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RÉPLIQUE

Des chiffres artificiellement gonflés ?
Non, une étude scientifique pionnière et rigoureuse

Nommée scientifique de l’année par Radio-Canada, Manon Bergeron, au nom de l’équipe de recherche ESSIMU, répond à la chronique d’Yves Boisvert publiée jeudi dernier qui remet en question le choix de la société d’État.

Dans sa chronique du 24 janvier, Yves Boisvert remet en question le choix de Radio-Canada de décerner le prix de Scientifique de l’année 2018 à Manon Bergeron, professeure à l’UQAM et responsable de la recherche ESSIMU (Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire).

Nous souhaitons revenir sur deux principales critiques envers ESSIMU : les résultats n’auraient aucune valeur scientifique, et le terme de violence sexuelle inclut des comportements qui ne sauraient être qualifiés de violents.

Face à l’actualité et aux mobilisations des dernières années, rappelons qu’il était impératif d’obtenir des données québécoises pour décrire le phénomène des violences sexuelles sur les campus. Pour ce faire, il fallait connaître les formes, les contextes, les conséquences de ces violences, de même que les obstacles à leur signalement. Dit autrement, il fallait dépasser la culture de l’anecdote ou de l’opinion personnelle.

En plus de révéler la présence élevée de différentes formes de violences sexuelles au sein d’un échantillon d’étudiants et d’étudiantes dans les universités sondées, ESSIMU montre que des personnes y travaillant subissent aussi ces violences. 

Selon les données recueillies, des groupes sont davantage ciblés, dont les femmes, les personnes des minorités sexuelles et de genre et les étudiantes de l’international. En somme, l’étude a permis de vérifier si le phénomène des violences sexuelles était anecdotique ou non. La réponse est qu’il ne l’est pas. Par contre, nous le rappelons encore ici, les chiffres obtenus par ESSIMU ne peuvent être généralisés à l’ensemble des communautés universitaires.

Des chiffres artificiellement gonflés par l’utilisation d’un échantillon de convenance ? Non !

La stratégie de recourir à un échantillon de convenance demeure la plus couramment utilisée dans les sciences humaines et sociales. Les scientifiques doivent reconnaître les biais introduits par l’utilisation d’un échantillon de convenance, ce qui est fait dans le rapport ESSIMU à la section méthodologie.

Soulignons également que l’invitation à participer à l’enquête a été distribuée avec diverses méthodes qui permettaient d’atteindre la quasi-totalité du corps étudiant et du personnel de six universités. Chaque membre de ces communautés universitaires a donc eu la possibilité de répondre au questionnaire. Rappelons que les personnes répondant à un sondage sont toujours volontaires. Même l’utilisation d’un échantillon aléatoire ne nous soustrait pas à cette obligation éthique : les personnes sélectionnées, au hasard ou non, doivent toutes consentir à participer à une étude.

Une méthode reconnue pour vérifier si l’autosélection a introduit un biais consiste à comparer les résultats obtenus avec ceux d’autres études. Or, les fréquences rapportées dans ESSIMU sont très similaires aux pourcentages obtenus dans le cadre d’autres études canadiennes ou américaines qui utilisaient des échantillons représentatifs, bien que plus restreints, par exemple à une seule université.

Au demeurant, nous suggérons la consultation de l’étude américaine de Rosenthal et Freyd (2018). Cette étude révèle des pourcentages similaires de victimisation sexuelle dans une université avec les deux méthodes : une invitation envoyée par courriel à un échantillon aléatoire en comparaison avec un échantillon de convenance recruté à l’intérieur de cours universitaires.

Une étude qui ne mesure pas seulement l’agression sexuelle impliquant des contacts physiques

La définition des violences sexuelles adoptée par l’équipe est alignée avec les recommandations sur la surveillance du phénomène de la violence sexuelle par les Centers for Disease Control and Prevention, aux États-Unis. Malgré le large consensus dont elle bénéficie en recherche, cette définition peut faire réagir si l’on croit que seuls les gestes s’alignant sur les définitions du Code criminel constituent de la violence. 

Faudrait-il attendre les changements législatifs pour documenter et agir contre les problématiques sociales ? Les spécialistes et l’ensemble des recommandations portant sur la définition de la violence s’inscrivent en faux contre cette approche attentiste et limitée.

La recherche en sciences humaines et sociales évolue inexorablement. Pour décrire un phénomène, les études pionnières présentent des défis méthodologiques dont il importe de tenir compte sans oublier leur portée heuristique. 

Les données ESSIMU sont parmi les plus fiables dans le domaine. Elles ont été présentées dans des congrès scientifiques internationaux et sont utilisées pour la publication scientifique dans des revues d’excellent calibre.

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