Société

Les parcs, ces grands sauveurs

Avant la pandémie, on les tenait pour acquis. Pour bien des Montréalais, les parcs ont été un refuge salvateur au cours de la dernière année. D’hier à aujourd’hui, voici pourquoi les parcs sont un lieu égalitaire et essentiel pour les citadins. UN DOSSIER D’ÉMILIE CÔTÉ

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les poumons de Montréal

La pandémie remet de l’avant le rôle crucial des parcs. Les espaces verts de Montréal sont bondés depuis le début de la crise sanitaire… pour les mêmes raisons pour lesquelles ils ont été créés à partir de la fin du XIXe siècle, pendant la période industrielle. Explications et petite leçon d’histoire.

« Si la pandémie a eu une chose de bien, c’est de revaloriser les parcs », dit Michèle Dagenais, professeure au département d’histoire de l’Université de Montréal, spécialisée dans l’histoire et l’organisation physique des villes.

« On a compris à quel point ce sont des poumons vitaux, expose-t-elle. Lors d’une journée morose, il suffit d’aller dans un parc pour voir de la vie et nous sommes de bonne humeur. C’est un lieu vivant. Un lieu de communion passive. »

Dans un sondage mené l’été dernier par l’organisme canadien Les amis des parcs, 70 % des répondants ont dit accorder plus d’importance aux parcs depuis le début de la pandémie ; même que 82 % ont déclaré que les parcs étaient encore plus essentiels pour leur santé mentale.

La grande valeur des parcs

« On tenait peut-être les parcs pour acquis », note le conseiller Robert Beaudry, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal et responsable des grands parcs.

La fréquentation des parcs a presque doublé depuis le début de la pandémie, indique-t-il. Selon l’élu, la fréquentation accrue des parcs se maintiendra. « Il y a une prise de conscience collective. Le parc est un refuge. »

Depuis un an, de nombreuses photos de parcs bondés ont circulé dans les médias avec une connotation négative, notamment car ce serait des lieux trop propices aux rassemblements. Or, on ne peut pas blâmer les gens qui vont dans les parcs un samedi de beau temps, se désole Michèle Dagenais. C’est un besoin essentiel. « Il y a des gens qui n’ont même pas de balcon pour prendre l’air », souligne la professeure.

« À Montréal, plus de 60 % des gens sont locataires. Des propriétaires de condo n’ont aussi pas accès à des cours. Leur seule soupape est les parcs. »

— Robert Beaudry, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal et responsable des grands parcs

Pour ce dernier, il n’y aura jamais trop de gens dans les parcs. Ce sont plutôt les parcs qui sont insuffisants. « On n’a pas assez de parcs pour la densité de la population. »

La superficie d’aires protégées à titre de milieux naturels de l’agglomération de Montréal est actuellement de 6,3 % du territoire dans l’île. La Ville veut atteindre 10 %. De nombreux projets sont par ailleurs en cours (voir onglet suivant).

La vision égalitaire de Frederick Law Olmsted

Michèle Dagenais salue l’importance que la mairesse Valérie Plante a accordée aux parcs pendant la pandémie. « Elle a toujours tenu mordicus à ce que les parcs restent ouverts. »

Les parcs sont des lieux importants d’égalité et de mixité sociales, plaide la professeure d’histoire.

C’était par ailleurs en fonction de ces valeurs démocratiques que Frederick Law Olmsted a conçu le parc du Mont-Royal (le premier grand parc de Montréal) à la fin du XIXsiècle, rappelle Ron Williams, ancien directeur de l’École d’architecture de paysage de l’Université de Montréal.

Dans son livre Architecture de paysage du Canada, M. Williams raconte que Frederick Law Olmsted a conçu le parc du Mont-Royal (après Central Park à New York !) pour créer « un morceau de campagne permettant aux habitants de la ville de se dépayser, de trouver le repos et la tranquillité ». « Il voulait rendre accessibles aux personnes défavorisées les mêmes avantages que ceux dont profitaient les plus riches en visitant les paysages naturels à l’extérieur, et finalement promouvoir l’intégration de cultures et de niveaux socio-économiques différents. »

Plus de 150 ans plus tard, en pleine pandémie, la vision d’Olmsted ne pourrait être plus d’actualité. Les parcs sont essentiels à la qualité de vie des gens qui n’ont pas de chalet ou de cour. C’est manifeste dès que le soleil se pointe le bout du nez. « Ce sont des lieux de répit », souligne Mme Dagenais.

L’histoire des parcs

Dans les années 1870, outre le parc du Mont-Royal, Montréal s’est doté de deux autres grands espaces verts, soit l’île Sainte-Hélène et le parc La Fontaine. On veut alors réintroduire la nature dans le quotidien des gens au moment où la ville s’industrialise. Il y avait un grand besoin. « Les cimetières étaient les précurseurs des parcs et ils étaient pleins pendant la fin de semaine », raconte Ron Williams.

