 5e secondaire en zone rouge, dès lundi. Les spas, les gyms et les salles de spectacle rouvraient aussi vendredi.

Selon l’INSPQ, la diminution de l’adhésion aux mesures qui s’observe depuis quelques semaines joue pour beaucoup, au moment où il est « plus important que jamais » d’appliquer les différents moyens de freiner la transmission.

Pour l’heure, le criblage a permis de détecter 5157 cas « cumulatifs » de variants au Québec, une hausse de 475 par rapport à la veille. Le nombre de cas séquencés, lui, demeure stable, à 704. « Je ne sais pas à quel moment on parlera de troisième vague, mais on a certainement une vague de variants qui est en mouvement depuis quelques semaines et qui va nous amener à avoir plus de cas », a précisé le DDe Serres.

Dans certaines régions, dont la Capitale-Nationale, les variants seraient d’ailleurs « dominants », à plus de 50 %. « En fait, ce qui existait avant même le relâchement des mesures était insuffisant pour contrôler les variants, d’après ce qu’on constate », avance le DDe Serres, pour qui la hausse des cas engendrera forcément une « hausse des décès et des hospitalisations ».

Transparence et prudence réclamées

À l’Assemblée nationale, les partis de l’opposition n’ont pas tardé à réagir vendredi. Le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, s’est notamment demandé : « Où est le plan de la CAQ pour la troisième vague ? »

« Dès février, nous avons averti la CAQ que le Québec n’était pas à l’abri d’une vague de variants du coronavirus. Aujourd’hui, l’INSPQ confirme nos craintes : les requins décrits par le Dr Arruda sont en train d’encercler le Québec. »

— Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

« Si les cas continuent d’augmenter, le gouvernement ne doit pas hésiter à faire des choix difficiles », a ajouté le co-porte-parole.

« La situation est préoccupante, a de son côté avancé la critique libérale en matière de santé, Marie Montpetit. La hausse des cas, la présence d’un variant extrêmement contagieux et le faible taux de vaccination dans plusieurs régions devraient amener le gouvernement caquiste à la plus grande prudence. […] Avec la recrudescence des cas, le gouvernement doit s’assurer d’être prêt à affronter une nouvelle vague. »

Mme Montpetit déplore par ailleurs que le budget Girard présenté jeudi « ne contenait aucune mesure afin de faire face à une troisième vague ».

Dans les rangs péquistes, le député Joël Arseneau a aussi réclamé plus des autorités. « Face aux projections de l’INSPQ et à la prépondérance anticipée des variants, le gouvernement doit plus que jamais appuyer ses décisions sur la science. Il doit faire preuve de transparence, dévoiler et suivre les avis de la Santé publique et expliquer les critères et indicateurs à l’appui de ses décisions », a-t-il lâché.

Bilan en demi-teinte

Le Québec a rapporté vendredi 950 infections supplémentaires et 7 décès, mais observé une nouvelle baisse de 15 hospitalisations. Pour l’heure, 481 patients demeurent hospitalisés au Québec, dont 115 se trouvent toujours aux soins intensifs, une baisse de 2 cas en 24 heures.

Depuis une semaine au Québec, on observe en moyenne 781 cas par jour, une tendance qui est manifestement à la hausse par rapport aux dernières semaines. Des sept décès rapportés jeudi, trois sont survenus dans la Capitale-Nationale, qui enregistre 89 cas supplémentaires. Deux personnes ont aussi perdu la vie à Montréal (313 cas), une dans Lanaudière (31 cas) et une autre en Montérégie (103 cas). En baisse, la moyenne des décès quotidiens, rapportée sur sept jours, est de sept.

À noter : les données de l’INSPQ – qui corrige les bilans selon la date réelle où les cas ont été découverts – démontrent que le Québec a connu mercredi sa première journée de plus de 1000 cas en près d’un mois et demi. Il faut en effet remonter au 12 février pour trouver une journée de plus de 1000 cas.

