Après la pandémie, le beau temps
Trop beau pour être vrai ? Une relecture de l’histoire des pandémies nous promet des lendemains non seulement heureux, mais carrément réjouissants, avec une véritable explosion de festivités, de créativité, de stades pleins à craquer. Mais attention : pas demain matin. Ni même l’an prochain.
Objectif : 2024. C’est du moins ce qu’entrevoit avec confiance Nicholas Christakis, médecin épidémiologiste et sociologue de Yale, sacré « intellectuel rock star » par le New York Times, et ayant figuré parmi les 100 personnalités les plus influentes du Time Magazine il y a quelques années.
L’éminent chercheur, directeur du Human Nature Lab, qui étudie, entre autres, comment les épidémies influencent nos vies, ne mâche pas ses mots. « Pour moi, c’est vraiment probable », confirme-t-il, recherches historiques et épidémiologiques à l’appui.
Le chercheur vient de publier un essai sur le sujet : Apollo’s Arrow : The Profound and Enduring Impact of Coronavirus on the Way We Live.
« Ce qui nous arrive nous semble peu naturel et étrange, mais les épidémies n’ont rien de nouveau ! Elles ne sont que nouvelles pour notre génération ! »
— Nicholas Christakis, épidémiologiste et sociologue de l’Université Yale
Citant la Bible, Homère, même Shakespeare, il rappelle que les grandes épidémies font carrément partie de « l’expérience humaine », environ « tous les 100 ans ». C’est une vérité objective. Une vérité qui nous permet en outre d’entrevoir ce qui nous attend. En mieux, puisque nous sommes, faut-il le rappeler, la toute première génération capable d’inventer de son vivant un traitement : à savoir, un vaccin. « Et c’est un miracle ! »
S’appuyant sur le cas de la grippe espagnole, Nicholas Christakis distingue ici trois phases : la phase pandémique actuelle (où « les gens sont typiquement plus religieux, évitent les interactions sociales, se replient sur eux, et où l’économie s’effondre »), laquelle devrait s’étirer jusqu’à ce que l’on atteigne une certaine immunité collective (artificiellement, par la vaccination, ou encore naturellement, par la propagation, fin 2021), distanciation physique et confinement inclus ; la phase intermédiaire, question d’encaisser le choc associé aux millions de morts, malades, enfants privés d’école et emplois perdus (« et quelques années seront nécessaires […] pour absorber ici les chocs psychologiques, sociaux et économiques ») ; puis, enfin, la fameuse (et tant attendue) phase post-pandémique.
« 2024 devrait marquer l’entrée dans nos années folles, post-pandémiques. »
— Nicholas Christakis, épidémiologiste et sociologue de l’Université Yale
Ici, s’il faut se fier aux épidémies passées, le chercheur s’attend à une totale « inversion des tendances » : « Les gens vont chercher des interactions sociales à tout prix ! […] C’est ce qu’on a vu après les grandes pestes […] : l’apparition de comportements sexuels débridés, le retour des dépenses, et une effervescence du côté des arts et de l’entrepreneuriat ! »
Partout ? Bien sûr que non. Comme en temps de guerre, il y aura des blessés, « et tous les problèmes ne vont pas disparaître ». Reste que globalement, l’humeur sera aux réjouissances. « Les gens seront soulagés, et il y aura un sentiment d’excitation dans la société ! […] C’est la réponse habituelle, quand une société se remet d’une pandémie. […] Parce que les pandémies ont une fin. Elles causent certes beaucoup de souffrances, mais elles ont une fin. » Et ce sera sans équivoque. « Avec tambour et trompette ! Grandiose et dramatique. »
Pierre Fortin semble vouloir donner raison à M. Christakis. L’économiste n’a certes pas de boule de cristal, mais il a une calculette. Et les chiffres qui s’y affichent s’avèrent plutôt encourageants d’un point de vue économique.
Pendant que s’accumulaient les frustrations sociales ou touristiques, l’argent s’est lui aussi tranquillement amoncelé. Selon les calculs de l’universitaire, l’épargne excédentaire accumulée des ménages canadiens des deuxième et troisième trimestres de 2020 atteint 450 milliards, en comparaison avec la période prépandémique. Le montant du prochain trimestre, connu début mars, devrait aller dans le même sens.
« Ça, c’est de l’argent en banque pour la reprise économique. Il est probable que les ménages canadiens vont en dépenser une partie dans les trimestres de l’été prochain ou de l’automne », avance l’économiste, mettant toutefois deux brides à cette hypothèse : quelle fraction de cette épargne sera effectivement dépensée ? Et quelle portion profitera à l’économie nationale ?
« Si on dépensait 40 % de ce 450 milliards, en plus de la dépense normale de consommation, cela ferait une injection de 180 milliards de plus dans l’économie canadienne. La reprise serait partie en grand. »
— Pierre Fortin, économiste
Les excédents des subventions gouvernementales de 2020, jugées trop généreuses par certains, pourraient s’avérer « un atout extraordinaire » pour accélérer la reprise dès cette année, selon le professeur de l’UQAM.
« Ça, c’est dans mes rêves les plus fous, comme on emploie l’expression “Années folles” ! Mais c’est basé sur de l’argent que les gens ont dans leur compte », lance-t-il, préférant dresser un parallèle avec l’après-guerre de 1945. « Les économistes de l’époque prévoyaient une récession, car le gouvernement cessait les dépenses militaires. Mais ils n’avaient pas prévu que l’épargne accumulée compenserait cette baisse », rappelle-t-il.
L’attitude et la psychologie des consommateurs, difficilement devinables, en seront la clé. « Ils pourraient prendre beaucoup de temps à sortir de leur anxiété et à redépenser, tout comme ils peuvent se mettre à dépenser comme des fous… », souligne l’économiste, qui pense que cette relance, si elle se concrétise, serait durable.
Et il est loin d’être seul à entrevoir de la lumière : la plupart des prévisions de grandes institutions (Banque de développement du Canada, Deloitte, Banque Scotia, etc.) envisagent un rebond post-vaccination, mais restent prudentes, notamment en raison des variants.
Bref, si les consommateurs ont le cœur à follement fêter, cela ne devrait pas être le chéquier qui va les freiner.