Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 5 : Le placard

ROGER ! ROGER PANNETON !

L’inspecteur Panneton releva la tête. Il venait d’avaler une première gorgée de café dans un bistro discret de la rue Masson, cette rue Masson qui devenait un peu trop hipster à son goût.

JE SUIS VRAIMENT CONTENT DE TE VOIR, ROGER !

L’inspecteur reconnut aussitôt dans cet homme bouffi, rougeaud, et qui dégageait une odeur de friture et d’alcool, l’adolescent maigre et blême avec qui il avait grandi.

Panneton n’était pas « content de voir » Serge Tougas. Trop de souvenirs qu’il vaudrait mieux oublier. Panneton avait déjà assez de problèmes…

— Salut Serge.

Tougas s’assit lourdement. Il devait tout faire avec lourdeur.

— Qu’est-ce que tu fais dans le coin, Roger ? (Il prononçait Roger à l’anglaise. Il l’avait toujours fait et Panneton avait toujours détesté.)

— Je passais. Je me suis arrêté pour être seul et réfléchir.

Tougas n’avait rien entendu. Ou bien il faisait semblant.

— J’espère que tout va bien, Roger. Je pense souvent à toi, tu sais. Tous les bons moments qu’on a passés ensemble sur le terrain de baseball, dans la ruelle, chez tes parents… Ils étaient gentils, tes parents. Plus que les miens, en tout cas. Mes parents étaient… tu sais… Et puis je pense au soir où… Tu y penses, toi aussi ? Moi, au début, j’y pensais tout le temps. Chaque soir quand je me couchais, j’avais peur d’entendre quelqu’un sonner à la porte. Mais avec le temps, j’y ai moins pensé. Ça s’est arrangé, je crois.

Comment pouvait-on savoir que cette vieille SDF avait décidé de dormir dans la maison abandonnée ? On était des enfants, ou presque, on voulait juste faire un petit feu, s’amuser un peu. On ne voulait pas faire de mal.

Je n’oublierai jamais quand tu as mis l’arbre mort par-dessus le feu dans la poubelle, Roger. Wow ! Un feu d’artifice ! C’était quand même le bon temps, non ? On s’aimait bien, tous les deux, non ?

Panneton sentit comme un couteau s’enfoncer dans son ventre. Il pensa à un ulcère.

— Je n’en ai jamais parlé à personne, Roger. Je le jure. Et toi ?

Panneton n’avait pas la force de parler. Il voulait seulement disparaître. Ou mourir par combustion spontanée.

— Les flics n’ont pas cherché longtemps. Les flics ne font pas d’efforts pour une vieille ivrogne. Les flics sont des salauds. Et des cons.

Finalement, je me suis dit qu’on lui a rendu service, à cette vieille…

Sinon, qu’est-ce que tu deviens, Roger ? On ne te voit plus dans le quartier…

Panneton entendit une voix répondre : je travaille dans les assurances…

— C’est bien, les assurances. Tu es un monsieur ! Moi, je n’ai pas eu de chance. Malchance après malchance, tu me connais. Si quelqu’un m’avait donné ma chance…

Panneton se leva brusquement. Il tendit la main et s’excusa de devoir partir. Urgence.

Sur le trottoir de la rue Masson, l’inspecteur s’efforça de respirer normalement, de se concentrer sur l’affaire Meursault, mais il n’y arrivait pas.

Demain

Katia Gagnon : Cherchez la femme

Résumé du chapitre précédent

Le journaliste Vincent de Léon enquêtait sur le riche homme d’affaires Antoine Meursault bien avant que celui-ci ne soit victime d’un meurtre crapuleux dans sa résidence de Westmount. Peu après l’assassinat de Meursault, de Léon reçoit un texto en pleine nuit. C’est le « Dude », une source policière, qui lui montre une étonnante vidéo mettant en scène Meursault et le premier ministre William Désormeaux... 

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.