Blocus ferroviaire

Legault évoque des AK-47, les Mohawks se braquent

Si la Sûreté du Québec n’est pas intervenue à Kahnawake, c’est en raison de la présence d’armes « très dangereuses », a affirmé François Legault. « Nous ne sommes pas armés », ont répondu les chefs autochtones, qui jugent « irresponsable » la sortie du premier ministre. Au Québec comme ailleurs au pays, la tension continue de monter, alors que des pourparlers prévus entre Ottawa et les chefs héréditaires we’suwet’en pour dénouer l’impasse ont été annulés en soirée.

Blocus ferroviaire

« Il y a des armes très dangereuses » à Kahnawake, affirme Legault

Une déclaration « irresponsable » et « ridicule », jugent les chefs autochtones

Québec — La présence d’armes « offensives et dangereuses », dont des AK-47, sur le territoire mohawk de Kahnawake explique pourquoi la Sûreté du Québec n’est pas encore intervenue pour démanteler le blocage ferroviaire, a déclaré le premier ministre François Legault. Une sortie que les chefs autochtones ont qualifiée d’« irresponsable ».

« On a des renseignements qui nous confirment qu’il y a des armes, des AK-47 pour les nommer, et donc des armes très dangereuses », a lancé François Legault, mercredi, après la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, affirmant que ces informations venaient de « bonnes sources ».

Le premier ministre expliquait alors pourquoi les autorités policières n’avaient pas encore appliqué l’injonction obtenue mardi par le Canadien Pacifique.

« Actuellement, on essaie de trouver quelqu’un pour signifier l’injonction, la Sûreté du Québec travaille sur un plan pour démanteler les barricades, ils parlent avec les Peacekeepers, mais évidemment, il y a des gens qui sont armés et c’est très délicat », a ajouté François Legault.

Il a précisé que les armes auxquelles il a fait allusion se trouvaient « au sein de la réserve », sans préciser si les manifestants aux barricades étaient eux aussi armés. Il a cependant évoqué que « des Warriors, entre autres », en posséderaient.

De vives critiques

Il n’en fallait pas plus pour provoquer de vives critiques chez les Mohawks, mais aussi chez les chefs des Premières Nations. « Dire que les gens sont armés est irresponsable et ridicule », a réagi le secrétaire de la nation mohawk Kahnawake, Kenneth Deer, lors d’un point de presse. « Nous ne sommes pas armés. »

Il a répété qu’il s’agissait d’une « manifestation pacifique » et qu’« il n’y aura pas de violence » si un huissier devait déposer une injonction.

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et Labrador, Ghislain Picard, déplore que M. Legault ait tenu « des propos très dangereux et offensants en suggérant la présence d’armes dans la communauté de Kahnawake ».

«  [François Legault] n’a assurément pas considéré la portée de ses paroles pour les membres de la communauté, qui vivent quotidiennement avec les souvenirs d’il y a 30 ans. » 

— Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec, dans une déclaration écrite

« J’invite le premier ministre à mesurer mieux ses sorties publiques et plutôt promouvoir une résolution pacifique », a poursuivi le chef Picard.

SÉCURITÉ DES POLICIERS

François Legault a évoqué une première fois mardi à Montréal la présence d’armes sur le territoire de Kahnawake. Interrogé à savoir pourquoi il divulguait publiquement cette information délicate, M. Legault a dit : « Je veux que les gens comprennent pourquoi la Sûreté du Québec n’est pas encore intervenue. »

« L’intervention policière est très délicate, et c’est pour ça que je veux être prudent dans mes commentaires et laisser la Sûreté du Québec faire sa stratégie », a-t-il ajouté. Il a aussi affirmé que ce n’était « pas une solution facile » et qu’il ne voulait pas « avoir sur [la] conscience » des policiers blessés lors de l’intervention.

« On est prudent, je veux protéger la sécurité des policiers », a-t-il déclaré. Quant à l’injonction obtenue par Québec pour défaire le blocage ferroviaire de Listuguj, en Gaspésie, M. Legault a aussi dit « prendre des informations » avant d’intervenir.

À Ottawa, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, a indiqué n’avoir « aucune information » au sujet de la présence d’AK-47 à Kahnawake. « J’ai une grande confiance en la capacité de la Sûreté du Québec et des corps de maintenir un climat sécuritaire et de réagir de manière appropriée », a-t-il affirmé.

