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Quatre médecins réagissent à l’appel du premier ministre Legault aux médecins spécialistes, à qui il demande d’aller prêter main-forte dans les CHSLD.

Opinions : Crise dans les CHSLD

Passer de la parole aux actes

La crise dans les CHSLD ne date pas d'hier

Quatre médecins réagissent à la demande du premier ministre Legault aux médecins spécialistes de venir prêter main-forte dans les CHSLD.

Cher premier ministre Legault,

Premièrement, je voudrais commencer par les fleurs.

Je veux vous féliciter de votre gestion de cette crise inédite. J’ai rarement été aussi fier d’être Québécois. Votre gouvernement dès le début de cette crise s’est fié aux experts en la matière. Vous vous êtes bien entouré et avez pris des décisions basées sur la science et les faits au fur et à mesure que les données évoluaient et que l’on comprenait mieux la nature du problème.

Par la suite, vous avez judicieusement établi un lien de communication efficace avec la population via vos conférences de presse quotidiennes. Cela vous a permis de clairement expliquer la situation et les enjeux à la population, ce qui a permis au Québec d’être l’endroit en Amérique du Nord où la population respecte le mieux les consignes de distanciation sociale, selon une étude de Google.

Ce qui fait qu’actuellement notre système de santé n’est pas débordé comme dans plusieurs pays du monde, notamment l’Italie. Même qu’une multitude de lits sont vides dans les hôpitaux, avec du personnel prêt pour une vague qu’on anticipait plus grande…

Par contre, en parallèle de nos réalités hospitalières, il y avait un drame en préparation. Nous savions très bien, selon toutes les données que l’on reçoit du reste du monde, que nos personnes âgées en CHSLD étaient les plus à risque. Vous l’avez d’ailleurs répété à plusieurs reprises.

Mais la crise du personnel en CHSLD ne date pas d’hier ! En fait, il y a un manque criant de personnel dans toutes les sphères de métiers de la santé.

Je ne peux témoigner de la réalité sur le terrain des CHLSD, puisque ce n’est pas mon milieu de travail habituel. Quoique, selon ce que j’entends aujourd’hui, je risque d’avoir un cours en accéléré dans les jours qui viennent. Je suis prêt !

Je peux par contre témoigner du personnel avec qui je travaille quotidiennement à l’hôpital. Les troupes étaient épuisées avant l’arrivée de la crise. Il y a un manque de personnel récurrent dans tous les départements de l’hôpital. Il y a eu un taux d’absentéisme record pour toutes sortes de raisons, incluant bien évidemment l’épuisement professionnel. Vos infirmières sont « à boutte ! ! ». Et j’inclus tous les autres corps de métier ici aussi… Elles font des miracles tous les jours avec les ressources qu’elles ont. Le problème existait bien avant la pandémie.

Un mauvais rêve

Maintenant, venons-en à la raison de ma lettre. Aujourd’hui, vous m’avez estomaqué ! Je m’explique. Je suis chirurgien orthopédique. Dans une grande proportion des interventions chirurgicales que je fais, il n’y a pas d’enjeu de vie ou de mort. Nous avons donc parfaitement compris pourquoi nos activités chirurgicales étaient mises en pause pour permettre à notre système d’accueillir la vague. Une bonne partie de notre expertise a été mise en veilleuse, le temps que l’on reprenne le contrôle.

Mes confrères et moi sommes habitués à travailler très fort à l’hôpital et à accumuler les heures. Alors, de se retrouver du jour au lendemain avec 80 % de diminution de nos activités nous a pris par surprise. Nous avons offert de l’aide à nos urgentologues, à tout le moins pour voir dès le triage à l’urgence les patients avec blessure musculo-squelettique. J’ai fait des téléconsultations avec des patients qui ont apprécié qu’il y ait une continuité de services malgré les restrictions. Je m’éduque en accéléré sur l’impact de cette nouvelle maladie sur ma pratique.

Une structure organisationnelle se mettait en place pour nous réaffecter et nous avions des communications régulières à cet égard de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). On se disait qu’on allait bien finir par être impliqués d’une manière ou d’une autre.

Plusieurs de mes confrères ont fait des démarches pour s’impliquer ou pour sortir de leur retraite. Mais on leur répondait qu’on n’avait pas besoin d’eux.

