Infrastructures vertes et cyclables

La plus belle part du gâteau aux quartiers aisés

Ce sont d’abord les habitants des quartiers les mieux nantis qui profitent réellement des investissements en infrastructures vertes et cyclables dans la métropole, démontre une nouvelle étude de l’Université de Montréal. Son auteur principal appelle l’administration de Valérie Plante à investir « de façon plus intelligente » et équitable.

« On voit la Ville investir dans la canopée, les pistes cyclables, les parcs, les espaces verts. C’est bien, mais il faut aussi se demander si ces investissements-là contribuent ou pas à réduire les inégalités environnementales et sociales », affirme le professeur Yan Kestens, chercheur principal de l’équipe INTERACT, qui étudie l’impact de l’aménagement des villes sur la santé des populations.

Les données de son équipe montrent que les investissements cyclables se sont « inversés » avec le temps. « En 2011, 5,9 % du réseau était cyclable dans les quartiers gentrifiés, et 7,1 % dans les quartiers non gentrifiés. Mais depuis, ça s’est inversé : ce rapport-là est maintenant de 13,3 % contre 10,1 % », note le chercheur.

« Essentiellement, les secteurs qui se sont gentrifiés entre 2011 et 2016 ont bénéficié de beaucoup plus d’aménagements cyclables. »

– Yan Kestens, professeur et chercheur principal de l’équipe INTERACT

Fait surprenant : les secteurs embourgeoisés sont encore « moins verts » de manière générale, selon le chercheur, qui note cependant que la différence avec les quartiers qui n’ont pas encore fait l’objet d’un embourgeoisement « s’est amenuisée » pendant la même période. « Les secteurs gentrifiés ont été davantage verdis, et ont donc rattrapé en partie leur retard. Par contre, les secteurs défavorisés ou avec plus de minorités visibles, déjà moins verts en 2011, n’ont pas autant profité du verdissement que les quartiers plus favorisés. Conséquence : soit les écarts se sont maintenus, soit ils ont légèrement augmenté », observe-t-il.

Il s’explique ces décalages par une réalité historique. « Les populations immigrantes et ouvrières se sont installées dans des quartiers plus industrialisés et enclavés. Les quartiers plus nantis ont pu investir davantage dans les espaces verts, les arbres et l’accès aux activités de loisir », poursuit le chercheur. Selon lui, cette tendance a créé des inégalités de santé importantes, car « les personnes habitant près des espaces verts rapportent une meilleure santé générale que celles qui habitent des quartiers plus enclavés ».

Des avenues plus équitables ?

Montréal-Nord, où la population réclame depuis des années davantage de pistes cyclables sûres, est l’un des arrondissements « qui comporte[nt] le moins de voies cyclables comparativement au reste de la ville », lit-on dans le rapport de l’équipe de M. Kestens.

« Le déficit d’infrastructures vertes et cyclables dans [Montréal-Nord], c’est connu et surtout décrié, avec les nombreux enjeux de sécurité routière qu’on y retrouve. C’est un exemple flagrant des iniquités territoriales. »

– Yan Kestens, professeur et chercheur principal de l’équipe INTERACT

« Plus au sud, à Longueuil, il y a des secteurs qui sont aussi très en retard en matière d’espaces verts et cyclables. Ça contraste avec les quartiers plus aisés qu’on connaît au centre-ville, comme le Plateau Mont-Royal, ou encore certaines banlieues plus nanties », avance-t-il aussi.

Une question demeure toutefois : l’embourgeoisement est-il vraiment la cause de la hausse de ces infrastructures dans les quartiers ?

« En fait, ça ressemble à l’histoire de l’œuf et de la poule, estime le postdoctorant Behzad Kiani, membre de l’équipe de recherche. On n’est pas sûrs encore si l’embourgeoisement engendre des investissements dans l’environnement bâti ou si les changements dans l’environnement bâti d’un quartier pourraient encourager de nouvelles communautés à s’y installer et à l’enrichir. On étudie présentement cette relation. »

« Investir de façon plus intelligente »

L’étude du groupe INTERACT se poursuit. L’équipe cherche actuellement à recruter des résidants de Montréal pour « comprendre comment les divers segments de la population vivent les changements dans leurs quartiers ». « Ce réflexe d’équité dans les investissements, je pense que c’est quelque chose qui doit se développer davantage. Il y a moyen d’investir de façon plus intelligente », conclut M. Kestens.

À la Ville de Montréal, le responsable de l’urbanisme, Robert Beaudry, assure que l’administration Plante a pour « priorité » de travailler à l’« équité territoriale » des espaces verts et cyclables.

« On veut du développement, mais on veut aussi qu’il y ait des retombées sociales. […] Quand il y a des investissements dans les infrastructures, il faut qu’on s’assure que ce soit pour tout le monde. »

– Robert Beaudry, responsable de l’urbanisme à la Ville de Montréal

« Pas surpris » par les constats du chercheur, M. Beaudry affirme toutefois que la Ville en fait déjà beaucoup pour corriger la situation depuis 2017, même si de grandes inégalités existent toujours. « Dans les réglementations locales, on intègre par exemple des frais de parcs, donc on s’assure qu’il existe des parcs avant le développement des secteurs », cite-t-il, en disant vouloir donner davantage à des espaces verts dans l’Est, avec le projet de futur parc écotouristique de l’île Sainte-Thérèse, par exemple.

– Avec la collaboration d’Isabelle Ducas, La Presse


EN SAVOIR PLUS

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Le nombre de kilomètres de voies cyclables réparties sur toute l'île de Montréal, selon les plus récentes données de la Ville datant de septembre.

Source: source : Ville de Montréal

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