— Avec Janie Gosselin, Mélanie Marquis et Joël-Denis Bellavance, La Presse

En bref

Trudeau défend sa gestion de crise

Soumis à un barrage de critiques à la Chambre des communes pour sa gestion de la crise ferroviaire, le premier ministre Justin Trudeau s’est défendu mercredi de faire preuve de « mollesse » devant la multiplication des barricades qui paralysent le transport par rail au pays. M. Trudeau a aussi écarté l’idée de se rendre lui-même en Colombie-Britannique afin d’y rencontrer les chefs héréditaires de la nation wet’suwet’en, un geste indispensable aux yeux du Bloc québécois et du NPD pour mettre fin à l’escalade des manifestations en appui à ces leaders autochtones. — Joël-Denis Bellavance, La Presse

Actions de manifestants dénoncées

Le ministre des Transports, Marc Garneau, et le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, cachaient mal leur colère, mercredi, de voir des manifestants mettre le feu à des débris de bois sur une voie ferrée près de Belleville alors qu’un train de marchandises du CN circulait. Ces débordements auraient pu avoir de graves conséquences, selon eux. « C’est un acte extrêmement dangereux, non seulement pour les personnes qui essayaient d’allumer un feu en dessous d’un train qui était en train de rouler, mais extrêmement dangereux pour d’autres personnes », a affirmé M. Garneau.

— Joël-Denis Bellavance, La Presse

Vers une pénurie de propane ?

Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, Jonatan Julien, a affirmé que le Québec disposait actuellement de réserves de propane pour « quatre à cinq jours » avec 12 millions de litres en stock. « Avec le rationnement, on est à une utilisation d’environ 2,4 millions de litres de propane par jour. […] Naturellement, on commence […] à manquer de solutions. La seule solution demeure le camionnage et on parle de 800 000 à 1 million de litres par jour qu’on peut aller chercher », a-t-il expliqué. En combinant le ravitaillement quotidien par camion et le rationnement, les réserves pourraient tenir jusqu’à sept ou huit jours au maximum. — Fanny Lévesque, La Presse

Impacts sur GNL Québec

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, et son collègue de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, affirment que l’impasse entre Ottawa et les chefs héréditaires de Wet’suwet’en, qui s’opposent à ce que le gazoduc de Coastal GasLink traverse leurs terres ancestrales, a un impact sur le financement du projet québécois de GNL Québec. « Ce sont des projets qui sont drôlement regardés, c’est sûr qu’il va y avoir un impact […] financier », estime M. Fitzgibbon. « Ce qu’on a vu avec Teck Frontier et tous ces projets-là, c’est sûr que les financiers hors Québec, hors Canada regardent ce qu’il va se passer, comment on va régler les enjeux autochtones, qui sont des enjeux excessivement importants », a-t-il ajouté. — Fanny Lévesque, La Presse

Wet’suwet’en : toujours pas de rencontre en vue

Un chef héréditaire de la nation Wet’suwet’en a déclaré que les gouvernements fédéral et provincial ont annulé des pourparlers prévus pour tenter de dénouer l’impasse sur les barricades. Le chef Na’moks a affirmé tard mercredi que les responsables gouvernementaux avaient demandé aux chefs héréditaires d’appeler tous leurs alliés d’autres nations à « cesser leurs actions ». Les chefs ont répondu qu’ils ne pouvaient pas dire comment agir à une autre nation souveraine. Le chef Na’moks a dit qu’il avait le cœur brisé et que les chefs héréditaires avaient encore la volonté de tenir des discussions. Le bureau du premier ministre de la Colombie-Britannique a affirmé qu’il était regrettable qu’aucun accord n’ait pu être conclu.

— La Presse canadienne 

Blocus ferroviaire

Les manifestants persistent et signent

Feux allumés près de voies ferrées en Ontario, barricades renforcées à Kahnawake, objets lancés sur un train en marche : loin de s’essouffler après 21 jours, le mouvement de blocage du trafic ferroviaire s’est intensifié en gestes et en paroles, mercredi. La circulation des trains a tout de même repris petit à petit en Ontario.