Alors, en vous entendant parler mercredi, je me suis demandé si je me réveillais d’un mauvais rêve…

Vous avez fait suffisamment de capital politique sur notre dos. Nous nous dévouons quotidiennement dans un milieu de travail où les manques sont récurrents. Nous accomplissons de petits miracles avec les ressources que nous avons et des équipes de travail décimées. Vous ne nous déchargerez pas l’odieux de la gestion des CHSLD sur le dos.

Cette crise révèle au grand jour un problème qui existe depuis longtemps. Vous aviez fait la promesse que votre gouvernement améliorerait le sort de nos aînés. La nomination de Marguerite Blais était inspirante pour nous. Maintenant, il serait temps de passer de la parole aux actes et d’utiliser la négociation actuelle des conventions collectives pour rendre attrayants les corps de métier du système de santé et ainsi régler de façon durable le manque de personnel.

Ah oui, une dernière chose. S’il vous plaît, épargnez-nous la prochaine fois. Vous aurez besoin de nous pour gérer cette crise.

Aussi, je confirme : je suis disponible pour mettre l’épaule à la roue dans les CHSLD pour nous en sortir.

Opinions

Je suis outré et scandalisé !

La médecine est-elle devenue une machine à imprimer de l'argent ?

Le premier ministre a annoncé mercredi avoir négocié une entente avec les médecins spécialistes pour que ceux-ci aillent travailler comme infirmiers ou préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD. Lors de la période de questions qui a suivi sa présentation, on a pu être témoin de son improvisation lorsqu’il avait à répondre aux questions des journalistes sur la question de la rémunération des médecins spécialistes pour accomplir ces tâches. 

C’est probablement la première fois dans toute cette crise que notre premier ministre fait une grossière erreur. Il a approuvé le fait qu’à cause de la situation exceptionnelle que nous vivons actuellement, il est prêt à offrir aux médecins spécialistes une rémunération équivalente à celle qu’ils auraient reçue s’ils travaillaient en clinique. 

C’est justement le fait que nous vivons une situation exceptionnelle qui ne justifie pas que les médecins doivent gagner la même rémunération que normalement.

Comment, en effet, justifier qu’un médecin spécialiste qui daignera se porter volontaire pour travailler dans un CHSLD gagne 211 $ de l’heure pour effectuer ses tâches lorsque la préposée qui effectue les mêmes tâches gagne 16 $ de l’heure ? 

Non seulement notre premier ministre devra reculer sur ce point, car je suis certain que ça ne passera pas auprès des autres syndicats ou même dans la population, mais le véritable scandale est que nous avons compris, par l’intervention de la ministre de la Santé, Danielle McCann, que leur syndicat a négocié, pour ces trois ou quatre semaines où tout le Québec vit un drame atroce et pénible, une entente pour que les médecins soient rémunérés au même taux que s’ils pratiquaient la médecine. 

Les médecins spécialistes commençaient à regagner la sympathie du public avec tous les actes et sacrifices qu’ils accomplissent actuellement dans leurs fonctions, autant en risquant leur vie, à l’instar de tout le personnel qui travaille dans les hôpitaux, qu’en ayant accepté de libérer des lits pour faire de la place aux patients atteints de la COVID-19, se privant ainsi d’une rémunération importante. 

Je ne comprends pas comment il se fait qu’à chaque fois qu’il est question de la participation de la médecine spécialisée dans une quelconque sphère du secteur des soins et services de santé, cela doive passer par leur syndicat et doive être rémunéré. Je ne comprends pas que les médecins spécialistes qui ont des mamans, des papas, des grands-mamans, des grands-papas dans ces centres de soins ne se soient pas offerts bénévolement pour s’occuper des personnes âgées et de leurs proches en même temps. Pourquoi la médecine a-t-elle perdu de son aura de sacrifices, d’empathie et de soins pour en arriver à un appareil où chaque acte doit être payé, qu’il soit clinique ou non clinique ? 

En somme, pourquoi la médecine est-elle devenue une machine à imprimer de l’argent ? 

Encore une fois, les médecins ont perdu une bonne occasion de faire un geste qui, pour peu, aurait augmenté énormément leur capital de sympathie auprès de la population. J’espère seulement que la majorité d’entre eux décidera de se porter volontaire et ne demandera pas de recevoir la rémunération négociée. C’est ce qu’il faut qu’ils fassent.

