Mon frère

Poétique et envoûtant

Il y a une douceur triste qui émane de ce roman. Ou peut-être une douce tristesse, selon la façon dont on envisage l’existence de ces deux frères qui pourraient porter mille autres noms tant leur histoire semble malheureusement trop commune. Deux frères de couleur qui grandissent à Scarborough, ce même secteur de Toronto qui a donné son titre au roman poignant de Catherine Hernandez, paru il y a quelques années.

« Scarlem, Scarbistan. Nous vivions à Scar-bro, une banlieue qui s’était développée rapidement, dont la vie s’était épanouie en jaune, en brun et en noir », raconte Michael, le plus jeune des deux frères.

Michael et Francis grandissent sans garde-fou. Père absent. Mère de Trinité qui multiplie les petits boulots de femme de ménage à des heures indues, aux quatre coins de la métropole, pour joindre les deux bouts – contrainte de laisser ses jeunes enfants seuls, la nuit. Une mère comme tant d’autres autour d’elle, écrit David Chariandy. « Qui rêvaient d’élever des enfants qui pourraient avoir juste un petit peu plus qu’elles, des enfants qui pourraient récolter les fruits du sacrifice et racheter le passé. »

Michael grandit dans l’ombre de son frère aîné, qui lui enseigne la vie et le laisse traîner avec lui et les autres jeunes du quartier. Des adolescents qui savent déjà comment se tenir quand la police se pointe dans le quartier après une fusillade.

Tout au long du roman, c’est lui qui raconte l’histoire, entre passé et présent. Et qui décrit comment, 10 ans après l’impensable, sa mère et lui sont encore prostrés dans le deuil de ce fils, de ce frère qui porte en lui tous leurs espoirs déçus.

« Nous étions des ratés et des petits magouilleurs de quartier. Nous étions les enfants du personnel de service, sans avenir. Aucun de nous n’était ce que nos parents voulaient que nous soyons. »

— David Chariandy

« Nous n’étions pas ce que tous les autres adultes voulaient que nous soyons, écrit-il. Nous étions des rien du tout, ou peut-être, d’une certaine façon, une ville entière. »

Paru dans sa version originale en 2017, ce roman a d’abord été traduit en France, où il est paru l’année suivante sous le titre 33 tours ; mais c’est ici une traduction adaptée – et très à propos – à laquelle on a droit. Puis il y a également eu l’adaptation cinématographique de Clement Virgo, l’an dernier (sous le titre Brother), qui a été très bien reçue. L’auteur, qui est lui-même né à Scarborough de parents trinidadiens, réussit à donner vie à des personnages d’une sincérité troublante, tout en construisant un roman au rythme poétique et enveloppant. Un roman dont le silence assourdissant fait écho à ces banlieues bétonnées, traversées par des routes sans fin et si typiquement nord-américaines, où s’échoue sans relâche une jeunesse en manque de perspectives et livrée à elle-même au beau milieu de l’indifférence générale.

Mon frère

David Chariandy (traduit de l’anglais par Christine Raguet)

Héliotrope

222 pages

8/10

Voyages sans bagages

Errances dans l’insouciance

La créatrice des Moumines, qui s’est éteinte en 2001, continue de nous charmer par ses écrits que La Peuplade a entrepris de publier depuis quelques années – certains pour la première fois en français. Ce recueil de nouvelles nous entraîne dans de petits voyages au côté de personnages singuliers qui se laissent porter par la vie, ici ou là. Une adolescente japonaise qui rêve de rencontrer l’autrice à qui elle écrit et dont elle a lu l’œuvre au complet. Une virée nocturne dans le centre d’Helsinki en compagnie de trois artistes. Un homme qui savoure une vertigineuse sensation de liberté en embarquant sur un bateau, sans la moindre idée de son point de chute. Un autre que son petit-fils réussit à convaincre de prendre l’avion et qui se retrouve dans une situation absurde. Un enfant de 11 ans qui passe l’été dans une famille, près de la mer, et qui réussit à se mettre à dos ses hôtes. Et preuve, s’il en fallait, que les textes de l’écrivaine n’ont pas pris une ride, ses réflexions sur les « préoccupations humaines » pourraient avoir été écrites aujourd’hui même, tant elles restent d’actualité : « Les gens sont frénétiquement occupés à des activités banales tandis que l’irréparable suit son cours irrémédiable, le devoir et la culpabilité rongent leurs limites et tout est vaguement étiqueté sous le terme anxiété, une affliction qu’on ose rarement définir si tant est qu’on ait le temps de le faire. » Des nouvelles qui sont comme de petites bouffées d’air frais, ponctuées de notes d’humour, à déguster une à la fois.