Montréal était alors la cinquième métropole de l’Amérique du Nord. La densité de la population avait beaucoup augmenté. « Nous étions alors en pleine période industrielle, raconte Michèle Dagenais. Pour affirmer le dynamisme des villes, on voulait les embellir et les ornementer. »

Montréal souhaitait aussi rayonner à l’étranger. C’est pourquoi on confie à nul autre que l’architecte paysagiste de Central Park, Frederick Law Olmsted, la création du parc du Mont-Royal.

Le protégé d’Olmsted, Frederick G. Todd, va ensuite ouvrir un bureau à Montréal et son héritage sera majeur. Celui que l’on considère comme le premier architecte paysagiste du Canada va concevoir de nombreux parcs partout au pays, dont celui de l’île Sainte-Hélène et celui des Champs-de-Bataille, à Québec, sans compter le Jardin botanique de Montréal.

C’était l’ère des grands parcs car l’espace était disponible, souligne Michèle Dagenais. Ensuite, au début du XXsiècle, vont apparaître les parcs de quartier à usage récréatif sur des terrains dont le cadre naturel n’est pas nécessairement enchanteur, poursuit Mme Dagenais. « L’idée est alors de donner des poumons aux gens. On met peut-être moins l’accent sur l’aménagement paysager, mais davantage sur les loisirs. »

« Beaucoup de parcs de quartier sont nés à des endroits où l’on ne pouvait pas faire de construction, dont le parc Laurier, qui était un ancien dépotoir. »

— Michèle Dagenais, professeure au département d’histoire de l’Université de Montréal, spécialisée dans l’histoire et l’organisation physique des villes

Après la Seconde Guerre mondiale, Claude Robillard a été nommé comme le tout premier directeur du service des parcs de Montréal 1953 à 1961 (et ensuite comme directeur du service d’urbanisme). Les parcs de quartier se sont alors multipliés partout dans l’île. Avec des patinoires, des terrains de baseball, des jeux pour les enfants, etc.

Ensuite, dans les années 1970 et 1980, un recul des activités industrielles a permis de développer le réseau des grands parcs-nature, notamment le long des rives. Au fil du temps, les parcs ont aussi acquis une grande valeur touristique, ajoute Michèle Dagenais.

« Montréal serait inimaginable sans le parc du Mont-Royal », dit Ron Williams dans son livre.

La pandémie sans les parcs ? Tout aussi inimaginable.

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Mesurer les bienfaits des parcs et en prendre soin

En attendant de démontrer hors de tout doute qu'ils peuvent avoir des bienfaits sur la santé mentale, les parcs ont besoin de financement, d'entretien et d'être accessibles. Pistes de solutions.

L’organisme Les amis de la montagne, qui se consacre à la protection et à la mise en valeur du mont Royal, aura droit à de l’aide financière pour des travaux de restauration écologique, mais aussi pour mesurer le bien-être que le parc apporte aux nombreuses personnes qui le fréquentent.

La directrice générale, Hélène Panaïoti, se réjouit de cette initiative de l’organisme canadien Les amis des parcs (Park People) rendue possible grâce à un don anonyme. Cela se fera en alliance avec les deux autres plus grands parcs du pays, soit Stanley Park à Vancouver et High Park à Toronto.

Conjointement, ces parcs accueillent plus de 17 millions de visiteurs chaque année. « Ils jouent un rôle identitaire important pour leur ville », souligne Natalie Brown, directrice des programmes chez Les amis du parc. « On veut mesurer l’impact collectif de ces parcs pour mieux les défendre et mieux en prendre soin. »

Il y a peu de « recherche fondamentale » à propos des bienfaits des parcs, souligne Hélène Panaïoti. Ils sont sans doute indéniables, mais ce sera un atout de pouvoir l’illustrer avec des données scientifiques.

Les répondants à un sondage commandé l’an dernier par Les amis des parcs ont déclaré à 82 % que les parcs étaient encore plus essentiels pour leur santé mentale pendant la pandémie. Deux chercheurs de l’UQAM ont aussi entamé en 2018 une recherche (toujours en cours) sur le lien entre l’exposition aux espaces verts et la santé mentale.

Dégradation des parcs en raison de leur popularité

Chose certaine, les parcs sont très fréquentés pendant la pandémie. Celui du Mont-Royal est même victime de son succès, souligne Hélène Panaïoti. Il y a beaucoup de déchets qui traînent ici et là sur la montagne. Autre problème : l’élargissement et la prolifération des sentiers sauvages.

Avant la pandémie, Les amis de la montagne ont enregistré des années records en matière de participation bénévole et de nombre d’arbres plantés. Avec la pandémie, il a fallu revoir à la baisse ce qui était prévu dans ce qu’on appelle le « Programme d’intendance environnementale ».

