Chronique

Vie et mort d’un militant

Il n’avait pas la fougue des leaders du printemps érable, encore moins la rage qui caractérisait Michel Chartrand et Pierre Falardeau. Pourtant, il a déplacé des montagnes. Avec son flegme et sa sagesse, Laurent McCutcheon a contribué, mieux que quiconque, à faire entrer la société québécoise dans le XXIe siècle en faisant reconnaître les droits de la communauté LGBTQ+.

Un an après sa mort, une biographie raconte le parcours de celui qui a consacré sa vie à dénoncer l’injustice et à exiger le respect des gais et des lesbiennes. On doit cette initiative au journaliste Denis-Martin Chabot, qui a fait un travail rigoureux et solide. Ce livre, tout le monde devrait le lire. Il est une formidable source d’inspiration.

Je n’ai pas connu intimement Laurent McCutcheon. Mes contacts avec lui se sont résumés à une poignée d’entrevues journalistiques. J’ai toujours été impressionné par sa grande disponibilité. Peu importe le jour ou l’heure, il était toujours prêt à réagir à une nouvelle ou à une annonce concernant les gais, les lesbiennes et les trans. Nombreux sont les journalistes qui avaient son numéro personnel dans leur carnet.

Cet ouvrage, qui a pour titre Laurent McCutcheon et la révolution gaie et lesbienne du Québec, nous fait d’abord découvrir un jeune homme qui, à l’instar de plusieurs homosexuels de son époque (les années 50), garde bien au fond de lui ses envies naturelles. Ses plus proches amis de jeunesse, interviewés dans le livre, affirment qu’ils ne se doutaient pas une miette que ce garçon brillant (mais néanmoins turbulent) était gai.

Originaire de Thetford Mines, fils d’un ouvrier de la construction, Laurent McCutcheon a longtemps caché sa véritable nature.

« Je devais avoir 13 ou 14 ans, j’ai senti que quelque chose ne fonctionnait pas. Quelque chose ne marchait pas. Non, en fait quelque chose marchait différemment. »

— Laurent McCutcheon à l’auteur Denis-Martin Chabot

La découverte de son homosexualité lui fera vivre divers états d’âme. Il aura des moments de colère injustifiée. Il fera aussi une grave dépression. Mais après un séjour à Sherbrooke, où il fait ses études universitaires, il débarque à Montréal. C’est là qu’il vit ses premières expériences et c’est là qu’il rencontre celui qui partagera sa vie pendant 47 ans, Pierre Sheridan.

À 22 ans, celui qui a déjà la passion des voitures décroche un poste d’éducateur au centre Berthelet, établissement de rééducation pour les jeunes délinquants. Puis, en 1972, il devient directeur régional de l’aide sociale de Sherbrooke, avant de prendre la direction de l’Office des services de garde à l’enfance du Québec au début des années 80.

Son sens de l’écoute et la sagesse de ses pensées font de lui une personne aimée et respectée. Cette réputation, il saura l’entretenir toute sa vie. Lui qui a été appelé à s’exprimer d’innombrables fois sur des sujets touchant la communauté LGBT+ n’a jamais dérapé, n’a jamais dit de choses regrettables.

C’est au début des années 80 qu’il commence à faire du bénévolat pour Gai Écoute, ligne téléphonique d’aide. À cette époque la discrimination à l’égard des homosexuels est présente et sournoise. On ne disait pas à quelqu’un qu’il n’avait pas l’appartement ou l’emploi parce qu’il était gai, mais disons que les prétextes étaient facilement trouvés et utilisés.

Grâce à la présence de Laurent McCutcheon, Gai Écoute prend de l’ampleur. À tel point qu’un premier média de masse (La Presse) consacre un reportage entier à l’organisme dans son édition du 1er décembre 1988. Laurent McCutcheon assurera la présidence de l’organisme (qui prendra le nom d’Interligne en 2017) jusqu’en 2013.

En 1993, la Commission des droits de la personne du Québec tient des audiences sur la violence et la discrimination envers les homosexuels.

Les meurtres de 14 hommes gais, entre 1989 et 1993, sont l’élément déclencheur de cette commission. Cet évènement marque à tout jamais Laurent McCutcheon.

Pour celui qui a déjà fait croire à ses proches qu’il avait une blonde afin de cacher son homosexualité, le militantisme devient la colonne vertébrale de sa vie.

En 1997, il se voit confier le dossier de la reconnaissance des unions de même sexe. L’année suivante, il met sur pied la Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes de même sexe. Tout cela mène à l’adoption de la loi concernant les conjoints de fait, le 16 juin 1999.

En 2000, il crée la Fondation Émergence. Puis, trois ans plus tard, la Journée internationale contre l’homophobie. C’est Laurent McCutcheon qui a l’idée d’aller chercher des personnalités pour assurer le rôle de porte-parole. Yves Jacques, Michel Marc Bouchard et Daniel Pinard ont figuré parmi les premiers « courageux » à accepter cette responsabilité.

Quand il reçoit un appel de McCutcheon en 2005, Dany Turcotte sait de quoi on veut lui parler. Le fou du roi a fait son coming out deux jours plus tôt à Tout le monde en parle. Il devine qu’on veut lui proposer d’être porte-parole. Même s’il a l’intention de refuser l’offre, l’animateur et humoriste accepte d’aller manger avec le président de la Fondation Émergence.

Laurent McCutcheon se met à parler. Au bout d’une heure, Dany Turcotte accepte d’être le porte-parole.

Ce leader de la « Révolution tranquille rose » n’était pas du genre à créer des coups d’éclat. Quand il participait à des manifestations, il s’assurait toujours qu’elles étaient empreintes de pacifisme. Pourtant, cet homme a bousculé les choses, changé les mentalités. Il est un peu notre Harvey Milk (ce politicien et militant américain gai assassiné en 1978).

Un prix portant le nom de Laurent McCutcheon est remis chaque année depuis 2003 par la Fondation Émergence. Janette Bertrand (qui signe la préface du livre), Justin Trudeau, Réjean Thomas, Monique Giroux, Michel Marc Bouchard, Ariane Moffatt et bien d’autres l’ont reçu.

Atteint du cancer du poumon depuis 2014, Laurent McCutcheon se savait condamné. Aussi, après avoir tout tenté pour combattre la maladie et repousser l’échéance de la fin, il a choisi de mettre un terme à sa vie au moyen de l’aide médicale à mourir.

Le matin du 4 juillet 2019, Laurent McCutchon a appelé quelques proches. Il leur a dit que ça s’arrêtait ici pour lui. Vers 11 h, un médecin et deux infirmiers sont arrivés chez lui. Ils ont installé des cathéters dans ses bras. Pierre Sheridan, qui tenait la main de son compagnon, lui a dit : « Dors bien, mon amour, fais de beaux rêves. »

Ce dernier a répondu : « Je t’aime », avant de s’éteindre.

L’équipe médicale est repartie. Pierre Sheridan est resté seul avec son amoureux pendant une heure. Il voulait goûter, pour la dernière fois, à la présence de cet homme extraordinaire qu’il avait eu le privilège de connaître.

Cet homme nous laisse un héritage considérable. Il est fait de courage, de ténacité et d’avancements.

Merci, monsieur !

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