Agressions sexuelles

Que dire à nos enfants ?

Au Québec, près de la moitié des victimes d’agressions sexuelles sont des mineurs, et de trois à cinq fois plus souvent des filles⁠1. Dans ces conditions, que dire à nos enfants ? Quelles précautions leur suggérer sans leur transmettre nos craintes et brimer leur liberté ? Voici des pistes à explorer.

Un équilibre à trouver

Au Canada, une femme sur trois et un homme sur onze rapportent avoir été victimes d’agression sexuelle depuis l’âge de 15 ans.

Consultez l’étude de l’Institut de la statistique du Québec, Agressions sexuelles — Portrait général

En gros, « un tiers des mères ont elles-mêmes déjà été victimes de violence sexuelle », souligne la psychologue et professeure à l’Université de Montréal Isabelle Daigneault, qui est aussi directrice du Laboratoire de recherche sur les trajectoires de santé et de résilience de jeunes agressés sexuellement.

Celles qui ont été agressées par leur grand-père ou leur oncle pourront donc être réticentes à laisser leurs enfants aller seuls dans la parenté, illustre Mme Daigneault. Ou celles qui ont été agressées par un inconnu refuseront peut-être de laisser leurs enfants marcher seuls dans la rue.

À l’opposé, la confiance aveugle d’autres parents comporte des risques. « On ne peut pas laisser des enfants aller dormir n’importe où, à n’importe quel âge », affirme Mme Daigneault, évoquant par exemple les fêtes pyjama.

Comment trouver le juste milieu entre la surprotection et le laisser-aller ? « On pourrait dire à nos enfants de rester sagement à la maison et de ne prendre aucun risque. Mais ce n’est pas une vie comme cela que l’on souhaite », répond Mme Daigneault.

« Il faut, selon l’âge des jeunes, les informer des risques, mais sans se borner à leur dresser une liste de dangers. Il faut que ce soit accompagné d’outils pour mieux se protéger. »

Apprendre des techniques d’autodéfense

Très vite dans l’entrevue, Mme Daigneault évoque l’utilité des cours d’arts martiaux pour les jeunes filles. Cela n’équivaut-il pas à faire retomber toute la responsabilité de la sécurité sur les filles elles-mêmes ? « Les femmes ne sont jamais responsables des agressions qu’elles subissent, insiste-t-elle. Mais il faut leur enseigner des stratégies qui peuvent fonctionner dans une certaine mesure. »

Cela vaut même face au harcèlement. « Il y a aussi une gradation de gestes physiques qu’on peut faire et que les filles peuvent utiliser — y compris quand la violence sexuelle vient d’un proche — jusqu’à ce qu’elles soient en sécurité. »

Détecter les dangers

Les jeunes doivent être sensibilisés aux situations qui les rendent vulnérables, insiste pour sa part Ariane Hébert, psychologue. Elle évoque ces fêtes où une fille se retrouve seule au milieu d’un groupe, ou encore une situation où un garçon qu’une adolescente connaît à peine propose de la raccompagner en voiture.

« C’est vraiment, vraiment dommage qu’on en soit rendu là, mais oui, il faut aussi dire aux filles de faire attention où elles se trouvent dans les transports en commun parce qu’il y a beaucoup de cas de frottements dans ce contexte. »

– Isabelle Daigneault, psychologue, professeure à l’Université de Montréal et directrice du Laboratoire de recherche sur les trajectoires de santé et de résilience de jeunes agressés sexuellement

Sans taire totalement le risque d’être agressé par un pur inconnu — ce qui représente tout de même une agression sur dix au Québec2 —, il importe, souligne quant à elle Isabelle Daigneault, d’insister sur l’agresseur type, à savoir une personne du cercle rapproché de l’enfant (un membre de la famille, un ami, etc.).

Dans son Guide à l’intention des très jeunes filles, le gouvernement du Canada insiste sur cet aspect en donnant divers exemples de prédateurs. Sont mentionnés l’adolescent qui promet à sa petite sœur de lui faire son « éducation sexuelle », le professeur de piano, la monitrice au camp d’été...

Pour orienter la discussion, le CHU Sainte-Justine dresse une liste de conseils pour aborder la question des agressions avec les enfants, et ainsi faire de la prévention. On y propose différents scénarios à aborder : « Par exemple, que ferais-tu si un adulte t’aborde dans la rue et te dit que ta maman a un problème et qu’elle lui a demandé de venir te chercher ? Que ferais-tu si un étranger te disait qu’il a perdu son petit chien et veut que tu l’aides à le trouver ? »

Consultez le document sur la prévention des abus sexuels du CHU Sainte-Justine

Et que dire aux garçons ?

Par ailleurs, comme le rappelle la psychologue Isabelle Daigneault, les garçons sont aussi souvent victimes d’agressions sexuelles. La prudence est donc tout autant de mise pour eux.

Ils doivent être au fait de ce qu’est un consentement, dit la psychologue Ariane Hébert. Il est aussi de leur responsabilité de dire tout haut leur désaccord quand des propos méprisants à l’égard des femmes sont exprimés en leur présence.

On peut enfin souligner qu’il est possible pour les jeunes d’intervenir quand ils voient qu’une fille semble en danger. Bien sûr, précise Mme Hébert, les garçons doivent d’abord s’assurer d’être en sécurité et, au besoin, de ne pas hésiter à aller demander de l’aide.

1Lisez Agressions sexuelles, Ampleur chez les jeunes, étude de l’INSPQ

1Lisez Agressions sexuelles, Portrait général, étude de l’INSPQ

Donner une voix aux victimes

Tout en saluant les dénonciations très médiatisées d’agressions sexuelles ces dernières années, les professeures Rachel Langevin (psychologie) et Martine Hébert (sexologie) ont rappelé, dans une lettre envoyée aux médias l’an dernier, que les jeunes victimes n’avaient pas de voix dans l’espace public. « Ces prises de parole excluent une proportion non négligeable de victimes de violences sexuelles, c’est-à-dire les enfants, pourtant particulièrement vulnérables et souvent incapables de parler du fait que les bourreaux sont souvent dans leur cercle rapproché. »

Lisez la lettre aux médias de Rachel Langevin et Martine Hébert


EN SAVOIR PLUS

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Nombre d’agressions sexuelles rapportées aux policiers en 2021, au Québec. Ce qui n’est qu’une petite portion de la réalité, la grande majorité des agressions n’étant pas dénoncées.

Source: Source : étude de l’INSPQ

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