Société

Horacio, nouvelle coqueluche de la culture pop

Chuck Norris a enfin trouvé un rival à sa taille. Et contre toute attente, c’est un fonctionnaire québécois à lunettes friand de tartelettes qui, dans le grand magma de l’internet, a soudainement été propulsé au rang de phénomène de la culture pop. On l’y voit décliné sous toutes ses formes : des mèmes, bien sûr, mais aussi des coloriages, des chandails, des poupées en crépon… Entre humour et admiration, retour sur cette édification.

« Arruda Matata » est devenu le nouveau cri de ralliement de l’internet, qui a trouvé en Horacio une source inépuisable de détournements et de parodies. Jailli tel un arc-en-ciel dans les télés moroses du Québec, le directeur de santé publique a rapidement provoqué un déluge de mèmes à son effigie – vous savez, ces petits montages photo viraux avec des textes humoristiques et déclinables. Mais là où le coloré personnage a fait fort, c’est dans le fait que le nouveau culte qu’on lui voue a dépassé les frontières numériques. Ces dernières semaines, on a pu voir son visage orner des tasses, des chandails, servir de support pour des coloriages, reproduit sur un pain avec de la farine ou sous forme de poupée de chiffons ; du grain à moudre pour le fan art, comme on dit dans le jargon. Sur une page Facebook lui étant consacrée, « Horacio notre héros », sont publiées toutes sortes de créations lui rendant hommage. Pendant ce temps, la réputation des natas, les fameuses tartelettes portugaises, ne s’est jamais aussi bien portée. Mais comment cette éclosion soudaine d’une nouvelle figure de la culture pop a-t-elle pu s’opérer ?

Il y a, certes, son image et sa personnalité. Lunettes, épinglettes, cravates, gestuelle, et même langage : chez lui, tout est coloré. Autant de munitions pour les caïds des communautés en ligne. Mais ce n’est pas tout. Pour Nadia Seraiocco, doctorante en communication à l’UQAM, le fait que ces créations autour de M. Arruda, vers qui tous les regards se sont braqués en temps de crise, soient à la fois transcommunautaires et transgénérationnelles participe à cette bulle numérique de popularité.

« Pour qu’un tel phénomène arrive, il faut que plusieurs réseaux de petites communautés relaient massivement la même information, en utilisant les mêmes codes culturels. C’est très rare. »

— Nadia Seraiocco

« Là, on a le public parfait pour ça : tous ces Québécois qui sont au rendez-vous captent l’information, en font des mèmes ou du fan art puis les rediffusent dans différentes communautés », souligne-t-elle, ajoutant que l’arrivée soudaine et inopinée sur la scène médiatique de cet homme providentiel constitue aussi un facteur. « C’est le héros qu’on n’avait pas vu arriver et qui est le moteur de la mobilisation des Québécois », rappelle Mme Seraiocco ; chose qui le distingue des autres figures publiques, politisées et partisanes, et déjà passées par la moulinette du mème, avec un impact bien moindre : Manon Massé, Catherine Dorion, ou François Legault embrassant sa sœur.

Puissance de suggestion

Pour le sémiologue spécialiste de la culture numérique Gabriel Gaudette, le cas de M. Arruda est à classer parmi les mèmes « natifs », c’est-à-dire des représentations vides, à remplir, et capables de se disséminer grâce à la puissance du message. « Quand Arruda a été projeté sur la scène publique, il n’avait pas de signification préétablie. Il est arrivé comme un symbole à remplir, assez charismatique, très important pour la communauté, un docteur incarnant la science et la potentielle voie de sortie, tout en donnant l’heure juste. Horacio est extrêmement puissant, donne des directives que tout le monde va écouter, mais pas comme un despote, il va plutôt utiliser son pouvoir de suggestion et son sourire », analyse-t-il.

Outre l’ampleur de la viralité du phénomène Arruda, Jean-Michel Berthiaume, doctorant en sémiologie et coordonnateur du laboratoire de recherche Pop-en-Stock, a été frappé par la tonalité des messages relayés ; les mèmes versant généralement dans le cynisme ou l’agressivité. Dans le cas Arruda, tout n’est qu’arcs-en-ciel sur fond de çavabienallisme, ce qui insère son ascension dans un contre-courant, le Wholesome Meme. « C’est la première fois que cette communauté positive a le dessus sur le web », remarque M. Berthiaume, qui note l’émergence de figures régionales semblables, comme certains gouverneurs américains portés aux nues par les communautés du web, parce qu’ils tiennent tête au gouvernement fédéral durant la crise – Andy Beshear, gouverneur du Kentucky, par exemple. « C’est un peu comme des bouddhas locaux, chaque région en temps de crise fait émerger cette figure de sérénité et de gentillesse. »

Même si, aux yeux du sémiologue, Horacio Arruda n’a pas acquis le statut de superhéros (« Il n’a pas de pouvoirs hors normes, il nous ramène à l’ordinaire »), son aura particulière en a fait un modèle… de super influenceur. « Quand M. Legault a lancé un appel aux influenceurs, c’était amusant de voir que, juste à côté de lui, il y avait la figure ultime qui était l’anti-influenceur dans tout cet évènement-là – une personne pas superficielle, qui ne vend rien, qui nous dit simplement de rester chez nous – mais qui allait devenir l’influenceur par excellence : les gens vont imiter son comportement et le rendre viral, ce qui est l’objectif de tous les influenceurs. »

« Tout ceci renforce le message et les liens sociaux. Le gouvernement n’aurait pas pu rêver de meilleur plan de communication », conclut Mme Seraiocco. 

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