Science

Les vidangeurs du cerveau

On soupçonne depuis l’Antiquité grecque que le sommeil est réparateur, qu’il permet de corriger des déséquilibres internes du corps. Pour la première fois, des chercheurs mettent au jour le mécanisme de cette excrétion des toxines du cerveau durant la nuit.

Dans la revue Science, la semaine dernière, des spécialistes du cerveau de l’Université de Rochester ont expliqué pourquoi une bonne nuit de sommeil nous aide à penser. Durant le sommeil, le « liquide céphalorachidien », présent dans l’espace entre les cellules du cerveau, draine les métabolites toxiques produits par leur activité.

« Le liquide céphalorachidien occupe 60 % plus d’espace quand les souris dorment que lorsqu’elles sont éveillées », explique Rashid Deane, l’un des auteurs de l’étude de Science, en entrevue depuis l’État de New York. « Son flux est 20 fois plus important durant le sommeil. Les autres parties du cerveau se compriment, comme pour lui laisser faire son travail de vidangeur. Jusqu’à maintenant, ceux qui postulaient un rôle similaire pour ce liquide présumaient qu’il coulait lentement, tout au long de la journée, au milieu du cerveau. »

L’étude « fait beaucoup de bruit », commente Thien Vanh Dang-Vu, professeur à l’Université Concordia et neurologue à l’Institut universitaire de gériatrie. « C’est un vent frais pour les équipes qui travaillent sur le sommeil, dit ce spécialiste. L’étude est très élégante, car elle construit un modèle cohérent à partir de plusieurs séries de données. Ceci dit, il faut voir si elle est reproductible pour d’autres types de protéines, de toxines. Ici, on n’a étudié que la bêta-amyloïde. » Dans un article publié par Science, plusieurs sommités du domaine du sommeil ont émis des commentaires élogieux.

Enthousiasme modéré

Gabriella Gobbi, psychiatre au Centre universitaire de santé McGill, est moins enthousiaste. « Oui, ils ont mis au jour un mécanisme inconnu, dit la Dre Gobbi. Mais on postulait déjà que le liquide céphalorachidien et le sommeil ont cette fonction. Ils ont simplement lié les deux concepts avec leur expérience. »

Une autre étude de la même équipe, parue l’an dernier dans la revue Science Translational Medicine, avait déjà montré que la protéine bêta-amyloïde, une toxine du cerveau, était évacuée du cerveau via le liquide céphalorachidien. Elle montrait aussi que 40 % du liquide céphalorachidien était recyclé : une fois les toxines refilées au sang, une partie du liquide retourne au cerveau.

Pour s’assurer de la validité de l’hypothèse, les chercheurs de Rochester ont vérifié si des souris génétiquement modifiées, chez qui est entravée l’évacuation du liquide hors du cerveau, évacuent aussi bien la bêta-amyloïde, qui est associée à la maladie d’Alzheimer. L’évacuation de la toxine était alors moindre.

Pour décrire leur découverte, les neurologues américains parlent de « système glymphatique », contraction des adjectifs « lymphatique », qualifiant un système ayant des fonctions similaires dans le reste du corps, et « gliale », désignant un type de cellules qui entourent les neurones. 

Comment se fait-il que personne n’avait pu observer le phénomène avec d’autres types d’imagerie médicale ? « On ne peut pas distinguer ces différentes cellules », explique Gabriella Gobbi. Andréa LeBlanc, neurologue à l’Université McGill, ajoute que le liquide céphalorachidien « est surtout étudié pour les biomarqueurs qu’il contient. Pour ce qui est de sa raison d’être, il n’y a pas énormément de recherches. »

L’étude de 2012 évoquait la possibilité d’étudier le mécanisme chez les humains avec l’aide de « l’imagerie de perfusion par résonance magnétique », un suivi du flux sanguin au cerveau, mais M. Deane n’était pas au courant d’un projet précis. « Dans un premier temps, nous devons mieux comprendre comment l’espace où circule le liquide céphalorachidien s’élargit durant le sommeil », dit-il.

Il faut aussi, selon la Dre Gobbi, voir si le changement survient à tous les stades du sommeil, ou seulement durant certains d’entre eux. « Chez la souris, il est difficile de distinguer les stades du sommeil, dit la psychiatre montréalaise. Il faudrait pouvoir faire la même expérience chez un autre animal. » Les souris de Rochester dormaient une demi-heure, assez longtemps pour traverser plusieurs stades de sommeil.

Acrobaties méthodologiques

Pour en arriver à ces résultats, il a fallu qu’une étudiante passe deux ans à entraîner les rongeurs à s’endormir sous le microscope avec un cathéter dans la tête. Pour les réveiller, elle leur tirait la queue. Un microscope spécial suivait des particules radioactives injectées dans le liquide céphalorachidien des souris.

Le siège de l’âme

Le fluide céphalorachidien a été prédit par Hippocrate dès l’Antiquité, dans le cadre de travaux sur l’hydroencéphalie, ainsi que par Galien, qui décrivait avec prescience un « liquide excrémental ». Mais il a fallu attendre le milieu du XVIIIe siècle pour qu’un ingénieur suédois, Emanuel Swedenborg, observe pour la première fois dans le cerveau ce fluide, qu’il considérait comme le siège de l’âme, une « lymphe spirituelle ». Un siècle avant lui, le physicien anglais Thomas Willis avait décrit un « liquide altéré » lié à la méningite. À la fin du XIXe siècle, les médecins ont d’ailleurs commencé à faire des ponctions lombaires du fluide pour traiter les méningites.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.