Chronique 

Il s’appelait Marcelin François

Il est mort de la COVID-19, alors sa femme et ses enfants ont été mis en quarantaine.

La Résidence funéraire La Renaissance a envoyé des photos des funérailles. Il n’y avait personne.

Marcelin François, 40 ans, était opérateur de machinerie dans le textile la semaine. Et préposé aux bénéficiaires les samedi et dimanche. Charrié dans diverses résidences de personnes âgées par son « agence ».

Il est mort le 14 avril.

C’est lui, le préposé anonyme de Montréal-Nord dont j’ai parlé la semaine dernière(1). La résidence La Rosière m’a donné son nom. Il ne figure sur aucune liste officielle, n’étant ni employé de l’État ni syndiqué. Ni rien. Je veux dire : « en attente de statut ».

Ajoutons-le, s’il vous plaît, à la liste des « morts pour le Québec ».

« Il n’était pas malade. Il ne faisait pas de fièvre. Il toussait », me dit la veuve, Oséna Charles.

Un matin, il est sorti des toilettes et il s’est simplement couché. Effondré. « Il pleurait. Il a dit : “Je vais mourir… je vais laisser les enfants.” »

Oséna était dans le lit. Elle s’est assise. Il n’avait pas l’air si malade. Elle est sortie de la chambre. Elle a entendu un cri. Elle a couru le rejoindre.

« Il était dans le transport de la mort… »

Elle a crié à Marc-Sonder, 11 ans, d’appeler le 911.

Marcelin est mort dans ses bras.

Les ambulanciers sont arrivés à 8 h. « Ils ont mis des appareils pour le réanimer. » Il était trop tard. « L’ambulancier m’a dit : “Je suis désolé.” »

Ils sont repartis.

Quatre heures plus tard, les gens de la morgue sont venus chercher le corps.

***

Deux jours plus tard, quelqu’un a appelé, elle ne sait pas qui.

« À 80 %, ce n’est pas le coronavirus », a dit la personne.

Le lendemain, on a rappelé : on a déterminé que la cause de la mort était une embolie pulmonaire.

Deux jours plus tard, le salon funéraire a récupéré le corps. C’était un vendredi.

Le dimanche, la Santé publique a rappelé : c’était bien le coronavirus.

James Jean-Guerrier, le directeur du salon funéraire, confirme qu’un avis lui a été envoyé.

Ainsi est mort et a été enterré Marcelin François.

Où est-il enterré ?

Mme Charles ne sait pas.

Elle veut partir.

***

Marcelin et Oséna sont nés aux Gonaïves, dans le département de l’Artibonite, en Haïti, en 1980. Ils se sont mariés en 2007.

« Il était intelligent, il était vigilant, il était travaillant. »

Il a quitté Haïti en 2012. S’est rendu au Maryland. Elle l’a rejoint avec le petit Marc-Sonder, en 2015. Ils allaient refaire leur vie. 

Ça n’allait plus aux États-Unis. Ils ont pris le chemin du nord. Chemin Roxham.

Tout de suite ils ont travaillé. Lui en usine. Elle dans la préparation de la viande. « Chez Cargill. » Elle ne se souvient plus où, Longueuil peut-être ? Il y a une usine à Chambly, une autre à Saint-Hubert. Du porc. Du bœuf. Salaire minimum. L’agence vient te chercher le matin à Montréal-Nord, te ramène le soir.

Après 10 mois, elle a fait préposée. Encore une agence – une autre agence – qui vous emmène ici et là, dans des résidences.

Martline, maintenant 3 ans, et Rose-Marline, 17 mois, sont nées depuis.

Entre-temps, on leur a refusé le statut de réfugiés. Quand on se réfugie seulement de la misère, on n’est pas un réfugié au sens de la loi. 

Il y a eu un appel, la décision a été maintenue, comme c’est le cas pour la plupart des Haïtiens. Reste le recours au statut « humanitaire ».

L’ancienne journaliste et ex-commissaire à l’immigration Paule Robitaille, députée de Bourassa-Sauvé, a contacté Mme Charles.

« Ce que je comprends, c’est que je suis la seule représentante de l’État à l’avoir contactée. Il n’y a pas eu de suivi, pas de traçage, pas d’accompagnement. Cette famille est abandonnée. »

Mais ces jours-ci, ce que veut Oséna Charles, c’est rentrer aux Gonaïves. Retrouver sa famille.

« Les enfants pleurent tout le temps… Ma petite de 3 ans est toujours dans mes bras. »

Sur le monument imaginaire qu’on construit pour les « héros » de la lutte contre le coronavirus, s’il vous plaît, gravez ce nom : Marcelin François.

Il est au combat sanitaire ce qu’était le soldat inconnu, vous savez, tous ces anonymes dans les fosses communes de l’histoire, « morts pour la patrie » ?

Une patrie qu’il touchait presque…

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