Opinions

De héros à zéro

Les médecins ne méritent pas les insultes qui pleuvent

Chère population, depuis mercredi, je lis votre haine, votre colère. Je vous comprends. Et je vous pardonne. Je vous pardonne de nous briser le cœur, de nous insulter et de douter de nos intentions. Je vous pardonne de laisser le vent des émotions vous emporter, loin de votre esprit critique.

Car ce n’est pas de votre faute. Votre attention a été détournée. On vous a bernés.

À l’épicentre de cette épidémie de mépris, ce sont des articles qui empestent le mauvais journalisme et le sensationnalisme qu’on peut lire. Et les deux n’ont pas leur place, en temps de crise.

Je sais qu’il est facile de sauter aux conclusions, mais j’aimerais que vous sachiez ceci : je connais personnellement des dizaines de médecins spécialistes qui attendent depuis des jours, des semaines qu’on leur dise comment aider, après l’avoir offert. Certains se sont même fait refuser. On n’aurait pas besoin d’eux.

Les médecins en général ne se tournent pas les pouces. Ils travaillent, depuis la crise, et se retrouvent dans des situations diverses (gestion, réunions, réorganisation, information…) depuis des semaines. Souvent, nous ne sommes pas rémunérés pour ces tâches. Mais ça nous est bien égal ; il s’agit d’une pandémie.

Tous doivent faire leur part. Et on fait la nôtre, avec les compétences dont on dispose. On tente de les utiliser à bon escient. Car vous savez, dans les compétences du médecin, il y a aussi celles d'agir comme gestionnaire, de promouvoir la santé, d’informer la population, d’enseigner et de demeurer à l’affût des nouvelles données probantes, pour ne donner que quelques exemples. Nos compétences sont variées, mais elles ne pourront jamais remplacer celles des autres professionnels avec qui on travaille. Nous ne seront jamais « surqualifiés » pour faire leur travail… pour la simple raison que les qualifications sont à la base très différentes. Il n’y a pas de hiérarchie.

Vous savez, la négociation était en cours pour les médecins spécialistes depuis un bon bout de temps et on parle de l’enveloppe déjà connue. On n’ajoute pas un cent. Rien de nouveau. On attendait juste de savoir comment rémunérer les actes médicaux en temps de pandémie. On devait réorganiser la façon de le faire, à même l’argent déjà octroyé.

Comme bien souvent dans la vie, il serait plus avisé, pour tous, de prendre un recul avant de critiquer (et encore plus d’insulter).

Garder les médecins là où leurs compétences sont le mieux utilisées, c’est dans l’intérêt de tous. Chaque profession est irremplaçable et détient son propre champ d’expertise. C’est insultant pour les infirmières et les préposés de se faire dire qu’on peut les remplacer. On ne peut pas. On n’est pas formés pour ça. Je n’ai aucune idée de la façon de faire des transferts de patients de façon sécuritaire. Comment les lever. Comment éviter qu’on se blesse, tous. Je ne peux pas faire de prise de sang ni gérer des solutés. Quand une machine se met à sonner, dans une chambre de patient, je cours chercher l’infirmière, après avoir appuyé frénétiquement sur le bouton « arrêt » et peut-être débranché toute la patente.

On veut bien essayer d’aider, sortir de nos compétences, mais c’est rire du monde de nous payer si cher pour le faire, au lieu de payer adéquatement ceux qui sont déjà formés ou mieux équipés. Surtout quand plein de gens ont perdu leur emploi. Quand plein de cliniques de services de santé privées sont fermées. Quand des centaines de préposés ont été mis à pied. Mais attendez… les payer adéquatement signifierait ouvrir les ententes, sortir le portefeuille et des sous tous neufs. Plus simple de payer des médecins trop chers, avec de l’argent « déjà donné », non ? En plus, ils auront l’air de gros avares. Une pierre, deux coups. Bingo.

Des tâches, on en fait déjà plein et on veut bien en faire d’autres… mais à quel prix ? Au prix de sortir les chirurgiens des établissements où vous pourriez avoir besoin d’eux ? Au prix de 211 $ de l’heure ?

