Cogeco la négligée
« Tout le monde nous sous-estime », dit Louis Audet
En 1990, le câblodistributeur Cablenet, contrôlé par la famille Torchinsky d’Edmonton, est à vendre. Tous les grands acteurs canadiens de l’époque, dont Maclean-Hunter et Rogers, veulent mettre la main sur les 200 000 abonnés situés en Ontario, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. Contre toute attente, c’est une petite entreprise québécoise qui remporte la mise, au coût de 254 millions : Cogeco.
« Ç’a été un coup de tonnerre, confie Louis Audet dans une entrevue exclusive accordée à La Presse. Il fallait presque être fou pour participer à cet effort-là. On était donnés perdant et on a réussi. On était très contents. On doublait notre base d’abonnés. »
Cet évènement illustre bien l’histoire de Cogeco.
« On a toujours été l’underdog (le négligé) », note Louis Audet, président exécutif du conseil de Cogeco et de sa filiale Cogeco Communications.
« On était toujours présumés perdants au départ. C’est dur sur le moral, mais en même temps, c’est un avantage parce que tout le monde nous sous-estime, et vous en avez des exemples par les temps qui courent. »
— Louis Audet
M. Audet n’a pas souhaité commenter la proposition d’achat d’Altice USA et de Rogers, que l’entreprise a rejetée sans équivoque. Mais cette proposition démontre toute la valeur qu’a prise la société créée à peu près en même temps que la télévision, dans les années 50.
La passion de la télé
Car le grand rêve d’Henri Audet, père de Louis, c’était la télévision. Elle n’existe pas en 1945, quand Henri est engagé comme ingénieur par la Société Radio-Canada, après avoir obtenu des diplômes de l’École polytechnique de Montréal et du Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Cependant, dès la décennie suivante, le Montréalais participe chez Radio-Canada à l’implantation de stations de télé affiliées dans plusieurs villes du pays. Voyant que Trois-Rivières est encore libre, il saute sur l’occasion et démarre en 1957 sa propre station, CKTM-TV.
« Mon père a vendu sa maison de Notre-Dame-de-Grâce, il a déménagé sa famille, s’est mis en appartement, raconte Louis Audet. Tout l’argent allait pour ça [la station]. »
La famille Audet détiendra plus tard deux stations à Trois-Rivières et deux à Sherbrooke, pour Radio-Canada et TQS. Mais le rêve ultime, c’est d’avoir un grand réseau francophone.
Justement, au début des années 80, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) cherche un propriétaire pour une nouvelle station francophone. En dépit d’immenses efforts, la famille Audet voit la licence pour TQS attribuée en 1985 à une autre famille, les Pouliot, propriétaires de CFCF et de CF Cable TV. Cogeco doit patienter jusqu’en 2002 pour devenir actionnaire majoritaire à 60 % de TQS, mais il est trop tard.
« Ils ont pris possession de TQS dans une situation très difficile. Et TQS n’a jamais vraiment réussi à devenir une station importante avec un auditoire important. »
— Richard J. Paradis, professeur en politiques des communications à l’Université de Montréal
Au moment où le rêve d’Henri Audet tire à sa fin et que Cogeco doit envisager de quitter pour de bon la télévision, son fils le consulte.
« J’avoue que, moi, j’étais déçu, raconte Louis Audet. Mon père était à sa retraite et déjà un peu plus vieux. Je me souviens de m’être assis avec lui et de lui avoir dit : “Henri, là, on va être obligés de laisser aller les stations de télévision.” Et, à ma grande surprise, il m’a regardé et il m’a dit avec calme et sérénité : “Bien, ça se peut qu’on soit rendus là.” »
Cogeco se résout à placer TQS à l’abri de ses créanciers, et le réseau est finalement repris par Remstar en 2008.
« Basé sur les actifs que nous détenions, c’était impossible d’occuper une place plus grande, poursuit Louis Audet, et on a bien fait de se concentrer dans la câblodistribution. »