Chronique

Bell ou le sévice à la clientèle

L’histoire commence par une belle journée de juin, c’est ma fête, j’appelle chez Bell pour obtenir une ligne téléphonique et l’internet.

C’est pour une maison dans un secteur où Fibe ne se rend pas, pas plus que le téléphone traditionnel. L’agent me propose une solution, la station Turbo, sur laquelle je peux brancher un téléphone fixe tout en ayant accès à l’internet. Le tarif, modulé en fonction de l’utilisation de l’internet, est au plus de 135 $, plus taxes.

Un peu cher, mais il n’y a pas d’autre option.

Début août, le téléphone sonne, la station Turbo est en fonction depuis moins d’un mois.

« Mrs. Moisan ?

— Yes… »

Au bout du fil, un monsieur m’informe dans la langue de Shakespeare que je dois 90 $ à Bell Mobilité, qu’il me faut régler cette facture sur-le-champ, faute de quoi tous mes services seront coupés à la fin de la journée. Il me demande mon numéro de carte de crédit, m’offre de régler ça tout de suite.

Je trouve ça louche, je lui dis que je vais appeler moi-même chez Bell Mobilité et, au besoin, payerai le compte en souffrance.

Il insiste.

Je tiens mon bout.

J’appelle chez Bell Mobilité, on me dit que l’appel venait effectivement d’eux, que j’ai une facture à payer, non pas de 90 $, mais de plus de 200 $. Je sursaute. Mais je paye, sachant que je parle bien avec un agent de Bell Mobilité.

Je n’ai reçu ni contrat ni facture.

Circonspecte, je rappelle quelques jours plus tard pour savoir où j’en suis avec la consommation de données, tout est sous contrôle, 50 $ pour le mois. Je demande naïvement à la dame s’il est normal de ne pas avoir reçu de contrat ni de facture, elle s’aperçoit que le premier agent n’a pas bien noté mon adresse courriel.

Ceci explique cela.

Le 4 septembre, un courriel en anglais entre, je m’apprête à le détruire spontanément comme je fais avec tous les courriels en anglais. Il provient de Bell Mobility, « your e-bill is ready ». J’ouvre le courriel, c’est ma facture pour le mois.

Je dois 476,77 $.

Mon cœur s’arrête quelques secondes, j’appelle Bell Mobilité pour tirer ça au clair. Une simple erreur, me dis-je. L’agent, imperturbable, m’informe que je dois payer cette somme parce que « les services facturés ont été rendus ». Je l’informe que je ne payerai pas.

Et que, question d’arrêter l’hémorragie, je veux désactiver la station.

Toujours aussi imperturbable, l’agent de Bell m’apprend que je devrai payer des frais d’annulation de 264 $, frais dont je n’ai jamais pu prendre connaissance, n’ayant toujours pas reçu de contrat.

La facture s’élève à plus de 750 $.

Je rappelle au service à la clientèle pour expliquer la situation. La dame à qui je parle constate que le premier agent, celui de juin, « n’a pas entré le bon forfait ». « Tous les appels ont été facturés », comme s’il s’agissait d’un cellulaire. Déjà qu’il avait mal noté mon courriel et « oublié » de cocher « services en français ».

Par défaut, les services sont donnés en anglais.

La dame me met en attente, elle me revient. « Ce que je pourrais faire pour vous, c’est vous facturer selon le forfait qu’il aurait dû vous mettre. Je pourrais vous enlever 150 $ sur la facture de 476 $. » Et les frais d’annulation ? « Il n’y a rien à faire pour les frais d’annulation, vous allez devoir les payer. »

J’ai refusé. « Il va falloir faire votre bout de chemin, madame… »

Je suis tenace. Je rappelle pour parler à un autre agent. Il me met en attente, revient. « J’ai une excellente nouvelle pour vous, je peux vous enlever 300 $, les appels qui ont été facturés. […] Il faut que vous sachiez, par contre, que les services qui vous ont été proposés ont été rendus. On ne fait jamais d’erreur. »

Quoi ? Je l’ai fait répéter, estomaquée. Il a répondu chaque fois que la réglementation fédérale en matière de télécommunications est très stricte et que l’entreprise s’y conforme à la lettre.