— Laila Maalouf, La Presse

Voyages sans bagages

Tove Jansson (traduit du suédois par Catherine Renaud)

La Peuplade

280 pages

7/10

Une promesse d’aventure : mémoires

Quand la créatrice de Brunetti se raconte

J’ai commencé ce livre avec beaucoup d’attentes : je suis une fan finie des romans de Donna Leon et de son célèbre personnage, l’inspecteur Brunetti. J’ai dévoré toutes ses enquêtes et je pense que je pourrais être amie avec sa femme, Paola. Comme tous les fans, j’ai salivé en lisant les descriptions des repas que la professeure de littérature à l’humour caustique concoctait pour sa famille. J’ai même acheté le livre de recettes publié en 2018 ! J’espérais donc découvrir plein de détails savoureux sur les dessous des enquêtes de Donna Leon et sur sa vie à Venise, où ses intrigues se déploient. Hélas, il faut attendre la moitié du livre pour que l’auteure parle enfin de l’Italie. La première moitié est consacrée à ses autres séjours à l’étranger – Iran, Chine, Arabie saoudite... – où l’Américaine originaire du New Jersey a enseigné l’anglais. J’aurais pris bien davantage d’histoires et d’anecdotes sur les mœurs et coutumes des Vénitiens et sur les personnes qui ont inspiré Leon au fil des décennies. L’écrivaine a finalement quitté la Sérénissime, écœurée par le tourisme de masse, pour s’installer en Suisse. Elle termine son livre sur quelques paragraphes bien sentis sur la vieillesse et l’âgisme, mais au bout du compte, je suis restée sur ma faim.

— Nathalie Collard, La Presse

Une promesse d’aventure – Mémoires

Donna Leon, traduit de l’anglais (américain) par Gabriella Zimmermann

Calmann Levy

215 pages

5,5/10

Fraîchement arrivés chez le libraire

Parmi tous les livres qui sont arrivés récemment en librairie, en voici quelques-uns qui ont attiré notre attention.

L’inconnue du portrait

Camille de Peretti

Calmann-Lévy

350 pages

Ce roman est un voyage ambitieux dans le temps et dans le monde, depuis les rues de Vienne, au début du XXsiècle, jusqu’au Texas des années 1980 en passant par le Manhattan de la Grande Dépression et l’Italie contemporaine. Tout cela sur les traces d’un tableau du peintre Gustav Klimt représentant une femme que personne n’a jamais réussi à identifier. L’écrivaine française Camille de Peretti a ainsi imaginé la destinée de cette jeune femme et de ses descendants dans une intrigue habilement tissée.

Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès

Romain Puértolas

Albin Michel

280 pages

L’auteur singulier de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire IKEA nous livre cette fois-ci une enquête – sous la forme astucieuse d’une autofiction – sur l’un des fugitifs les plus recherchés de France, principal suspect dans un quintuple meurtre survenu en 2011. Et c’est avec une touche d’humour irrésistible qu’il se met en scène pour jouer aux détectives.

Projet Polytechnique

Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond

Atelier 10

204 pages

Les comédiens Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher ont déjà réalisé un laboratoire et une émission balado autour du féminicide de Polytechnique et de ses répercussions. Ce livre est le texte de leur pièce homonyme, qui a été présentée au Théâtre du Nouveau Monde avant les Fêtes et qui poursuit sa tournée au Québec jusqu’en avril.

L’araignée

Lars Kepler (traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy)

Actes Sud

532 pages

Le couple d’écrivains suédois Alexander et Alexandra Ahndoril, derrière le pseudonyme de Lars Kepler, signe ici une nouvelle enquête avec les inspecteurs Joona Linna et Saga Bauer. Un roman noir dans la lignée des précédents, alors que les personnages se lancent sur la traque d’un tueur en série.

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