Résumé du chapitre précédent

Lucia Lamaca a peur. Elle ne sort plus de son appartement. Mais pour rien au monde elle ne manquerait l’anniversaire de sa filleule, la petite Sandra. Elle y fait la rencontre d’un bien curieux clown…

Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 26 : Le secret de l’urinoir

C’était dans l’Évangile selon saint Matthieu, chapitre 20, verset 16 : Ainsi les derniers seront les premiers. Tout juste après le verset 15 : Ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux ? Puis, verset 18 : Et le Fils de l’homme sera livré aux principaux sacrificateurs et aux scribes. Ils le condamneront à mort.

L’inspecteur Panneton avait mis des heures à dénicher un exemplaire de la Bible. Sa femme, grande lectrice devant l’éternel, n’en possédait pas. « Une bible ? Mais c’est pas une église, c’est un poste de police », lui avait craché l’archiviste Yvonne, dont le prénom et la tenue semblaient tirés d’un siècle révolu, ce qui expliquait peut-être sa mauvaise humeur permanente.

Pendant un bref moment, il s’était imaginé volant un exemplaire de la bible sur la table de chevet d’un motel – mais peut-être que ça ne se faisait plus, offrir des Bibles aux voyageurs ? Il n’en savait rien. Il y avait des années qu’il n’avait pas dormi dans un motel.

Comme la majorité des Québécois de sa génération, Panneton vivait dans un monde rationnel, sans Dieu ni Diable. S’il n’en tenait qu’à lui, les églises pouvaient bien toutes se transformer en condos de luxe. La religion n’apparaissait pas sur son radar personnel, elle n’était ni bien ni mal, elle n’existait pas.

Mais là, avec ces tatouages, il n’avait pas le choix. Les inscriptions recouvraient l’avant-bras de Meursault depuis au moins 30 ans, probablement plus, selon le pathologiste Pathel. Avaient-elles un sens particulier ? Y avait-il une clé, un filon à suivre ? En grossissant l’image sur son ordinateur, il voyait le grain de la peau, quelques empâtements d’encre, mais rien qui aurait pu le guider vers le ou les assassins de Meursault, de Tania et de Maheu. À supposer qu’il y ait eu un lien entre ces trois meurtres.

Les dessins stylisés, presque abstraits, pouvaient être interprétés comme deux cœurs en flammes, surmontés d’un lys autour duquel frétillait un poisson – images associées à saint Antoine de Padoue, patron des marins, des naufragés et des prisonniers, comme l’apprit Panneton en fouillant sur Google.

Marins ? Il alla chercher la photo de Tania et Meursault, devant le bateau, le Saint-Antoine. Il scanna l’image, l’agrandit, faisant apparaître une sorte d’armoirie où un observateur bien disposé pouvait distinguer un cœur en flammes, un poisson, un lys. À quelques fioritures près, la réplique du tatouage qui s’étalait depuis au moins trois décennies sur l’avant-bras droit de Meursault.

Là, il tenait quelque chose. Mais quoi ? Antoine, comme dans Antoine Meursault ? Ou comme dans saint Antoine de Padoue ? Ou comme dans la Société Saint-Antoine ? Et l’école Saint-Antoine ? Pourquoi l’école ?

Ce samedi-là, Panneton passa une grande partie de la journée au bureau. Cette enquête l’obsédait : il avait déjà trois meurtres sur les bras, et pas le moindre suspect minimalement crédible. Il regarda l’horloge murale, qui indiquait 18 h. Merde, sa fille venait souper à la maison, avec son mari et leurs jumeaux. Il devait rentrer.

Il s’étira, se frotta les yeux – et se rendit compte qu’une animation inhabituelle, pour un samedi, régnait près du bureau du chef du service des homicides, de l’autre côté du couloir.

– Panneton, cria un jeune policier de l’équipe du week-end. Un meurtre. Une femme. Dans Saint-Léonard.

Lucia, pensa Panneton, et il sentit ses jambes ramollir. Lucia.

Jules Lessard émergea du bureau des homicides, avec sa tête des mauvais jours. Que faisait-il là un samedi ? Le policier vit son patron le fixer de ses yeux rapprochés : Panneton, dans mon bureau !

Il n’y avait pas 36 000 solutions pour retarder un peu la rencontre, le temps de reprendre le contrôle de ses émotions.

– Faut qu’j’aille pisser, marmonna Panneton.

– Ça tombe bien, moi aussi, répliqua Lessard.

Quelle teigne, celui-là, pensa le policier en baissant la fermeture éclair de son jeans noir, à un pied de son patron. Ils pissèrent en silence. Panneton revoyait dans sa tête le visage nerveux de Lucia, sa tête d’ancienne reine déchue de sa couronne. Et courant à sa perte, il le savait maintenant.

Quand il se tourna vers Lessard, celui-ci était en train de se savonner les mains au-dessus de l’évier. Il les passa sous le jet d’eau et hurla : fuck, c’est brûlant !

Il retira ses mains et les leva brusquement au-dessus de sa tête, laissant à découvert son avant-bras droit. Panneton eut à peine le temps d’apercevoir le tatouage, quand Lessard rabattit la manche de sa chemise. Viens dans mon bureau, ordonna-t-il.

Demain

Hugo Dumas : Le boucher des vanités

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