Guillaume Lonergan

La tentation du risque

À l’occasion le lundi, La Presse convie des créateurs de l’industrie audiovisuelle à nous parler de leur métier derrière la caméra. Et aussi des défis de la création télévisuelle à l’ère des nouvelles plateformes. Aujourd’hui, place au réalisateur Guillaume Lonergan.

Guillaume Lonergan a fait ses premières armes avec des courts métrages pour l’organisme Kino, au tournant des années 2000. Il a aussi été cinéaste-formateur auprès des communautés autochtones avec Wapikoni Mobile. Il a signé plusieurs documentaires qui explorent la réalité des Premières Nations. Après avoir réalisé des fictions jeunesse pour la télé et le web (notamment L’effet secondaire, VRAK la vie), Lonergan a signé l’ultime saison de M’entends-tu ?, ainsi que, plus récemment, les séries Audrey est revenue et La confrérie.

La prémisse de La confrérie peut sembler une « fausse bonne idée » : un thriller inspiré du Bonhomme Carnaval ! Or les critiques de la série, diffusée depuis janvier, sont très bonnes. Avez-vous hésité avant d’accepter le projet ?

Pas du tout. Quand Éric Belley [producteur chez Comédie Ha] m’a appelé, j’étais dans le jus en train de tourner Audrey est revenue. Je n’avais pas envie de travailler tout de suite sur une autre série. Il m’a raconté l’histoire en cinq minutes au téléphone. J’ai dit : « OK, je te rappelle dans une heure. » Je trouvais l’idée complètement folle et très risquée. Une parodie, une comédie noire inspirée du Bonhomme, ce n’est pas évident. Mais prendre des risques, c’est une valeur qui dicte mes choix.

En entrevue au journal Le Soleil durant le tournage de La confrérie, vous avez souligné avec enthousiasme le fait qu’on tourne de plus en plus de séries en dehors de Montréal. C’est important pour vous que notre production télévisuelle reflète l’ensemble de la réalité du territoire québécois ?

Oui, et on devrait s’inspirer de nos voisins américains. L’une de mes séries préférées, The Wired, se passe à Baltimore ; Breaking Bad se déroule à Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Au Québec, on tourne beaucoup à Montréal et sa banlieue. C’est compréhensible, car l’industrie est basée à Montréal ; c’est une question pratique et économique. Or, pour un réalisateur, c’est intéressant de pouvoir aller à Sorel, comme avec Audrey est revenue, ou à Québec (La confrérie). C’est formidable que des séries soient tournées partout dans la province. Il devrait y en avoir davantage qui se déroulent à Sherbrooke, à Saguenay, à Gatineau, etc.

Votre expérience avec Wapikoni Mobile a sans doute influencé cette curiosité pour le territoire ?

Oui, énormément. Cette expérience a changé ma perception du métier, mais surtout ma vision du pays. J’ai voyagé partout au Canada. J’ai habité dans des communautés autochtones pendant plusieurs mois. Je découvrais un autre Québec dans le Québec. Sur les plans culturel, linguistique, politique.

Depuis quelques années, en tant que scénariste, vous travaillez sur un film qui raconte la jeunesse du pilote Gilles Villeneuve, avec le réalisateur Daniel Roby. Le tournage est-il pour bientôt ?

On est encore en train de le financer. On a fini le scénario, on a passé des auditions, mais c’est un projet complexe, de longue haleine, avec un coproducteur et un budget important. On souhaite pouvoir le commencer dès que possible.

Scénariste, est-ce un rôle que vous aimez ?

Je crois à la relation en symbiose auteurs/réalisateurs. Je n’ai pas besoin d’avoir écrit le scénario pour me sentir investi personnellement dans un film. D’avoir envie de porter l’univers de quelqu’un d’autre à l’écran. Il y a beaucoup de grands films dont le réalisateur n’a pas écrit le scénario. Martin Scorsese a écrit très peu de scénarios dans sa carrière cinématographique. Or, il réalise toujours des films très personnels.

D’ailleurs, longtemps, le rôle du scénariste a été peu valorisé au cinéma. On ne jurait que par les films d’auteur, des réalisateurs. En télévision, c’était l’inverse : on parlait d’un téléroman de Lise et Sylvie Payette, d’une série de Fabienne Larouche et Réjean Tremblay. Comment expliquez-vous cela ?

À l’époque des Dames de cœur, la signature du réalisateur ne paraissait pas à l’écran. La facture visuelle évoluait peu d’un épisode à l’autre. Mais aujourd’hui, la signature des réalisateurs importe autant en télévision qu’au cinéma. Et au Québec, on produit de plus en plus des séries très visuelles, léchées, qui portent la griffe du réalisateur.

Au lendemain de sa mort à Noël, vous avez rendu un bel hommage à Jean-Marc Vallée sur Facebook. Comme beaucoup de collègues, vous admiriez Vallée. A-t-il été une grande influence ?

Jean-Marc Vallée a été un modèle, parce qu’il se remettait tout le temps en question. Si on regarde C.R.A.Z.Y. et Dallas Buyers Club, ce sont deux films très différents au point de vue de la réalisation. D’un film à l’autre, il a su développer une nouvelle manière de tourner ; moins lourde, avec le moins d’éclairage possible, en improvisant avec ses acteurs. Jean-Marc Vallée avait une vraie démarche artistique. Et une démarche, ça évolue avec le temps. J’aime aussi ça, être polyvalent, changer d’esthétique à chaque projet.

Avec la pandémie, on vit un âge d’or des plateformes, des géants numériques. Croyez-vous que les algorithmes vont finir par assassiner l’imaginaire du public ?

Hélas oui. Je réalise beaucoup de séries jeunesse, et je vois de plus en plus de parents au Québec qui ne montrent que des émissions étrangères, traduites, sur Netflix à leurs enfants. Je suis un peu inquiet pour notre culture, pour notre télévision. Si une génération d’enfants ne regarde plus notre télé, parce qu’ils ont pris l’habitude de regarder juste Netflix, ils n’auront pas la curiosité de la voir adultes. On va les perdre pour de bon.

En entrevue dans le journal L’Humanité, le cinéaste Claude Lelouch a dit qu’il avait changé sa manière de tourner avec l’apparition des nouvelles technologies. Est-ce votre cas ?

Les nouvelles technologies sont des outils qui nous offrent davantage de possibilités. Bien sûr, la popularité des téléphones intelligents a apporté une démocratisation de la création. Mais au bout du compte, tourner un film n’a pas tant changé depuis 50 ans. On fait encore des séries avec des marques sur le plancher et une clapette. L’important restera toujours comment raconter une histoire.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.