De nouvelles structures de béton ont été acheminées à Kahnawake mercredi matin. Au moins deux camions sont venus décharger des pierres sur les lieux, pour fortifier les barricades. De la machinerie lourde s’est appliquée à placer ces amoncellements de manière à réduire l’accessibilité au chemin de fer.

En renforçant les entraves, les manifestants se préparaient à une « possible intervention physique par les forces policières de l’extérieur », a indiqué le secrétaire de la nation mohawk de Kahnawake, Kenneth Deer, précisant qu’ils n’avaient pas l’intention de démanteler les barricades, malgré l’injonction obtenue la veille par le Canadien Pacifique (CP) pour forcer le dégagement des voies.

En fin de journée, les contestataires ont dit n’avoir toujours pas reçu la copie de l’injonction.

Les revendications de la communauté restent les mêmes, a précisé M. Deer : le retrait de la GRC du territoire wet’suwet’en, en Colombie-Britannique, et la suspension des travaux du gazoduc Coastal GasLink.

Ontario et Colombie-Britannique

En Ontario, la reprise du trafic ferroviaire ne s’est pas faite sans heurts. Un premier train a entamé la traversée du territoire mohawk de Tyendinaga, épicentre du blocage ferroviaire, mercredi en matinée.

Des manifestants, toujours présents tout près des rails, ont incendié un amas de débris sous le train, forçant l’arrêt d’un second train, qui a finalement pu repartir, sans que la police intervienne.

Malgré le démantèlement des barricades par la Police provinciale de l’Ontario, en début de semaine, des manifestants se trouvaient toujours près des voies mercredi. Une poignée de manifestants a allumé de petits feux près des rails, a indiqué le corps policier.

Une vidéo a aussi été diffusée dans laquelle on voit des protestataires sur la voie ferrée, devant un train en marche, se déplaçant à la dernière minute pour éviter la collision. On aperçoit également un manifestant qui lance une palette de bois enflammée près des roues du convoi.

Les trains de banlieue du sud de l’Ontario ont quant à eux repris leurs activités, les lignes fonctionnant normalement pour la plupart.

Du côté de la Colombie-Britannique, des protestataires ont manifesté sur une autoroute de l’île de Vancouver, causant une « perturbation significative » de la circulation entre Victoria et l’aéroport. De jeunes autochtones ont aussi manifesté devant l’Assemblée législative à Victoria, remettant notamment en question la politique de réconciliation du gouvernement Trudeau.

Réconciliation

À Kahnawake aussi le sujet de la réconciliation a soulevé des commentaires.

« Je ne crois pas que la réconciliation est morte, mais elle est certainement affaiblie, a nuancé M. Deer. […] Je crois que le mot a été surutilisé, et que c’est devenu un mot à la mode. » 

« Il doit y avoir de l’action et de vrais efforts sincères pour réconcilier les différences entre les autochtones et le Canada. »

— Kenneth Deer, secrétaire de la nation mohawk de Kahnawake

« Canada, stop bullying », pouvait-on lire sur une pancarte posée sur une barrière de béton, non loin d’une tente sur laquelle était épinglé le drapeau rouge des Warriors.

Kenneth Deer a déclaré qu’il croyait en la « sincérité » de Justin Trudeau dans sa démarche. « C’est le premier ministre de tous les Canadiens, pas le premier ministre de tous les peuples autochtones, […] donc il se trouve dans la délicate situation d’essayer de corriger des erreurs historiques qui ne peuvent être changées du jour au lendemain. »

Appel au calme

Le grand chef du Conseil mohawk de Kahnawake, Joe Norton, a appelé les siens au « calme » et a lancé un avertissement : « L’histoire nous rappelle que l’approche appropriée pour traiter les problèmes est le dialogue et la discussion, et non d’envoyer la police. » Il n’a pas exclu la contestation de l’injonction. Il a également affirmé dans un communiqué que seuls les Peacekeepers, le corps de police de la réserve, avaient compétence pour intervenir sur le territoire.

Le dirigeant du corps policier autochtone, Dwayne Zacharie, a fait savoir dès lundi que son organisation n’avait aucune intention de traiter comme des criminels des gens dont l’action vise à faire valoir leurs droits. Il n’a pas répondu aux demandes d’entrevue de La Presse mercredi.

— Avec La Presse canadienne

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