Chronique

Un braquage féministe jouissif de Steve McQueen

Toronto — À 8 h 30 hier matin, avant même que débute la projection, Widows, le nouveau film de Steve McQueen, avait généré plus de 5000 tweets d’anticipation de la part de journalistes comme de cinéphiles. Pourquoi tant d’émoi ? Parce qu’il s’agit du premier film du cinéaste britannique depuis son triomphe aux Oscars, il y a quatre ans, avec 12 Years a Slave, sacré meilleur film de l’année. Mais aussi parce que son nouveau film raconte l’histoire étonnante de quatre veuves de braqueurs qui orchestrent un braquage pour se renflouer.

Résumé ainsi, le film peut sembler vide et récupérateur. Pourtant c’est, jusqu’à présent, une des meilleures prises du TIFF, un film féministe, socialement engagé, drôle, haletant, captivant, avec quatre fabuleuses actrices, dont l’extraordinaire Viola Davis. Bref, un film qui s’impose déjà comme un candidat aux Oscars.

Le plus étrange, c’est que Widows est l’adaptation d’une série britannique des années 80, écrite par Lynda La Plante, l’auteure de la série policière Prime Suspect (Suspect numéro un). Steve McQueen, un Britannique d’origine trinidadienne, avait 13 ans lorsqu’il a découvert la série.

« J’étais un gamin noir grandissant à Londres et je ne sais trop pourquoi, j’ai senti une connexion immédiate avec ces femmes à la fois fortes et vulnérables. »

— Steve McQueen, en conférence de presse

Trente-cinq ans plus tard, McQueen a coscénarisé une nouvelle mouture de l’histoire des quatre veuves avec l’auteure et scénariste Gillian Flynn (Gone Girl, Sharp Objects), la déesse de ce qu’on a appelé le domestique noir. Or, cette rencontre entre une Blanche du Kansas et un Black de Londres a produit un scénario dense, touffu, riche, foisonnant et irrésistible.

« C’est devenu un tout autre objet que la série, a expliqué Gillian Flynn, juchée sur un tabouret au-dessus du cinéaste. On a tout mis là-dedans : l’urbanité, la corruption, le sexisme, les races, les genres. Et pour une fois, au lieu de travailler sur un seul personnage féminin fort, j’en avais quatre à ma disposition. C’était merveilleux ! »

Il y a une réplique dans Widows qui résume toute la portée de ce film résolument féministe. C’est Veronica, la veuve du leader des braqueurs, interprétée par Viola Davis, qui dit aux autres : 

« Pour réussir le coup, on a avantage à être nous-mêmes. » Pourquoi ? demande la veuve latina interprétée par Michelle Rodriguez.

Réponse de Veronica : « Parce qu’il n’y a personne qui croit qu’on a les couilles pour le faire ! »

Toutes les femmes, qu’elles soient blanches, noires, jaunes ou vertes, sauront se reconnaître dans cette réplique, qui est à la fois propre aux personnages féminins du film mais aussi une métaphore pour le manque d’estime et le sexisme dans lequel les femmes se sont trop longtemps laissé enfermer.

Campé dans le Chicago contemporain pendant une campagne électorale, Widows met en vedette quatre femmes aux personnalités et aux physiques très différents. Il y a Veronica, la veuve chic, rigide et leader du groupe. Il y a Alice, la nunuche blonde de six pieds (Elizabeth Debicki), Linda, la latina intempestive (Michelle Rodriguez) et Belle, la petite Black musclée aux cheveux platine (Cynthia Erivo), qui se retrouvent sans le sou, prises avec les pots cassés de leurs bandits de maris, dont une dette de 2 millions au caïd du coin.

Malgré leurs différences et leurs divergences, malgré les dangers qu’elles courent, les veuves vont réussir à s’organiser et à confondre ceux qui doutent de leur détermination.

Les hommes ne sont pas en reste dans ce film. Ils sont politiciens, prêcheurs, gangsters, psychopathes, certains interprétés par des acteurs connus comme Colin Farrell, Robert Duvall ou Liam Neeson. Pourtant, dans les salles où le film a été présenté jusqu’à maintenant, les spectateurs semblaient contents de les voir mourir ou échouer, réservant leurs applaudissements aux nouvelles superhéroïnes.

Widows dure plus de deux heures et pourtant, grâce à la profusion de personnages et au dynamisme de la mise en scène, on ne s’ennuie jamais. Widows, c’est comme un bon film d’action, avec des fusils, des poursuites, des explosions, mais aussi avec de la substance, une conscience sociale et le beau rôle, aux femmes. Que demander de plus ?

Quand Netflix fait œuvre utile

22 July, ou Un 22 juillet, est le nouveau film de Paul Greengrass, bien connu pour la série des Jason Bourne. Cette fois-ci, le réalisateur britannique n’a pas voulu divertir le public mais lui faire prendre conscience d’une réalité inquiétante : la montée de l’extrême droite un peu partout en Occident. Il a choisi de le faire avec Netflix pour rejoindre les jeunes qui ne vont plus au cinéma et pour leur montrer le vrai visage de l’extrême droite, espérant ainsi faire leur éducation politique.

Greengrass s’est donc rendu en Norvège pour reconstituer cette funeste journée du 22 juillet 2011 lorsqu’un extrémiste de droite du nom d’Anders Breivik a fait exploser un édifice du gouvernement avant d’aller dans l’île d’Utoya tirer à bout portant sur de jeunes militants politiques, tuant cette journée-là 77 personnes et en blessant 150. Il existait déjà un film sur les attentats – Utoya 22 July – signé par le Norvégien Erik Poppa et filmé du point de vue des victimes. Mais Greengrass a préféré y aller d’un plan plus large en montrant autant les victimes que le terroriste, autant le procès de Breivik que la vie des survivants après la tragédie.

Certains détracteurs lui ont reproché de consacrer trop de scènes à Anders Breivik et à son discours de haine. C’est vrai et c’était voulu. Le résultat, c’est que 22 July fait mal à regarder. La froideur du tueur, la peur et l’impuissance des victimes, la violence du carnage, tout cela donne envie de vomir. Mais détourner le regard ne sert à rien. Au contraire, Greengrass nous invite à bien écouter le terroriste avant de le démolir et de le découper en petits morceaux devant nos yeux.

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