Je suis un produit

L’art du faux

Tout le monde a son prix, répètent les cyniques depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, avec le marketing numérique, on peut aussi dire que tout le monde est devenu un produit.

Voilà la prémisse de la nouvelle pièce de Simon Boudreault, Je suis un produit, écrite dans le cadre de sa résidence d’auteur à La Licorne. Sa comédie est à l’affiche depuis mercredi dernier dans le théâtre de l’avenue Papineau, dans une production de la compagnie Simoniaques Théâtre.

On y suit les mésaventures du président d’une boîte de relations publiques à la mode, Jeff (Éric Bernier, truculent et flamboyant !), qui se définit comme « le Darwin du marketing ». À ses yeux, tout, absolument TOUT, est une question de mise en marché dans la vie. Toujours au-dessus de la mêlée avec ses proches comme avec ses employés, Jeff croit que le mensonge est toujours plus payant que la vérité. Ce qui ne l’empêche pas de dire tout ce qu’il pense sans aucun filtre. Et avec zéro écoute !

Or, Jeff sera aux prises avec sa propre médecine en embauchant Jihane (Houda Rihani). Professionnelle marocaine installée Québec depuis trois ans, Jihane refuse de porter le voile, malgré les pressions de sa famille musulmane. Comme elle n’arrive pas à trouver un emploi ici, elle va passer une entrevue en mettant un voile pour répondre aux critères de diversité de l’entreprise de Jeff. Elle sera tout de suite embauchée. Et deviendra l’image de l’ouverture à la différence sur les plateformes de l’entreprise.

Vanité, vanité…

Avec son humour grinçant, ses répliques qui font mouche, Simon Boudreault critique l’omniprésence du marketing dans la société, mais aussi nos préjugés liés à la culture, à l’âge ou au sexe, ainsi que nos rapports à l’image qui épousent les couleurs du temps et de la rectitude politique. Tant dans la sphère publique que privée.

Le personnage incarné par Éric Bernier ira jusqu’à se « mettre en marché » pour reconquérir son ancien chum Alexandre (Louis-Olivier Mauffette), en se comparant entre autres à du pain tranché dans une scène hilarante !

Ça tombe bien, car son ex a aussi besoin de redorer son image publique, après s’être mis les pieds dans la bouche à la télé, et Jeff va l’aider pour la gestion de la crise.

« Les grosses compagnies ne vendent même plus des produits. Elles vendent une philosophie », a résumé l’auteur en entrevue. En abordant l’opportunisme des faiseurs d’images, la pièce pose aussi une réflexion plus globale sur le défaut des mortels de vouloir tout instrumentaliser pour mieux briller. Vanité, vanité…

Je suis un produit bifurque un peu vers la fin pour toucher à d’autres thèmes de l’actualité. On comprend que la boîte de marketing est un microcosme des débats de société. Or, on aurait pu enlever 15 minutes dans une pièce qui dure 1 h 45 min sans entracte. Toutefois, la production est menée tambour battant par une excellente distribution ; avec en tête le comédien Éric Bernier. Grâce à son jeu survolté du début à la fin, Bernier fait crouler la salle de rire à plusieurs reprises, même s'il verse par moments dans le cabotinage… Un péché mignon qui ne gâchera pas notre plaisir.

Je suis un produit

Comédie signée et mise en scène par Simon Boudreault

Au Théâtre La Licorne, jusqu’au 18 décembre

Trois étoiles et demie

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