Questions de leadership

Trouver l’équilibre intérieur féminin-masculin

Cette semaine, la Dre Rosemarie Chénard-Soucy, psychiatre au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), fondatrice d’une clinique spécialisée pour les troubles de la personnalité complexes du CUSM et lauréate du prix Marthe-Pelland 2023 pour son leadership médical et social, répond à nos questions sur le leadership.

Exerce-t-on son leadership en médecine comme dans n’importe quelle organisation ou entreprise ?

Les institutions de santé ont toutes pour mission principale d’offrir des soins de qualité à une population. Le leadership en médecine est habituellement toujours en cohérence avec cette mission.

Un leader positif en médecine est à mon avis quelqu’un qui rassemble et qui motive les individus et les systèmes à évoluer, à devenir de meilleurs soignants.

Le leader est comme un thérapeute de la résistance au changement : il arrive à sécuriser, à rallier, à accompagner, à montrer l’exemple… de sorte que les individus et systèmes ont moins peur d’oser changer.

Est-ce que les femmes ont réussi à prendre leur place dans les postes de gestion en médecine ?

Je pense que oui. Par contre, je ne crois pas que les valeurs féminines ont réussi à prendre leur juste place dans les processus décisionnels en gestion de la santé et en pratique de la médecine. À mon avis, la question du leadership féminin est plus profonde que celle de la parité des genres.

Qu’est-ce que le leadership féminin, selon vous ?

La promotion et l’application des valeurs associées dans notre société au féminin, comme l’accueil de l’autre, l’attention portée au bien-être émotif des personnes, l’importance accordée au savoir-être plutôt qu’au savoir-faire.

Il n’est pas présent ?

À l’intérieur des institutions médicales, on constate que ce sont la plupart du temps les valeurs masculines qui dominent : l’hypervalorisation de la performance, du sang-froid, de la rationalité, etc.

À cause de la domination de ces valeurs, on se retrouve parfois face à leurs extrêmes et leurs côtés sombres. Je pense à la froideur à glacer le sang de certains individus ou de certaines règles institutionnelles, à la vision des individus comme des numéros interchangeables, au mépris des besoins relationnels, affectifs et environnementaux des employés.

Toutes ces dérives qui déshumanisent les environnements de travail alimentent une vision industrielle des soins de santé et trahissent le manque de présence des valeurs féminines dans notre système.

C’est le débalancement entre ces deux visions qui entraîne des dérives. L’objectif est d’atteindre une complémentarité où féminin et masculin s’enrichissent l’un l’autre.

Vous avez créé une clinique du trouble de personnalité du CUSM, vous êtes directrice de l’enseignement pour les résidants en psychiatrie et au comité de leadership médical du département en psychiatrie. Comment abordez-vous tous ces rôles ?

J’avais initialement une vision très masculine du professionnalisme et de la compétence. Un médecin compétent et professionnel se devait à mon avis d’être en tout temps rationnel, de maintenir une distance émotive avec ses patients, ses collègues et ses étudiants ! Je laissais donc ma sensibilité et ma spontanéité à la maison. Évidemment, ça ne fonctionnait pas tout à fait : difficile pour moi de retenir un éclat de rire ou une exclamation… Petit à petit, aidée par l’expérience de la maternité et d’autres évènements personnels marquants, dont la maladie grave de mon enfant, j’ai tenté de me laisser être femme à part entière au travail.

Pour moi, la question du leadership féminin évoque d’abord la recherche d’un équilibre intérieur entre les principes masculins et féminins.

J’observe que la plupart des médecins ont intériorisé une forme ou une autre de misogynie, comme un mépris ou une peur des sentiments… de leurs propres sentiments ! L’atteinte d’un équilibre féminin-masculin dans nos systèmes (dont en médecine) commence selon moi par l’atteinte d’un équilibre féminin-masculin à l’intérieur de chacun de nous.

Avec vos recherches et vos expériences, vous souhaitez contribuer à une meilleure compréhension du trouble de la personnalité narcissique. Est-ce faux de penser que plusieurs leaders ou dirigeants en souffrent davantage ?

Il est important de distinguer le narcissisme pathologique du narcissisme sain. La plupart des personnes occupant des postes de direction ou des fonctions de leader ont besoin d’une bonne dose de narcissisme sain pour y arriver : confiance en soi, compétitivité, désir de se dépasser, recherche de l’excellence et de la réussite.

Ce qui distingue le narcissisme pathologique est principalement l’incapacité à tolérer les états de vulnérabilité (échec, humiliation, déceptions) en raison d’une fragilité importante de l’estime de soi. La personne qui en souffre ne se reconnaît une valeur qu’à travers ses accomplissements. En ce sens, la réussite devient nécessaire, comme une question de survie psychologique.

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