Le « mot en n »

À la suite d’une plainte d’un citoyen, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) s’est fait demander de réévaluer une décision de l’ombudsman de Radio-Canada et a blâmé le diffuseur public pour l’utilisation répétée du « mot en n » dans un segment radio qui traitait de rectitude politique et d’un livre en août 2020.

Bon… par où commencer ?

Je tiens à dire que j’aborde cette situation, non pas comme un observateur désintéressé, un chroniqueur polémiste ou un absolutiste de la liberté d’expression, mais comme quelqu’un qui a été visé à maintes reprises par le « mot en n ».

Ce mot ordurier, je l’ai entendu toute ma vie, de la bouche de mes amis, de mes ennemis, de mes collègues et de mes pédagogues.

Dans la dernière décennie, chaque fois que je l’ai entendu, j’ai pris le chemin de la confrontation et de la discussion animée, puisque ce mot-insulte est particulièrement chargé et déshumanisant, et qu’il m’apparaissait important de contester son utilisation.

Mes interlocuteurs ont utilisé ce mot de manière ordurière, maladroite, ignorante ou avec un humour mal avisé, et c’était pour moi une bonne raison de les inviter à taire ce mot qui fait mal.

Cela dit, une distinction importante se présente à nous.

Utiliser le mot dans une phrase quelconque n’est pas la même chose que de nommer le titre d’une œuvre majeure.

Qu’on les aime ou pas, les ouvrages de Pierre Vallières, Dany Laferrière, Yvon Deschamps et 2Pac ont des titres et, lorsqu’on en parle, il me semble déraisonnable de les censurer ou de les caviarder.

Personnellement, l’analogie que fait Vallières dans son livre entre les Afro-Américains et les Québécois des années 1960 me semble outrancière et tend à minimiser l’horreur de la situation des Noirs aux États-Unis, cela dit, son livre reste une des pierres angulaires de la Révolution tranquille, et ça doit bien valoir quelque chose ça aussi (même si je trouve que le titre est épais).

Force est également de constater que l’escalade des procédures qui a culminé par ce blâme du CRTC est le fruit de l’acharnement d’un seul homme. Je ne sais pas à quel point il représente un sentiment partagé par l’ensemble des membres des communautés noires du Québec.

Je sais que certains commentateurs politiques et certains pédagogues de mauvaise foi vont tenter, au nom de la liberté d’expression, de faire un excès de zèle et d’utiliser leur tribune pour répandre le « mot en n » ad nauseam, mais ce texte n’est pas une invitation à faire l’usage de ce mot. Pas pantoute.

C’est une invitation à faire la distinction entre : utiliser le mot pour désigner une personne et utiliser le mot qui est inclus dans le titre d’une œuvre, particulièrement si on veut l’analyser ou la déconstruire.

Mais règle générale, de grâce, n’utilisez pas ce mot, particulièrement si vous n’êtes pas afrodescendants.

En ce qui a trait à notre racisme made in Quebec, si on désire véritablement faire un changement, commençons donc par améliorer l’accès aux services publics des populations autochtones, luttons contre le profilage racial par les forces de l’ordre ainsi que la discrimination à l’emploi et au logement, puisque tel est le visage du racisme systémique au Québec.

Ce n’est pas en taisant un mot que ces changements sociaux importants vont se faire.

Encore faut-il reconnaître que nous avons des problèmes systémiques pour pouvoir les régler (shout-out à François Legault).

Nos activistes professionnels comme nos démagogues de droite semblent trop souvent l’oublier : tout n’est pas noir ou blanc.

S’il y a un « mot en n » que j’aimerais entendre plus souvent dans la bouche des commentateurs politiques, c’est le suivant : nuance.

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