Avec 54 951 doses administrées dans la journée de jeudi, le Québec a atteint, de loin, un nouveau sommet dans sa campagne de vaccination. Jusqu’ici, 1 121 958 citoyens ont été vaccinés, ce qui signifie qu’environ 13,2 % de la population a reçu la première dose du vaccin contre la COVID-19. Le gouvernement Legault dispose d’une réserve d’environ 258 340 vaccins. Par ailleurs, 58 500 doses du vaccin de Moderna viennent d’être reçues et sont « en transit dans le réseau ».

Retour en classe au secondaire

LE MINISTRE Roberge « garde le cap »

Le retour en classe à temps plein en personne de tous les élèves du secondaire, lundi prochain, a reçu l’aval de la Santé publique, assure le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. Les élèves de troisième, quatrième et cinquième secondaire des écoles en zone rouge seront de retour en personne à temps plein, malgré le fait que les variants plus contagieux sont plus présents partout au Québec. Le ministre Roberge dit avoir eu une rencontre à ce sujet, vendredi matin, avec le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda. « On est tous d’accord pour garder le cap sur la fréquentation scolaire de tous le plus possible, en gardant nos classes sous haute surveillance et en étant très proactifs pour fermer les classes là où on soupçonne des éclosions », a déclaré le ministre de l’Éducation en entrevue avec La Presse. Jeudi, devant la hausse du nombre des cas et l’incidence de variants dans le Bas-Saint-Laurent, le centre de services scolaire de Kamouraska–Rivière-du-Loup a pris la décision de fermer toutes ses écoles jusqu’au 5 avril. Cette décision a été approuvée au niveau national, précise le ministre. Il estime qu’il serait « très surprenant » que d’autres directions de santé publique choisissent d’aller dans le même sens. — Marie-Eve Morasse, La Presse

Les jeunes, « nouveaux vulnérables »

Ils sont les « nouveaux vulnérables ». Si le Québec connaît le même scénario que l’Europe, les jeunes seront les plus durement touchés par la troisième vague de la COVID-19. Une catastrophe annoncée pour le système de santé, mettent en garde des experts.

Ils sont plus téméraires, ils ont de grands cercles sociaux et ils ne sont pas vaccinés. Les jeunes pourraient être les prochains à subir les ravages du nouveau coronavirus. « C’est un groupe d’âge qui n’est pas inquiet de nature, qui se croit invincible », fait remarquer le DFrançois Marquis, chef des soins intensifs de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Pour les jeunes, la troisième vague serait un « comportement à risque », comme les excès de vitesse au volant. Les accidents peuvent arriver, mais ils paraissent si improbables qu’ils sont rarement pris en compte.

Pourtant, face à la montée des variants, plus contagieux que la souche originale, le risque est bien réel. Le DMarquis parle d’une simple équation mathématique.

« Plus il y aura de jeunes infectés, plus, nécessairement, dans le lot, il y aura des cas de maladie extrêmement sévères. »

— Le Dr François Marquis, chef des soins intensifs de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont

Le cas de la France lui donne raison. Ces dernières semaines, une hausse inquiétante des jeunes dans les lits des soins intensifs y a été signalée, de même qu’en Belgique et, plus près, en Ontario.

La Dre Nathalie Grandvaux, infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, suit d’un œil attentif les régions frappées par la troisième vague. « Cela change le portrait des conséquences de la pandémie, et il faudrait rapidement communiquer cette information pour que chaque personne plus jeune prenne conscience des nouveaux risques », juge-t-elle.

Coup dur pour le système de santé

Pour la Dre Amélie Boisclair, ce n’est qu’une question de temps avant que la vague frappe son unité des soins intensifs à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, à Terrebonne. En quelques jours, tous ses lits se sont remplis. Par des patients plus jeunes et très malades. « Au début, les personnes étaient malades parce qu’elles étaient vieilles, puis parce qu’elles avaient des comorbidités. C’est difficile d’accepter que des jeunes soient aussi malades. Tout le monde a le réflexe de se protéger », raconte-t-elle au bout du fil, au terme d’une autre journée difficile.

