Médecins hors pair contraints à la retraite

En santé, un des principaux problèmes est l’accès à la première ligne, donc, bien souvent, aux médecins de famille. Et la situation empirera si l’on est incapables d’attirer davantage de jeunes et de retenir les médecins d’expérience plutôt que de les contraindre à la retraite.

Le sujet m’est revenu à l’esprit quand j’ai appris le départ à la retraite, dans mon entourage, d’une excellente médecin qui aimerait pourtant continuer à temps partiel. Chaque cas est unique, mais une recherche élargie me permet d’observer un réel enjeu dans la profession.

Au Québec, 47 % des médecins sont des médecins de famille (omnipraticiens) et 53 %, des spécialistes, alors qu’ailleurs au Canada, ce rapport est inversé (51 %-49 %). Chaque année, nos facultés de médecine sont incapables de pourvoir les postes de résidents offerts en médecine de famille.

La situation est telle qu’il manquerait aujourd’hui 1000 médecins de famille au Québec, estime la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qui est le syndicat des médecins de famille.

Elle est d’autant plus préoccupante que 26 % des 9800 médecins de famille ont plus de 60 ans et sont donc enclins à prendre leur retraite. Faites le calcul : c’est plus de 2500 médecins qu’on a tout intérêt à voir prolonger leur carrière.

Or voilà, pour toutes sortes de raisons, les vieux médecins de famille sont souvent contraints de prendre leur retraite plutôt que de réduire leur temps de travail, comme ils le voudraient.

Il y a quelques années, le gouvernement a accordé une prime tarifaire de 15 % aux médecins qui traitent plus de 500 patients, question d’augmenter le taux d’inscription des patients auprès d’un médecin de famille. Les médecins vieillissants qui veulent réduire leur pratique (et leur liste de 1500 patients, par exemple) sont donc pénalisés, en quelque sorte.

Cette question tarifaire est toutefois bien secondaire, me dit Sylvain Dion, vice-président de la FMOQ. L’organisation du travail et l’impossibilité de trouver une relève pour leur clientèle délaissée sont au sommet des préoccupations.

À la fin d’avril 2022, le Collège a produit un rapport qui brosse un portrait saisissant de la situation. On y constate que le manque de relève force les médecins à retarder la retraite ou encore à « quitter pour la retraite alors qu’ils auraient plutôt souhaité une transition progressive vers la cessation d’exercice ».

Le rapport juge la problématique « particulièrement criante en médecine de famille », mais aussi dans certaines spécialités, notamment l’obstétrique-gynécologie, l’endocrinologie, la psychiatrie et la pédiatrie.

Horaire plus léger, s’il vous plaît

Dans un sondage annexé au rapport, les médecins ont répondu que divers éléments seraient de nature à les inciter à reporter leur retraite. Parmi les éléments qui ont recueilli une adhésion majoritaire, on note la réduction des heures de pratique (67 %), la diminution de certaines obligations comme la garde (64 %), des horaires plus flexibles (60 %) ou une diminution des tâches administratives (54 %). Autre aspect qui aiderait, disent-ils : le transfert progressif des patients vers une équipe de relève.

En vertu de leur code de déontologie, les omnipraticiens doivent s’assurer de transférer leurs patients à d’autres médecins en cas de retraite ou autre.

Et s’ils veulent réduire leur temps de travail, il leur faut sélectionner les patients qu’ils conservent, ce qui pose problème, m’explique Sylvain Dion, de la FMOQ.

Avec les années qui passent, le Collège est d’ailleurs pris avec une augmentation importante du volume de dossiers dont il devient cessionnaire. Il éprouve également « des difficultés à orienter les patients présentant des anomalies importantes lors d’examens ou investigations prescrites par le médecin qui a cessé sa pratique, ce qui est non justifiable dans un esprit de protection du public ».

Il y a un an, indique le rapport, des discussions étaient en cours entre le Collège, la FMOQ et le ministère de la Santé « afin d’identifier des trajectoires pour les médecins envisageant une cessation d’exercice, assurant un relais structuré pour leurs patients ».

L’apport des autres professionnels

Selon M. Dion, la question n’est toujours pas réglée aujourd’hui, mais les discussions avec le Collège se poursuivent. Entre autres propositions, la FMOQ aimerait qu’on « dédouane les médecins de leur obligation de transfert de patients à un autre médecin, qu’on leur permette de les référer au nouveau Guichet d’accès à la première ligne (GAP) », explique-t-il.

Ce GAP cherche à orienter les patients orphelins vers le meilleur professionnel de la santé selon leur situation. Il peut s’agir d’un médecin, mais aussi d’une infirmière, d’un pharmacien, d’un psychologue, d’un intervenant social ou d’un physiothérapeute, par exemple.

Le Collège des médecins est sensible à la question et juge aussi qu’une plus grande inclusion des autres professionnels est une solution souhaitable.

« Le médecin de famille ne peut plus être l’unique porte d’entrée dans le réseau de la santé », me dit la porte-parole Leslie Labranche.

La rétention des médecins vieillissants est cruciale, comme c’est le cas de bien d’autres professions qui souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre.

Une question se pose, tout de même. Lever l’obligation faite aux médecins de trouver un médecin remplaçant pour leurs patients orphelins pourrait-il en inciter certains à prendre leur retraite complète plus rapidement et, donc, empirer la pénurie de médecins de famille ?

Ou, au contraire, la sortie progressive les retiendrait-elle plus longtemps, comme souhaité ?

Lisez le Rapport du Chantier sur l’accès à un médecin et la cessation d’exercice

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