En attendant que les activités des bénévoles reprennent comme avant, l’organisme veut donc miser sur la prévention et la sensibilisation.

On peut notamment appliquer le principe très simple du « Sans trace » (Leave No Trace), souligne Mme Panaïoti. « Repartir avec tout ce qu’on a apporté dans le parc. »

« On veut cultiver la notion de boucle vertueuse. Envoyer le message que la montagne va s’occuper de vous, de votre santé et de votre bien-être, mais que les citoyens doivent s’en occuper en retour aussi. »

— Hélène Panaïoti, directrice générale de l’organisme Les amis de la montagne

Corvée au parc Jarry

Outre celui du Mont-Royal, de nombreux parcs de Montréal ont des groupes de bénévoles.

Le samedi 1er mai dernier, il faisait beau soleil pour la corvée printanière organisée par la Coalition des amis du parc Jarry. Alors que des gens jouaient au criquet et que d’autres préparaient un barbecue pour le dîner, on voyait au loin plein de volontaires avec un sac-poubelle et une longue pince.

Maryse Gagnon était présente avec ses deux filles. Pourquoi ? Tout simplement pour redonner au parc qui lui donne tant. « C’est une partie essentielle de notre vie. Nous venons presque tous les jours. »

« C’est comme notre cour », dit son aînée Meredith, âgée de 10 ans.

Entre 6000 et 7000 personnes par jour vont au parc Jarry, selon le président de la Coalition, Michel Lafleur, qui était au stand où on accueille les bénévoles. « C’est un fleuron du quartier et il faut en prendre soin. Les gens ont un grand sentiment d’appartenance envers le parc. »

Ce dernier a fondé la Coalition des amis du parc Jarry en 2004. Tennis Canada et différentes associations sportives avaient une voix, mais pas les citoyens qui vont au parc simplement pour pique-niquer, courir ou marcher.

Le parc Jarry unit les quartiers densément peuplés de Villeray et de Parc-Extension.

« Le parc Jarry est une réussite pour ce qui est du vivre ensemble. Un mot résume le parc pour moi : “diversité”. Il y a une diversité des usagers et des activités que les gens viennent faire. »

— Michel Lafleur, président de la Coalition des amis du parc Jarry

Mieux faire connaître certains parcs

Le parc Jarry fait partie des espaces verts de Montréal qui affichent presque complet quand il fait beau. Un plan de réaménagement du parc sera déposé sous peu et des consultations publiques suivront, annonce par ailleurs Robert Beaudry, responsable des grands parcs à la Ville de Montréal. Une première séance a été annoncée pour le 26 mai.

Il faudra sans doute s’attendre à moins de terrains de baseball et plus de terrains pour le criquet. « Il faut voir les comportements des usagers et miser sur les bonnes installations. »

Robert Beaudry espère aussi que des utilisateurs du parc Jarry se déplaceront à l’occasion dans les nouvelles sections à venir de l’immense parc Frédéric-Back (qui recouvre l’ancienne carrière Miron), situé pas très loin. « Nous ne sommes qu’au début de ce projet pharaonique », dit-il.

Il désire mieux faire connaître certains parcs. « Le Bois-de-Saraguay, bien des gens ignorent son existence alors que c’est la plus vieille forêt de l’île de Montréal », signale-t-il.

Il faut aussi faciliter l’accès à certains parcs, ajoute M. Beaudry. Parmi les grands projets de la Ville en cours, citons le parc riverain de Lachine, celui de la falaise Saint-Jacques, les terrains de la Brasserie Molson, le grand parc de l’Ouest, « la forêt urbaine » de l’avenue McGill College, sans compter le réaménagement en cours du parc Jean-Drapeau.

Robert Beaudry assure par ailleurs que les plages (Doré, du Cap-Saint-Jacques) seront ouvertes à l’été.

Conclusion ? « Plus que jamais, les gens ont besoin d’avoir accès à des endroits verdoyants », plaide Hélène Panaïoti.

* Deux chercheurs de l’UQAM mènent une recherche sur le lien entre l’exposition aux espaces verts et la santé mentale. Il s’agit de Mathieu Philibert, spécialisé en géographie de la santé, et Janie Houle, spécialisée en psychologie communautaire.

Un plan pour les parcs

Jeudi dernier, la Ville de Montréal a annoncé un « Plan nature et sports », notamment pour relancer l’attractivité de ses grands parcs et de ses espaces naturels, et pour améliorer l’accès à l’eau. La Ville a annoncé la plantation de 500 000 arbres d’ici 2030, la création de cinq corridors verts (totalisant 110 km), la réhabilitation de 10 km de berges, ainsi que la création d’un pôle nature dans l’Est. La Ville veut aussi favoriser un mode de vie actif, été comme hiver. Une résolution recommandant au conseil municipal l’adoption du « Plan nature et sports » sera présentée à la séance du comité exécutif du 26 mai.

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