La précrastination

Pour en finir au plus vite

Vous pourriez reporter la lecture de ce texte à demain en cédant à votre inclinaison pour la procrastination. Nous vous suggérons toutefois d’opter pour une saine « précrastination », son contraire récemment mis à jour, en vous y attaquant sans plus tarder !

Qui n’a pas déjà remis à plus tard la réalisation d’une tâche importante ? Vous savez, cette déclaration de revenus que vous deviez remettre aujourd’hui et dont vous reportez l’échéance depuis une semaine, chassant la petite anxiété qui vous tenaille en prenant vos messages Facebook, en allant chercher un énième café ou en commençant une brassée de lavage ?

La procrastination, cette tendance à remettre à plus tard ce qui devrait être fait maintenant, est un phénomène connu. Mais voilà que s’oppose un nouveau syndrome mis à jour par des chercheurs en psychologie : la « précrastination », ou l’empressement à réaliser une tâche au détriment de sa santé, de la qualité de la réalisation ou d’autres tâches prioritaires.

Le psychologue David Rosenbaum et son équipe de l’Université de Pennsylvanie se sont intéressés à la question lors d’une étude réalisée auprès d’un groupe d’étudiants et publiée dans la revue Psychological Science. L’exercice, qui visait au départ à évaluer l’anticipation des mouvements physiques, a finalement révélé des comportements intrigants chez les sujets.

Lorsqu’on leur a demandé de transporter des seaux d’un certain poids jusqu’à un point d’arrivée, la grande majorité des participants se sont emparés du premier seau à leur portée, plutôt que de prendre celui qui était situé au bout du couloir. La consigne était pourtant de minimiser les efforts. Les sujets ont ensuite expliqué qu’ils avaient agi de façon à s’acquitter de la tâche au plus vite. Quitte à transporter une charge lourde plus longtemps !

RÉAGIR AU STRESS DANS L’URGENCE

« Les précrastinateurs sont généralement des personnes impulsives. Ils ne prennent pas le temps d’évaluer toutes les composantes d’une situation et chercheront plutôt la solution la plus rapide », en conclut M. Rosenbaum, tout en précisant que les recherches sur le sujet en sont encore à leurs balbutiements.

Ce comportement s’explique, selon lui, par une volonté de se libérer d’une charge mentale afin de se soulager d’un stress. En quelque sorte, chercher une tranquillité d’esprit en cochant des points sur une liste mentale de choses à faire.

Réagir dans la foulée peut sembler performant à première vue : dans une société qui récompense l’efficacité, celui qui agit rapidement montre qu’il garde la cadence. On parlera toutefois de précrastination lorsque les répercussions sont négatives, précise le psychologue. 

« Certains peuvent réagir de cette façon pour donner une bonne image d’eux, pour obtenir une satisfaction immédiate ou parce qu’ils sont incapables de dire non. »

— David Rosenbaum, psychologue, Université de Pennsylvanie

Exécuter sur-le-champ toutes les demandes du patron ou des collègues sans prendre de recul, répondre instantanément à tous les courriels qui surgissent ou s’engager sur la voie principale de l’autoroute au plus vite en quittant la voie d’accès peuvent toutefois devenir un réel problème, signale-t-il.

DEUX REVERS DE LA MÊME MÉDAILLE

Nicolas Chevrier, psychologue chez Séquoia, exprime certains bémols quant à l’interprétation des résultats de l’étude menée par Rosenbaum, tout en précisant qu’ils ne sont pas dénués d’intérêt. « Pour moi, qui travaille en gestion du stress et de l’épuisement professionnel, il y a là quelque chose d’intéressant, explique-t-il. On ne les nomme pas ainsi, mais on observe ces comportements chez certains clients. »

Précrastination et procrastination pourraient bien être les deux facettes du même problème. À l’origine de ces travers, une anxiété qu’on cherche à calmer, d’une part en se débarrassant d’une tâche, de l’autre, par la fuite. Tous deux ont en commun une tendance au perfectionnisme. « Le précrastinateur est un perfectionniste prescrit par les autres, croit Nicolas Chevrier. Il a l’impression que les gens ont des attentes très élevées par rapport à lui. Quand on lui fait une demande, il a donc l’impression que c’est pour maintenant. Il ne reviendra pas vers lui pour se demander si c’est réaliste ou non. »

Le procrastinateur serait, quant à lui, un insatisfait chronique parce que ses objectifs sont trop élevés, souligne-t-il. « On dit que les procrastinateurs ont des appartements impeccables. Ils feront des tâches qu’ils n’aiment pas nécessairement pour diminuer la culpabilité qu’ils ont de ne pas faire ce qui est prioritaire. » En ce sens, les deux comportements pourraient bien cohabiter chez une même personne : on précrastinera pour mieux procrastiner !

CIBLER SES PRIORITÉS

L’épuisement professionnel est habituellement causé par un stress chronique : l’élastique s’étire jusqu’à se briser. Or, ces comportements augmentent le niveau de stress. Certains changements dans les habitudes et la façon de concevoir le travail permettraient toutefois de s’attaquer au problème.

« La procrastination est une réponse à un niveau d’anxiété important qui est en lien avec notre conception de la tâche. Une analogie que je donne souvent, c’est d’arrêter de regarder en haut de la montagne et de voir plutôt la prochaine étape, indique Nicolas Chevrier. En segmentant le travail, la tâche semble plus facile à accomplir et plus réaliste. »

Dans le cas du précrastinateur, le mode réactif l’empêche d’établir des priorités et de planifier sa journée adéquatement, indique-t-il. La personne gagnera à prendre le temps d’évaluer ses priorités en s’accordant un délai entre la demande de l’environnement et la réponse – 30 minutes, par exemple –, lequel permettra d’évaluer les tâches déjà inscrites au programme.

Et si la tâche numéro un exige un certain niveau de concentration, on pourra bloquer les distractions, en prenant un temps pour s’isoler sans courriel ou sans téléphone, de façon à avancer les dossiers plus importants. Car les appareils numériques sont parmi les facteurs qui contribuent à créer une diversion et à augmenter cette pression de la performance.

« En réagissant dans l’instant à un courriel pour s’en débarrasser, on devient esclave de son environnement, estime le psychologue du travail. On devient plus réactif que proactif. Il importe alors de se ramener aux piliers d’une saine gestion du stress que sont la planification et la priorisation des tâches. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.