Pénurie de chirurgiens en vue au Québec ?

Une pénurie de chirurgiens guette-t-elle le Québec ?

Ce débat, lancé par les départements de chirurgie des universités, est fort important, bien qu’il ne touche pas un aussi grand nombre de postes que la pénurie d’infirmières, par exemple. Sa pertinence tient à la nature et à la complexité du métier de chirurgien, cardiaque ou autre.

Au début de 2020, les quatre départements de chirurgie des facultés de médecine de la province ont fait front commun pour se plaindre au gouvernement des flots d’étudiants brillants en chirurgie qui quittent le Québec pour faire leur résidence ailleurs, faute de postes disponibles ici. La résidence, c’est la poursuite de la formation des étudiants, mais en milieu hospitalier et pendant cinq ans.

Essentiellement, les directeurs de département se plaignent de la surcharge de travail clinique pour les professeurs, de la diminution du temps pour l’enseignement et la recherche, mais surtout, de la perte de ces jeunes cerveaux, dans le contexte d’un nombre grandissant de chirurgiens d’âge élevé et donc près de la retraite.

« Ces restrictions vont mener à une pénurie de chirurgiens dans un avenir rapproché », écrivent les auteurs, dont fait partie Michel Carrier, directeur du département de chirurgie de l’Université de Montréal.

Entre 2012 et 2019, 132 étudiants ont quitté le Québec pour une formation en résidence hors Québec, alors que 12 de l’extérieur sont venus au Québec, calculent-ils. Et depuis deux ans, m’indique Michel Carrier, 37 ont encore quitté le Québec, alors que seulement 9 y sont venus.

« Et une fois établis à Toronto, à Vancouver ou à Ottawa, il est fort possible qu’ils ne reviennent pas ici après cinq ans. C’est dramatique. »

— Michel Carrier, directeur du département de chirurgie de l’Université de Montréal

En parallèle, 22 % des 575 chirurgiens affiliés à l’Université de Montréal et à l’Université McGill sont âgés de 60 ans et plus. À cela s’ajoute le fait que les jeunes médecins veulent avoir une meilleure qualité de vie et font moins d’heures que les plus vieux, ce qui accentuera la rareté des chirurgiens, m’explique Michel Carrier, lui-même chirurgien cardiaque de 65 ans.

Les ouvertures de places pour les étudiants en médecine, de postes en résidence et de postes permanents sont fortement contingentées au Québec. Au Canada anglais, il n’y a pas de plafond pour les postes en résidence, affirme Michel Carrier.

« Je ne sais pas comment le Ministère fait ses projections, mais il faut sept ans pour former un spécialiste en chirurgie, en plus de sa formation de base. Et d’ici sept ans, les choses peuvent changer vite », m’explique M. Carrier.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) est en désaccord avec les affirmations des quatre directeurs.

Dans une réponse écrite à mes questions, le MSSS souligne que les planifications d’effectifs médicaux (étudiants, résidents, etc.) sont faites par une table de concertation dont font partie le Collège des médecins, les syndicats de médecins (FMOQ, FMSQ, etc.) et le ministère de l’Enseignement supérieur, entre autres.

« Il n’y a pas de pénurie dans les spécialités chirurgicales et nous n’en prévoyons pas. Selon les modèles de projection actuels, il y aura environ 200 départs à la retraite d’ici 2025 dans les spécialités chirurgicales, alors que le nombre d’arrivées sera supérieur, à près de 250.

« Augmenter le nombre d’étudiants inscrits dans les programmes universitaires de chirurgie risquerait ultimement d’augmenter le chômage médical. »

Sur avis de la Table de concertation, m’écrit le MSSS, les prochains nouveaux postes en résidence seront à 55 % en médecine familiale, où il y a de grands besoins, et à 45 % en médecine spécialisée.

Et par ailleurs, le gouvernement a décidé, en mai 2020, d’augmenter de 139 le nombre d’admissions en médecine dans les universités, ce qui le fera passer de 830 en 2019 à 969 en 2023.

Quant aux départs d’étudiants vers une résidence au Canada anglais, le MSSS soutient qu’il s’agit essentiellement d’étudiants de l’Université McGill, plus mobiles.

À la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le vice-président, Serge Legault, note que la planification des postes est un « exercice imprécis, difficile à prévoir », et qu’ultimement, c’est le MSSS qui fixe le nombre par décret.

Il juge qu’il y a suffisamment de chirurgiens pour opérer les 145 000 cas en attente en raison de la COVID-19, mais il croit tout de même qu’il faudrait plus d’admissions en chirurgie.

« L’équilibre est précaire, notamment en région. Il suffit qu’un médecin se casse le fémur, comme c’est arrivé à Sept-Îles, pour que ça cause des problèmes. J’aimerais mieux en avoir plus que pas assez. »

— Serge Legault, vice-président à la Fédération des médecins spécialistes du Québec

Il constate qu’il y a manifestement pénurie en médecine familiale. Par ailleurs, d’autres spécialités sont touchées par une pénurie, comme la génétique médicale et la gériatrie, dit-il.

De fait, selon une liste produite par le MSSS, la gériatrie et la dermatologie figurent parmi les spécialités où la proportion de postes vacants dans les hôpitaux est le plus élevée, avec des taux de 18,4 % et 19,4 %. Le MSSS a d’ailleurs ajouté un total de 32 postes en 2021 dans ces deux spécialités à ses plans d’effectifs médicaux.

Autres spécialités où les postes à pourvoir sont nombreux : la médecine physique et réadaptation (25 %) et la psychiatrie pour enfants et adolescents (22,3 %).

Selon cette liste, il y avait 5 % de postes en chirurgie vacants dans les hôpitaux en juillet 2021, contre une moyenne de 8 % pour l’ensemble des spécialités. Pour 2021, le MSSS a ajouté 40 postes en chirurgie aux 1597 que comptait le réseau en 2020. Le décompte n’indique pas l’âge moyen des médecins en place.

La profession de médecin, dont la formation est très coûteuse, est l’une des rares qui ne sont pas régies par le libre marché. Cette situation oblige l’État à faire une planification serrée des besoins, ce qui peut causer les problèmes que nous expose cette situation.

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