La recrue qui sauve la mise
TORONTO — « C’est ce qu’on a. » Ce bout de phrase là, ça fait quelques fois qu’on l’entend de la bouche de Claude Julien. Il l’a répété samedi midi, lors de sa rencontre avec les médias. Et encore samedi soir. « On affronte une équipe d’expérience qui a gagné des Coupes Stanley, et nous, on a ce qu’on a. »
C’est le genre de phrase qu’on n’entendra probablement jamais de la bouche de Mike Sullivan, de Jon Cooper ou de Bruce Cassidy, parce que les Penguins, le Lightning et les Bruins présentent des formations bien équilibrées. « On a ce qu’on a : Pastrnak, Bergeron, Marchand, Krug, McAvoy… » Ça sonne un peu faux !
C’est une phrase qu’un entraîneur dit quand il a sous la main une formation imparfaite, qui a des trous. C’est une façon de reconnaître la réalité, sans prendre son auditoire pour des idiots ni insulter son équipe.
Cette formation imparfaite, plusieurs la pensaient condamnée à se faire lessiver en trois matchs. Les esprits les plus malins évoquaient un 6-2, 6-1, 6-3 comme à Wimbledon. Mais mené par le brio de Nick Suzuki et par le but gagnant de Jeff Petry, le Canadien a relevé son premier défi en battant les Penguins de Pittsburgh 3-2 en prolongation, dans le premier match du tour de qualification, dans un Scotiabank Arena vide.
Ce que Julien « a », entre autres, c’est une ligne de centre avec très peu d’expérience. Derrière l’excellent Phillip Danault, les trois autres centres n’avaient pas joué un seul match en séries dans la LNH. Pourtant, quand on regardait jouer Suzuki, ça ne se voyait pas, du moins passé les difficiles cinq premières minutes du match.
« Nos jeunes joueurs, Suzuki et Kotkaniemi, ont joué un gros match. Ça a fait une grosse différence. On a utilisé nos quatre trios, mais nos jeunes devaient à la hauteur. Suzuki, on le connaît plus, mais Kotkaniemi n’avait pas joué avec nous depuis longtemps et il est revenu en force. »
— Claude Julien
Julien est passé vite sur Suzuki, mais sa soirée de travail mérite qu’on s’y arrête. Un but, temps d’utilisation de 23 min 10 s (le plus haut chez les attaquants de l’équipe), mais surtout, six minutes jouées en désavantage numérique, dont la quasi-totalité d’un trois contre cinq de 92 secondes en début de troisième période.
Parce que Phillip Danault a écopé de trois pénalités, et parce que Julien n’a plus de Nate Thompson comme valve de sûreté au centre, Julien s’en est remis à outrance à Suzuki. C’est ce qu’il a.
« J’étais confiant. J’avais deux bons défenseurs avec moi, a souligné Suzuki. Nous avions beaucoup parlé de l’avantage numérique des Penguins. J’étais heureux d’avoir la confiance des entraîneurs. »
La formule est-elle tenable ?
En défense aussi, Julien doit y aller avec ce qu’il a, soit essentiellement un duo et demi réellement digne de confiance.
Ça force donc l’entraîneur à demander à Shea Weber, qui fêtera ses 35 ans dans deux semaines, de jouer 31 minutes. À Petry aussi. Et près de 29 minutes à Ben Chiarot, un défenseur qui jouait 18 minutes par match la saison dernière à Winnipeg. Pendant ce temps, Victor Mete devait se contenter de 13 minutes et paraissait très vulnérable.
« J’ai trouvé Weber solide dans tous les aspects, a jugé Julien. Chiarot était agressif, il a bien joué. Petry a marqué le but gagnant, mais il faisait bien circuler la rondelle. Les trois joueurs ont été à la hauteur. »
Au risque de jouer les rabat-joie, on peut toutefois se demander si cette formule sera tenable. À long terme, les chances sont bonnes que la formule plus équilibrée des Penguins produise de meilleurs résultats.
De plus, Julien n’a guère d’options. On peut présumer que Christian Folin sera l’heureux élu si un défenseur doit sortir de la formation, puisqu’il semble avoir une longueur d’avance sur les autres dans l’organigramme. Folin jouait toutefois en moyenne 14 minutes cette saison ; on doute que soudainement, au moment le plus crucial de la saison, le niveau de confiance de Julien en lui grimpe en flèche.
Mais c’est ce que Julien a.