Crise des opioïdes

O’Toole change son discours, mais pas assez pour certains

Ottawa — Le chef conservateur Erin O’Toole adoucit la rhétorique de sa formation en matière de toxicomanie. Parce que la crise des opioïdes a fauché tant de vies – en quantité encore plus importante pendant la pandémie –, il promet de ne pas mettre de bâtons dans les roues des sites d’injection supervisée, comme son parti l’a déjà fait. Mais son plan est « d’un ridicule consommé », voire « honteux », croit un spécialiste du milieu.

« En tant que premier ministre, je traiterai l’épidémie des opioïdes comme une crise de santé urgente », a déclaré le dirigeant conservateur. Dans la plateforme de son parti, on lit les termes « sécurité », « guérison » et « aider ». On s’y engage à investir 325 millions de dollars sur trois ans pour bâtir 50 « centres communautaires » et créer 1000 « places de traitement résidentielles ».

Et il n’est pas question de s’opposer à l’ouverture de sites d’injection supervisée, qui ont été près d’une quarantaine à ouvrir leurs portes au pays depuis l’arrivée des libéraux de Justin Trudeau au pouvoir, en 2015.

En somme, il s’agit d’un virage non négligeable pour un parti qui, sous Stephen Harper, est allé jusqu’en Cour suprême dans l’espoir de forcer le seul centre de ce genre, InSite, à Vancouver, à mettre la clé sous la porte.

Le plus haut tribunal du pays l’en a empêché dans une décision unanime. Car ordonner la fermeture du site aurait « eu pour effet d’empêcher les consommateurs de drogues injectables d’avoir accès aux services de santé offerts par InSite, ce qui aurait mis leur santé, et en fait leur vie, en danger », ont tranché les neuf magistrats dans cet arrêt du 30 septembre 2011.

Dix ans et des dizaines de sites d’injection plus tard, l’approche répressive se dissipe.

« Il était à peu près temps que les conservateurs réalisent que c’est un problème de santé publique et non policier ou judiciaire. »

— Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau parti démocratique

« Mais il faut aller jusqu’au bout : est-ce qu’ils appuient les centres d’injection supervisée ? C’est ça qui est le plus efficace, pas des demi-mesures comme des centres communautaires », enchaîne-t-il.

Dans le camp libéral, un porte-parole a fourni cette réaction au plan du chef O’Toole : « Nous croyons que pour aider les gens qui font face à des problèmes de consommation, il faut appuyer des projets recommandés par les experts en santé publique. C’est ce que nous allons continuer à faire en soutenant des initiatives qui sauvent des vies comme les sites de consommation supervisée. »

« D’un ridicule consommé »

La réaction de Louis Letellier de St-Just, qui fut intervenant dans la cause InSite en Cour suprême, est quant à elle plus vitriolique. « Je n’ose même pas appeler ça un plan ; c’est d’un ridicule consommé », s’insurge-t-il dans un entretien virtuel de la France.

« C’est honteux. C’est indécent de nous présenter ces éléments-là comme un plan de lutte contre la crise des opioïdes. »

— Louis Letellier de St-Just, membre fondateur de Cactus Montréal

« On aurait pu innover. On est rendus ailleurs », déplore le membre fondateur de Cactus Montréal, premier organisme en Amérique du Nord à avoir mis sur pied un programme d’échange de seringues, en 1989.

M. Letellier de St-Just prône la décriminalisation de la possession simple de toutes les drogues.

« Évidemment, pour des raisons politiques, le gouvernement Trudeau n’a pas voulu aller aussi loin que ça », note-t-il, citant l’exemple du projet de loi libéral C-22, dont l’objectif était de dépénaliser, mais pas de décriminaliser.

La mesure législative déposée en février dernier ne s’est pas rendue à l’étape de la mise aux voix. Elle est morte au feuilleton en raison du déclenchement des élections.

Chez les libéraux, on n’a pas voulu indiquer si la crise des opioïdes trouverait une place dans la plateforme électorale qui n’a toujours pas été dévoilée. Le budget d’avril dernier prévoyait une enveloppe de 116 millions sur deux ans pour le Programme sur l’usage et les dépendances aux substances.

Surdoses mortelles plus nombreuses

La pandémie de COVID-19 a exacerbé la crise des surdoses d’opioïdes qui faisait déjà des ravages au pays. Entre avril et décembre 2020, on a recensé 5148 décès liés à une intoxication à ces substances, en hausse de 89 % par rapport à la même période en 2019, selon les données compilées par Santé Canada.

Parmi les facteurs qui ont contribué à l’aggravation de la crise figurent « un approvisionnement en drogues de plus en plus toxiques », un « sentiment accru d’isolement, de stress et d’anxiété » ainsi que « la disponibilité et l’accessibilité limitée des services offerts aux personnes qui utilisent des drogues », d’après le Ministère.

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