Consommation
Comment ça, une taxe ?
La Presse
Drame.
Alexandre avait emmené son fils et son copain faire du ski. Celui-ci avait 40 $ en poche pour sa journée. Une fortune ! Il est allé acheter son billet. « Quand je l’ai vu revenir, il n’avait pas l’air très heureux », raconte Alexandre. Le jeune garçon avait eu une mauvaise surprise : le billet qu’il avait vu affiché à 28 $ lui coûtait en fait 32,20 $, une fois les taxes ajoutées. Son budget poutine et chocolat venait de fondre.
Dure initiation aux taxes de vente et aux contingences de la consommation.
Pourquoi les prix ne sont-ils pas affichés toutes taxes incluses, comme en Europe ?
Ne serait-ce pas plus simple de constater le prix complet sur l’étiquette ? Vous achetez deux chandails à 40 $ et un pantalon à 80 $. Un simple calcul vous amène à 160 $. C’est ce qu’il faudra sortir du portefeuille, point final.
Essayez de faire le même calcul mental en ajoutant 15 % de taxes.
Pourquoi la TPS et la TVQ ne sont-elles pas incluses dans le prix ? L’occasion aurait pu se présenter au moment de l’instauration de la TPS, en 1991. Luc Godbout, président de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise et directeur du département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke, croit se souvenir de l’argumentation. « Pour le gouvernement conservateur, il y avait une crainte que si la TPS était cachée dans les prix, elle serait trop facile à augmenter dans le futur. Avec une taxe apparente, le gouvernement qui voudrait augmenter la taxe devrait donc en payer le prix politique. »
« La question de l’inclusion de la taxe dans les prix a déjà été considérée dans le passé, indique de son côté David Barnabe, porte-parole du ministère des Finances du Canada. Elle a soulevé des problèmes qui devaient être abordés dans le cadre d’un dialogue entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Ce dialogue n’a pas abouti à une option pragmatique. À l’heure actuelle, il n’y a pas de discussion à ce sujet avec les provinces. »
Le ministère des Finances du Québec ajoute une autre explication. « Cette idée avait été explorée dans le passé et ça n’a pas été fait, notamment parce qu’il y avait de gros problèmes pour certaines entreprises », indique son porte-parole Jacques Delorme. Les chaînes qui vendent dans plusieurs provinces devraient afficher sur leur site internet des prix différents selon les régions.
« Les taxes ? My God ! », lance d’emblée Léopold Turgeon, président du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), montrant ainsi son appréciation de cet outil fiscal.
Chez ses membres, l’inclusion des taxes dans les prix « n’est pas un sujet qui revient », indique-t-il. Pour sa part, il craindrait les comparaisons de prix indues entre provinces aux taux de taxes de vente différents.
Traditionnellement, les associations de consommateurs ne se sont pas montrées très ouvertes à l’idée de l’inclusion, y voyant une manière de soustraire les taxes à la conscience publique.
« Normalement, on va plutôt prôner la transparence, indique l’avocate Sylvie de Bellefeuille, conseillère budgétaire chez Option Consommateurs. Quand les taxes sont intégrées au prix affiché, le consommateur ne sait plus combien coûte son produit réellement, parce qu’il doit faire lui-même le calcul des taxes. »
En affichant toutes taxes incluses, on rejoindrait pourtant la très grande majorité des pays industrialisés. Le Canada et les États-Unis sont parmi les derniers pays où le prix est encore indiqué avant taxes.
Comme le rappelle Luc Godbout, « en France, le prix est donné taxes incluses », ce qui ne semble pas faire oublier que le taux normal de la TVA s’élève à 20 %. Et si c’est une préoccupation, « à la caisse, on est capable de voir l’ajout des taxes ».
Il y a peu de produits, voire aucun, dont le prix soit suivi de plus près que celui de l’essence à la pompe. Il est affiché au dixième de cent, on le commente jusqu’à plus soif dès qu’il franchit une barre psychologique, on se rue sur la pompe pour une baisse de 5 cents le litre…
Or, toute cette émotion s’exprime taxes incluses.
Cette inclusion permet cependant des comparaisons faussées, fait valoir Léopold Turgeon, du CQCD.
« Souvent, les gens vont dire que l’essence coûte moins cher à Toronto, mais ce n’est pas l’essence qui coûte moins cher, c’est les taxes », dit-il.
« À Montréal, en 2015, le prix moyen du litre a été de 1,15 $, et il y a eu 47,3 cents de taxes. À Toronto, le prix moyen a été de 1,06 $, et ils ont payé 37 cents de taxes. »
L’affichage toutes taxes incluses présente d’indéniables avantages. « Clairement, pour le touriste et le commun des mortels, il n’y aurait pas ce choc à la caisse de voir un prix différent », reconnaît Luc Godbout.
Mais il faudrait lutter contre la résistance aux changements fiscaux.
« Si on l’avait fait comme ça à l’époque, ce serait inclus dans nos mœurs maintenant. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il n’y aurait pas grand monde qui voudrait se lancer dans cette bataille. Il y aurait toujours ce soupçon : pourquoi voulez-vous cacher les taxes ? »
En somme, il se demande si « ça en vaut la chandelle » – qu’elle soit affichée taxes incluses ou non.