Elle a soigné des patients avec des enfants en bas âge, des patients pour lesquels elle devait en référer aux parents.

« Ce n’est vraiment pas le fun. Quand c’est du monde de ton âge, ça te rentre dedans. »

— La Dre Amélie Boisclair, des soins intensifs de l’hôpital Pierre-Le Gardeur

Et pas seulement moralement. Le DFrançois Marquis s’inquiète de l’engorgement du système de santé par cette jeune clientèle.

« Un jeune aux soins intensifs a beaucoup plus de résistance qu’un patient âgé. À maladie égale, il va toujours encaisser plus », explique le DFrançois Marquis. Le jeune patient est malade plus longtemps et consume une quantité phénoménale de ressources. En additionnant cette situation à la pénurie de personnel soignant, le DMarquis craint le pire. Un triage avancé. « Ça, ce serait une catastrophe. Faire du triage avec des mères et des pères de famille, ça fait encore plus mal. Il y a un risque réel de dérapage », prévient-il.

Au front, le moral des troupes est à plat. Pour la Dre Amélie Boisclair, rien ne les préparait à une pandémie, et encore moins à une troisième vague. « La solidarité de groupe est d’une grande puissance, mais il nous faut un armistice. »

Sondage CROP

Moins d’appuis aux mesures sanitaires qu’en début d’année

Les Québécois sont moins d’accord avec les restrictions sanitaires qu’en début d’année, révèle un nouveau sondage CROP réalisé auprès de 1000 personnes entre le 17 et le 23 mars.

Ainsi, 46 % des répondants sont d’avis que les « restrictions dues à la COVID-19 ont assez duré, il est temps que l’on retrouve notre liberté », par rapport à 31 % en janvier 2021. De même, 28 % des répondants sont d’accord avec l’énoncé « Je crois personnellement que les consignes d’isolement sont trop sévères, elles ne sont pas faites pour moi », soit 7 points de pourcentage de plus qu’au dernier sondage. Ce sont d’ailleurs les jeunes de 18 à 34 ans qui sont surreprésentés dans cette catégorie, à 42 %.

Pour le sondeur et vice-président de CROP, Dominic Bourdages, ces changements d’attitude ne se traduisent pas forcément en désobéissance. Ils sont plutôt le résultat de l’usure du temps.

« Une certaine partie de la population est tannée. Elle lance un cri du cœur. Et c’est normal ! L’important à retenir, c’est qu’elle n’arrête pas de faire des efforts pour autant. »

— Dominic Bourdages, sondeur et vice-président de CROP

Au contraire, 91 % pensent toujours que « c’est notre devoir à tous de suivre les règles de la Santé publique » et que « nous devons tous faire notre part pour arrêter la pandémie ». Comme le précise M. Bourdages, la population est donc toujours « consciente du travail qu’il reste à faire ».

Surprise, le niveau d’accord des Québécois avec le couvre-feu a bondi de 70 % à 74 % entre janvier et mars 2021.

AstraZeneca, grand perdant

La seconde partie du sondage fait état du taux de confiance de la population québécoise dans les vaccins contre la COVID-19. Celui de Pfizer-BioNTech se classe en première position, avec 71 %, suivi de près par celui de Moderna, avec 70 %, puis celui de Johnson & Johnson, avec 58 %. Le vaccin d’AstraZeneca récolte un taux de confiance de 44 %.

Par ailleurs, près d’une personne sur deux souhaiterait choisir son vaccin, si elle le pouvait. Les principales raisons évoquées sont l’efficacité dudit vaccin, le droit de choisir, la confiance envers le vaccin et les effets secondaires de celui-ci. La peur du vaccin d’AstraZeneca est la cinquième raison la plus souvent évoquée.

Ce sondage fait suite à une série de collectes de données effectuées au cours de la dernière année, soit les 4 et 5 avril, auprès de 1344 répondants ; du 5 au 10 mai, auprès de 1002 répondants ; du 15 au 20 octobre, auprès de 1002 répondants ; et du 6 au 8 janvier 2021, auprès de 1000 répondants.

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