« Cette offre est finale, vous avez cinq jours pour l’accepter, sinon elle ne tient plus. Je vais vous envoyer ça dans un courriel. »

Je ne l’ai jamais reçu.

De guerre lasse, j’ai rappelé. J’ai parlé à un autre agent, à qui j’ai raconté l’histoire une autre fois.

Il m’a proposé lui aussi de soustraire les appels, est resté sourd à ma demande d’enlever les frais d’annulation. « Je pourrais vous les enlever, mais je ne le fais pas. Je n’ai pas à faire ça, vous n’êtes même plus cliente… »

Vous pouvez me transférer au département des plaintes ? « C’est impossible. C’est un département où il n’y a pas d’appels entrants, juste des appels sortants. Il faut faire une plainte sur internet et ils vont vous rappeler. »

Soit. Je suis allée sur internet, je suis parvenue à trouver le lien discret pour déposer une plainte. J’ai pris le temps, j’ai résumé la situation, la chronologie, l’absence de contrat, la langue de communication, les erreurs commises par le premier agent. J’ai proposé de payer les services reçus selon les conditions de l’entente initiale et de leur redonner, en parfait état, la station Turbo.

Vingt jours plus tard, on me rappelle.

« Est-ce que quelqu’un vous a rappelée pour votre plainte ?

— Non.

— C’est à quel sujet ?

— J’ai tout résumé ça dans la plainte que je vous ai envoyée.

— Je n’ai pas lu. Quand c’est long, c’est compliqué… »

Rebelote. J’ai recommencé mon histoire, lui ai expliqué le problème, la solution que je proposais. Il m’a laissé un message sur ma boîte vocale quelques jours plus tard, je n’ai jamais réussi à lui reparler.

J’ai déposé une deuxième plainte, « Stéphane de la haute direction de Bell » m’a rappelée le lendemain.

« Vous aviez déjà déposé une plainte, non ?

— Oui.

— Celle-là est à quel sujet ?

— Le même. »

Stéphane m’a proposé la même chose que les autres avant lui. J’ai demandé à parler à un superviseur, impossible.

Devant ce cul-de-sac, j’ai contacté l’Office de la protection du consommateur du Québec, qui m’a dirigée à Ottawa vers la Commission des plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST). J’ai rempli le formulaire de plainte en ligne, très bien fait. J’ai croisé les doigts.

Le lendemain, je recevais un courriel, ma plainte était recevable.

Le surlendemain, Bell me rappelait. Après deux mois dans la maison des fous, Sam, pour la première fois, s’est penchée sérieusement sur le dossier. Elle a lu les plaintes, est allée écouter le premier appel, en juin, d’où tout a découlé. Elle a admis que des erreurs avaient été commises. « Cet agent a été rencontré. »

Sam a sorti sa calculatrice, la facture est passée de 780 $ à 16 $.

La morale de l’histoire : il ne faut pas perdre son temps avec les agents du service « loyauté » (!) de Bell. L’entreprise est championne, et de loin, des plaintes reçues par la CPRST. Toutes entreprises confondues, plus d’un grief sur trois concerne Bell Canada, avec près de 3000 plaintes sur les 8197 reçues en 2015-2016.

Sam m’a demandé de lui remettre la station Turbo à ses bureaux de Montréal, ça tombait bien, un proche allait dans la métropole. Je lui ai remis le colis, à l’attention de Sam, à l’adresse dite. Eh bien, croyez-le ou non, il n’a jamais pu remettre le paquet, l’agent à l’entrée lui a dit que Sam n’était pas au bureau. « Revenez lundi. »

Il a rapporté la boîte à Québec.

J’ai rappelé Sam, elle m’a assuré qu’elle était au bureau ce vendredi-là. Je lui ai demandé si je pouvais aller remettre la station à Québec, aux bureaux de la place D’Youville ou ailleurs. « C’est impossible, ce n’est pas le même département. À Vancouver ou à Toronto, ça aurait été possible, mais pas pour Québec… »

Misère.

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