Les fameux 211 $, ils ont été négociés pour les tâches médicales, nécessaires en temps de pandémie, pour les médecins spécialistes. Pour faire leur travail. De médecin.

D’autres professions facturent plus cher (sans les nommer) et ne sauvent pas de vies, que je sache. Je ne vois pourtant pas la population les lapider sur la place publique.

Les médecins spécialistes n’ont jamais négocié ce montant pour laver des planchers. C’est le forfait pour leur expertise médicale en temps de crise. Les médias se plaisent bien à extrapoler. C’en est devenu ridicule. On nous sort le « 2500 $ » à tour de bras… sans expliquer que ça représente une journée de 12 heures, avec une prime quelconque. Des collègues et moi avons tenté de faire le calcul, car il nous laissait perplexes. En fait, voyez-vous, les médecins aussi trouvent ce montant curieux en maudit. Et ils l’ont appris en même temps que vous, tout déformé, dans les médias, hier.

Je ne sais pas pourquoi les médecins au Québec ont le dos si large… pourquoi c’est si facile de pointer le doigt et du coup, détourner le regard de tous de l’enjeu réel.

Un problème connu depuis longtemps

Les CHSLD sont en difficulté depuis longtemps. Le personnel qui y travaille est sous-payé depuis longtemps. La pénurie dure depuis trop longtemps. Avant la pandémie.

La gestion était problématique avant.

Et le gouvernement nous dit qu’il n’a été mis au courant de la situation à la résidence Herron que dans les derniers jours. Vendredi soir, 20 h, pour citer le premier ministre. Mais soudainement, mercredi, ça fait des jours qu’il nous implore, tellement qu’il ne sait plus comment demander notre aide ? Quand mes collègues s’offrent depuis des semaines et sont toujours dans l’attente d’une réponse ? En laissant entendre que nous ne voulons pas aider, alors que nous sommes au front depuis le début, à risquer nos vies, pour sauver les vôtres ?

Alors voulez-vous bien me dire comment c’est devenu la faute des médecins ? De héros à zéro, c’est le cas de le dire.

Soit il y a là une profonde erreur de communication, soit on cherche à nous faire porter l’odieux.

Dans les deux cas, on ne mérite pas les insultes qui pleuvent. Et pendant l’orage actuel, c’est une bien mauvaise idée de traîner vos « anges gardiens » dans la boue.

Notre moral est déjà à terre…

Opinions

Du bénévolat rémunéré

C'est l'empathie qui amènera les médecins au front

Les médecins spécialistes ont bénéficié deux fois plutôt qu’une des talents de négociateur de Gaétan Barrette, qui y est allé à fond la caisse et des deux côtés de la clôture, d’abord comme président de la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ), puis comme ministre de la Santé.

Le gouvernement en place a récupéré une partie de ces largesses dont la moitié est consacrée au problème complexe de la pertinence, ce qui est à l’honneur de la Fédération et des médecins.

La gestion de la pandémie vient de prendre une tournure dramatique avec une véritable hécatombe dans plusieurs résidences d’aînés qui, comme prévu, sont les plus vulnérables aux attaques d’un virus plus agressif que les virus de grippe saisonnière.

En désespoir de cause, le premier ministre avait déjà fait appel à des bénévoles, qui semblent répondre généreusement.

Il en est maintenant à s’adresser directement aux médecins spécialistes pour apporter du renfort, non pas à titre de médecins, mais dans un geste humanitaire, où on leur demandera surtout de prendre soin.

Il s’agit donc de bénévolat pur et simple et il est difficile de comprendre qu’il soit rémunéré alors que c’est tout à fait injuste pour les équipes en place qui sont mal payées et les bénévoles qui se donnent sans compter.

De deux choses l’une : ou les médecins refusent cette rémunération, comme plusieurs l’ont déjà proposé, ou elle est compilée en un fonds qui servira à financer des projets ou des initiatives qui vont améliorer le fonctionnement du système.

Présentement, le milieu de travail où les médecins sont appelés à œuvrer nous est rapporté comme pitoyable et comporte quand même un risque non négligeable avec le manque de ressources et de matériel de protection nécessaires. Ce n’est pas l’argent, mais l’empathie et l’abnégation des disciples d’Hippocrate qui vont les amener au front.

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