Opinion

Pour éviter une nouvelle hécatombe en CHSLD

La première vague de COVID-19 a provoqué une véritable hécatombe dans les CHSLD du Québec. On dénombre jusqu’à maintenant 4000 morts, soit un taux de 10 % des résidants de CHSLD. C’est largement supérieur au taux observé en Ontario (2,3 %) et sans commune mesure avec celui de la Colombie-Britannique (0,6 %).

On connaît maintenant les principales causes de cette catastrophe sans précédent. Nous devons profiter de cet enseignement pour appliquer rapidement les correctifs. Il est également essentiel d’amorcer une vaste réforme de ces établissements pour améliorer la sécurité des résidants, leur prodiguer les soins nécessaires et améliorer leur qualité de vie. C’est ce que le Collectif Action COVID recommande au gouvernement.

Les causes de la catastrophe

Les réformes de structure du réseau de la santé et des services sociaux de 2003 et 2015 ont intégré les CHSLD dans de grands ensembles où la priorité a été accordée à la mission hospitalière.

Ils ont perdu leur gouvernance propre de même qu’une partie importante du personnel d’encadrement. Aucun gestionnaire n’était redevable et responsable au sein de chacun des établissements.

La gestion des CHSLD était noyée dans un organigramme complexe où les responsables dirigeaient à distance des dizaines, voire plus d’une centaine d’établissements.

Ensuite, une pénurie de personnel a touché les préposés aux bénéficiaires, dont les conditions de travail et de rémunération ne permettaient pas le recrutement et la rétention des effectifs nécessaires. La pénurie d’infirmières a amené les établissements à pourvoir d’abord les postes dans les hôpitaux, amplifiant ainsi la pénurie en CHSLD. L’encadrement médical a souffert des pressions exercées sur les médecins de famille pour retourner à la pratique en cabinet et augmenter le nombre de personnes suivies. Il en résulte un encadrement médico-infirmier insuffisant pour assurer des soins et des services de qualité même en situation normale. Imaginez en période de pandémie.

Le rôle central de la mobilité du personnel

Dans une récente étude comparant la crise des établissements de soins de longue durée en Ontario et en Colombie-Britannique, les auteurs ont cerné plusieurs facteurs expliquant le taux supérieur de morts en Ontario. Parmi ceux-ci, notons la mobilité du personnel. Très tôt au début de la pandémie, le gouvernement de Colombie-Britannique a interdit formellement au personnel de travailler à plus d’un endroit, compensant même financièrement les travailleurs pénalisés, ce qui ne fut pas le cas en Ontario et encore moins au Québec.

Agir de façon urgente

À court terme, nous recommandons donc de mettre en œuvre sans délai des éléments clés du plan d’action gouvernemental : nommer dans chaque CHSLD un gestionnaire responsable œuvrant au sein de l’établissement, interdire toute mobilité de personnel entre les CHSLD, assurer un encadrement médical et infirmier adéquat, limiter au minimum l’utilisation d’agences de placement, tester tous les nouveaux employés et les nouveaux résidants avant d’intégrer un CHSLD, dépister régulièrement le personnel, renforcer les mesures de protection personnelle pour toute personne en contact avec les résidants, et encadrer strictement les établissements privés. Il importe aussi de maintenir la présence des personnes proches aidantes qui, en plus d’apporter aux résidants un bien-être psychologique, prodiguent aussi des soins quotidiens essentiels et indispensables.

Une réforme des CHSLD

À moyen terme, nous recommandons de consolider la gestion des CHSLD publics et de conventionner les CHSLD privés pour qu’ils obéissent aux mêmes règles que les établissements publics. Il est aussi impératif d’établir des normes et des guides de bonne pratique pour assurer un ratio optimal de médecins, d’infirmières et de préposés, établir des protocoles stricts lors de l’admission de nouveaux usagers ou de nouveaux employés, mettre en place des règles rigoureuses de prévention et de contrôle des infections et améliorer la qualité de vie des résidants.

Au-delà du recrutement et de la bonification des préposés faits en urgence, il faudra compléter leur formation et revaloriser leur rôle pour reconnaître la composante humaine de leur travail au-delà du soutien des résidants.

Un vaste programme accéléré de rénovation des infrastructures des CHSLD vétustes devra être entrepris pour rendre ces milieux plus accueillants, éliminer les chambres à lits multiples, assurer l’usage d’une salle de bains privée, améliorer la ventilation, installer des gicleurs et la climatisation, ainsi que prévoir des chambres excédentaires pour les soins de fin de vie et l’isolement des cas d’infection.

Enfin, les personnes plus jeunes lourdement handicapées devraient être orientées vers des milieux collectifs non institutionnels plus propices à leur épanouissement parmi des pairs du même âge.

Comme il a déjà été mentionné, le Collectif invite aussi le gouvernement à donner la priorité au soutien à domicile afin de fournir une réelle solution de rechange à l’institutionnalisation. Son budget doit être rehaussé substantiellement et on doit en revoir le mode de financement.

L’homme est le seul animal qui trébuche deux fois sur la même pierre ; espérons qu’en ce domaine, les leçons de la première vague permettront d’éviter à tout jamais une telle catastrophe et d’assurer aux aînés en perte d’autonomie des services sécuritaires et de qualité.

* Le Collectif Action COVID rassemble trois ordres professionnels (médecins, infirmières et travailleurs sociaux), de nombreuses associations de personnes âgées et proches aidantes, des organisations de services et plusieurs experts.

Liste des membres du Collectif Action COVID, présidé par Pauline Gervais et dont le porte-parole est Réjean Hébert : Association canadienne des soins spirituels, division Québec, Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec, Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autres services publics du Québec, Association lavalloise des personnes aidantes, Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic, Association québécoise de soins palliatifs, Collège des médecins du Québec, Comité des usagers du CSSS de Laval, L’APPUI national, Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, Regroupement des aidants naturels du Québec, Regroupement interprofessionnel des intervenantes retraitées des services de santé, Réseau de coopération des EESAD

Experts et chercheurs : Brigitte Brabant, avocate spécialisée en éthique et droit de la santé ; Pauline Gervais, consultante retraitée du réseau de la santé et des services sociaux, Université de Sherbrooke ; Réjean Hébert, médecin et professeur titulaire au département de gestion, évaluation et politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal ; Marie-Pascale Pomey, médecin et professeure titulaire au département de gestion, évaluation et politique de santé de l’ESPUM, chercheure au CRCHUM axe Innovation, codirectrice du CEPPP responsable du réseau du partenariat, médecin-conseil à l’INESSS, Chaire de recherche en évaluation des technologies et des pratiques de pointe ; François Routhier, chercheur régulier du CIRRIS, professeur titulaire, programme d’ergothérapie, département de réadaptation, Université Laval ; Roxane Borgès Da Silva, professeure titulaire au département de gestion, évaluation et politique de santé de l’ESPUM

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