L’affaire Lieutenant-Duval en arbitrage

L’Université d’Ottawa persiste et signe

Ottawa — Deux ans après la saga Lieutenant-Duval, l’Université d’Ottawa persiste et signe. L’établissement maintient qu’il n’a pas porté atteinte à la liberté d’enseignement de la chargée de cours, suspendue après avoir prononcé le « mot qui commence par N » en classe.

L’Université d’Ottawa et l’Association des professeurs à temps partiel de l’Université d’Ottawa, qui représente Verushka Lieutenant-Duval, ont présenté lundi leurs plaidoyers d’ouverture lors d’une première séance d’arbitrage.

La chargée de cours a déposé deux griefs contre son ex-employeur, qui aura défendu jusqu’au bout sa gestion de la crise.

Dans un premier grief, la partie plaignante conteste « la condamnation prématurée de [Mme Lieutenant-Duval] sans une procédure équitable ».

Pour contexte : le 23 septembre 2020, la chargée de cours à temps partiel, employée de l’Université d’Ottawa depuis 2017, prononce le « mot qui commence par N » dans le contexte de son cours Art and Gender, qui se déroule en ligne.

Le soir même, la chargée de cours s’excuse par courriel à toute la classe, après qu’une étudiante du groupe l’a priée de ne plus prononcer ce mot chargé.

Lors du cours suivant, le 30 septembre, Mme Lieutenant-Duval invite ses étudiants à débattre sur l’utilisation du mot – sans jamais le prononcer dans son entièreté. C’est là que l’histoire dérape.

Pendant le cours, la même étudiante dépose une plainte à la faculté des arts et diffuse le courriel d’excuses de Mme Lieutenant-Duval sur Twitter. L’affaire provoque une tempête médiatique qui mènera, deux ans plus tard, à l’adoption du projet de loi 32 sur la liberté académique au Québec.

Au cœur du litige : le syndicat reproche à l’employeur d’avoir suspendu la professeure sans l’avoir d’abord consultée. La veille de sa suspension, le doyen de la faculté a envoyé un courriel à toute la classe dans lequel il condamnait l’utilisation « offensante et inacceptable » du « mot qui commence par un N ».

« Ce qui est remarquable dans cette saga, c’est qu’à aucun moment l’université n’a demandé une copie de l’enregistrement de la discussion en classe », a martelé MWassim Garzouzi, qui défend la plaignante. Et ce, encore à ce jour.

Clouée au pilori, Mme Lieutenant-Duval, qui doit témoigner mercredi, souffre toujours des répercussions de la saga sur sa santé physique et mentale. Présente à l’audience lundi, elle a gardé le silence, prenant à l’occasion des notes.

L’Université d’Ottawa se défend

L’Université d’Ottawa a fait valoir « des circonstances exceptionnelles », dont le tollé médiatique suscité par la crise, pour justifier sa réponse.

« L’approche prise par l’Université n’était aucunement reliée à une quelconque volonté ou tentative de limiter la liberté académique de la plaignante », a indiqué l’avocate représentant l’Université, Me Celine Delorme.

Selon l’Université, Verushka Lieutenant-Duval n’a pas été suspendue, mais plutôt placée en « congé administratif avec solde » – ce qui ne constituait pas une mesure disciplinaire.

« Il n’y a pas eu de punition. Le salaire de la plaignante a été maintenu. Elle a manqué quelques cours seulement, pendant qu’on étudiait la question », a poursuivi MDelorme, qui était accompagnée de Jules Carrière, vice-provost aux affaires professorales à l’Université d’Ottawa.

Toujours selon la version de l’établissement, ce n’est pas une étudiante, mais bien deux étudiantes qui ont porté plainte après le cours du 30 septembre. Celles-ci ne se sentaient « pas en sécurité et craignaient des représailles ».

« On ne peut aucunement contrôler la réaction des personnes lorsqu’ils entendent ce mot. On ne peut pas être surpris d’une telle réaction. »

– Me Celine Delorme

En ce sens, « les remarques et les gestes posés par l’université visaient à atteindre un équilibre entre les intérêts de la professeure, des étudiants et de la communauté universitaire », a-t-elle ajouté.

Quant au second grief, déposé le 18 décembre 2020 par Mme Lieutenant-Duval, il répond aux multiples déclarations publiques de l’Université d’Ottawa et de son recteur, Jacques Frémont.

D’après la plaignante, la version des faits relayée dans ces déclarations relève « de la fiction », et elle a été diffusée alors qu’un processus de grief confidentiel était en cours.

Ce à quoi l’établissement a rétorqué que l’ex-chargée de cours avait elle-même contribué à la tempête médiatique en accordant des entrevues, notamment à la populaire émission Tout le monde en parle.

L’Université d’Ottawa présentera sa version complète des faits mercredi. La prochaine audience est prévue le 22 novembre.

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