Quatre mots pour comprendre

Le Japon réinterprète son pacifisme

Après 70 ans de politique pacifiste, le Japon souhaite maintenant envoyer des forces armées à l’étranger pour défendre les intérêts de ses alliés. Un changement de cap très controversé, dans lequel la majorité des Japonais ne se reconnaissent pas.

ARTICLE 9

Après la capitulation japonaise en 1945, le pays s’est fait imposer une nouvelle Constitution par l’Occident. À l’article 9, le Japon renonce « à jamais » à la guerre, « ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ». Le pays n’a pas d’armée proprement dite, mais plutôt des « forces d’autodéfense » équipées pour défendre son territoire, mais pas pour attaquer un ennemi. Comme changer la Constitution est une opération fort complexe, le premier ministre Shinzo Abe a donc choisi de la « réinterpréter » en élargissant le concept « d’autodéfense ». Désormais, « l’autodéfense collective » permet au Japon d’aller défendre les intérêts de ses alliés.

SCANDALE

Réinterpréter la Constitution à défaut de la changer ? L’astuce qu'a adoptée le gouvernement libéral démocrate ne déplaît pas qu’aux pacifistes, mais également aux juristes. La nouvelle interprétation a été jugée « inconstitutionnelle » par plusieurs experts, dont le bâtonnier du Barreau de Tokyo. Malgré le boycottage du vote par l’opposition, le parti majoritaire du premier ministre Abe a voté pour la loi, qui doit maintenant être examinée par la Chambre haute. En éditorial du Asahi Shimbun, journal le plus important du pays, on a dénoncé une décision « scandaleuse »,  « qui a poussé l’arrogance et l’irresponsabilité de la force majoritaire à l’extrême ».

INFLUENCE

Cette interprétation est également vue d’un mauvais œil par la Corée du Sud et par la Chine, qui ne manquent jamais de rappeler les atrocités perpétrées en leur sol par l’armée impériale japonaise. Les Américains, pour leur part, encouragent les Japonais à élargir leur influence militaire dans la région. « Puisque le Japon ne peut avoir une armée, les États-Unis ont pris la responsabilité de le défendre », explique Benoît Hardy-Chartrand, chercheur au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale (CIGI) à Waterloo. « Pour le gouvernement Abe, la situation en Asie de l’Est est de plus en plus dangereuse. Il est vrai que la Chine est montée en puissance, et ça inquiète non seulement le Japon, mais toute la région. »

PROTESTATIONS

Le gouvernement Abe insiste sur la nécessité de ramener la « fierté » chez les jeunes Japonais, qui auraient, selon lui, une vision négative du pays à cause de son passé militaire. Mais pour la plupart des Japonais, le pacifisme est aujourd’hui une valeur fondamentale. « C’est quelque chose qui fait la fierté des Japonais, dit M. Hardy-Chartrand, et ça se reflète dans les manifestations en ce moment . » Hier, le rassemblement de Tokyo comptait 25 000 personnes, selon les organisateurs. Un sondage publié cette semaine a indiqué que la majorité des Japonais (56 %) désapprouve le changement de cap, contre le quart seulement (26 %) qui l’approuve.

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